Portrait d’un grand musicien de jazz.

Le saxophoniste Huey “Sonny“ Simmons fait partie de ces musiciens mythiques qui enregistrent quelques disques marquants au début de leur carrière pour disparaître ensuite rapidement de la circulation musicale. Du moins “faisait partie“, car, Dieu merci, comme ses contemporains Henry Grimes ou Giuseppi Logan (dont on annonce le retour après 45 ans d’absence, un record !), il a réapparu, notamment en Europe, il y a une dizaine d’années, et a enfin pris sa place dans une Histoire du jazz qui l’avait longtemps négligé, sinon oublié. Il n’avait pourtant jamais cessé de jouer, comme le raconte Julien Palomo dans un intéressant texte biographique contenu dans le livret de 32 pages qui accompagne cette publication. Louisianais né en 1933, fils de preacher baptiste qui emmène sa famille à Oakland, il apprend très tôt la musique, choisit le saxophone-alto (et le cor anglais !) avant de s’associer au saxophoniste Prince Lasha, avec qui il enregistre « The Cry » en 1962 pour Contemporary, le label indépendant le plus avancé de la côte Ouest qui a précédemment publié les premiers albums d’Ornette Coleman.

Autour de Sonny Simmons : le DVD
La vie est belle
/ Arcadès

Fort de ce disque qui leur a mis le pied à l’étrier, Lasha et Simmons tentent leur chance à New York, là où, musicalement, “les choses se passent“ en ces années 60. Ils enregistrent avec Eric Dolphy notamment le fameux Music Matador, une composition de Simmons, avec Elvin Jones et Jimmy Garrison, avec Don Cherry (sans Lasha), mais Simmons ne s’adapte pas à la vie difficile new-yorkaise. Avec son épouse, la trompettiste Barbara Donald, il joue beaucoup, mais souvent loin des projecteurs, et enregistre le contenu de six albums (dont un autre avec Prince Lasha), entre 1966 et 1971. La suite, que nous détaille Julien Palomo, est une succession de hauts et de bas ; les “hauts“, brefs, ne durent souvent que le temps d’un nouveau disque, les “bas“, beaucoup plus longs, voient errer le saxophoniste d’un hébergement précaire à la rue. Et c’est dans une rue de San Francisco, alors qu’il fait la manche, qu’un couple de Français le reconnaît à en 1992. Et l’on peut dire que c’est réellement à partir de ce moment, qu’entérinent deux albums publiés par Qwest (le label de Quincy Jones), que la “carrière“ de Sonny Simmons démarre vraiment. Il a 60 ans ! Apparitions dans les clubs, festivals et tournées en Europe ponctués de nombreux enregistrements, etc.

Autour de Sonny Simmons : le CD
La vie est belle / distribution Arcadès

À partir de 1996, Paris devient le port d’attache du saxophoniste qui y réside sur d’assez longues périodes. Dans une relative indifférence, ajouterai-je, du petit monde du jazz qui a d’autres puces à découvrir autour de son nombril. Et c’est l’existence, plutôt précaire, de Simmons à Paris, que François Lunel nous montre dans le DVD « Together with Sonny Simmons », qui constitue la partie centrale du beau coffret qui fait de l’objet de notre chronique. Un portrait du musicien, mais surtout de l’homme, bosselé par la vie mais pourtant solide et totalement lucide sur son engagement musical, sa démarche artistique et sa quête spirituelle. Certes, le côté un peu amateur du film [1], malgré de belles images, et son montage aussi chaotique que la vie de son personnage, ne permettent pas d’aller en profondeur dans l’histoire du musicien, et le spectateur, un peu frustré, n’apprendra pas grand-chose même s’il rentrera facilement en sympathie avec l’homme.

Troisième volet : un très joli CD, « Filmworks », propose sept pièces jouées par deux duos. L’un, avec Gilbert Sigrist, comprend la musique de « Jours tranquilles à Sarajevo », film du même François Lunel, où Sonny Simmons joue exceptionnellement du ténor ; l’autre, avec Jeff Ryan, reprend, dans leur intégralité, les morceaux joués dans le documentaire. Simmons apparaît, dans ces œuvres apaisées mais non résignées, dans sa pleine maturité. Sa musique conserve toute sa force, et laisse entendre que le saxophoniste a encore beaucoup à dire et à donner. Ce que nous lui souhaitons de tout cœur.


> Autour de Sonny Simmons - La vie est belle EDV 1427 - distribution Arcadès

CD : Sonny Simmons (as sur 1-4-5-6, ts sur 2-3-7), Jeff Ryan (g sur 1-4-5-6), Gilbert Sigrist (p sur 2-3-7).

1. Lost Love / 2. Aborigine Dance in Scotland / 3. Blue Sapphire / 4. Le Bayou Hop / 5. ‘Dem Blues / 6. Beauté non-dite / 7. Too Late for Tears.

Compositions de Sonny Simmons (+ Jeff Ryan pour 1, 5, 6).

Enregistré à Paris le 12 décembre 1997 (2-3-7) et en 2004.


> Liens :

[1Exemple fâcheux : la personne qui a rédigé les sous-titres français ne sait pas écrire les noms propres : Humphrey (Bogart), Thelonious, Oakland, Chambéry !.. et l’on a laissé passer ces fautes qui sautent aux yeux sans corriger.