"Shape"

Très heureuse découverte que ce premier disque d’une jeune saxophoniste française qui s’inscrit délibérément dans le champ de la recherche et de la création. Comme le remarque Didier Levallet dans son pertinent texte de livret : "il y a encore aujourd’hui de très jeunes musiciens capables d’empoigner la nécessité d’aborder le jazz non pas comme une manière de jouer, mais comme un processus de création." Autrement dit, Alexandra Grimal et ses compagnons n’envisagent pas la production d’un disque comme un concept fabriqué dont il s’agit ensuite de soigner la réalisation pour plaire au public, mais se lancent, en direct et face au public, dans un travail progressif d’élaboration, d’improvisation et de construction d’une forme musicale, avec ses questionnements, ses échanges, ses hésitations, ses doutes mais aussi ses choix et ses résolutions. C’est ainsi que progressent les trois longues suites (1, 3 et 7) de ce concert : recherche d’un équilibre, d’une atmosphère, mise en place, en rythme, puis montée progressive en intensité.

Alexandra Grimal Trio : "Shape"
Marge / Futura-Marge / Socadisc

Le discours instrumental d’Alexandra Grimal est à la fois sinueux, volubile, et haché, c’est-à-dire souvent constitué de phrases brèves qui s’enchaînent et se relancent l’une l’autre. Surtout au ténor où elle passe du murmure au son plus ample, mais avec un jeu toujours maîtrisé, sans débordements incontrôlés. Elle privilégie le soprano dans les deux pièces de cinq minutes (4 et 5), lequel s’envole parfois vers les aigus (également sur 7). Insistons également sur l’originalité de ce trio sans basse, mais qui comporte un orgue Hammond et un clavinet Hohner (pas de synthé) qui tissent des trames et des nappes sonores colorées, des ponctuations très fines ; Antonin Rayon se montre comme un musicien très intéressant qui bannit les surcharges et clichés souvent inhérents à l’instrument. Ce que n’évite pas, à mon goût, Emmanuel Scarpa, dont le drumming lourd et peu swinguant (1 et 3) colle tellement au discours du soliste qu’il en délaisse l’accompagnement (une tendance très actuelle de nombreux batteurs adeptes du plein, qui semblent en improvisation permanente, comme si accompagner était une brimade ou une autocensure). Qu’on ne considère pas ma remarque comme sévère ou catégorique, car à partir de la plage 4, son jeu se fait beaucoup plus retenu, resserré, beaucoup plus fin au niveau de la percussion, très maîtrisé et bien plus souple (7). Comme quoi… Que ces quelques réserves ne vous empêchent surtout pas d’écouter ce disque d’un trio qui semble vraiment parti sur de bons rails et laisse présager des développements passionnants.

On ne s’étonnera pas que cette musique, jeune et exigeante, ait rencontré Gérard Terronès comme producteur. Toujours là où les choses se passent, toujours prêt à aider les musiciens, quel que soient leur âge et leur vécu, qui ont quelque chose à dire et l’expriment clairement, il met à leur disposition son ouverture, sa liberté de choix et ses propres deniers : en dehors du légendaire chapeau à larges bords, on ne trouve pas, au dos de ses pochettes, la collection de logos (ADAMI, MFA, SACEM, SPPF, SCPP, Ministère de la Culture, Conseils régionaux, généraux, municipaux, Fonds européens, etc., etc.) qui décorent la plupart des versos des productions françaises. CQFD…


> Alexandra Grimal Trio : "Shape" - Marge 42 - distribution Disques Futura & Marge et Socadisc.

Alexandra Grimal (ts, ss), Antonin Rayon (org, clavinet), Emmanuel Scarpa (dm, perc).

1. Mouvances / 2. En silence / 3. Le Sang n’est pas bleu / 4. Forêts aléatoires / 5. Petite plage / 6. Texture / 7. Suite du temps absorbé..

Compositions collectives.

Enregistré le 30 juin 2008 au Sunset à Paris.


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