Dave, Daniel, Stéphane et Jean-Charles sont dans un bateau.

L’affiche est plus qu’alléchante. Incontournable. Rien ce soir ne peut freiner la décision : ni la finale de rugby ( les trottoirs sont envahis de visages peints : les indiens sont de retour ! ), ni le plaisir d’errer le long des rues achalandées, ni les débilités habituelles des étranges lucarnes. Il faut y être. Et nous sommes un nombre certain à avoir eu la même idée : les deux concerts de la soirée sont complets. Oui, les deux concerts le même soir, un à 20 h, l’autre à 22 h. Un genre d’adaptation du jazz en club aux principes du monde sauvagement libéral. Tu voyages en TGV, Nantes-Paris par exemple. Tu descends du train à Paris, les nettoyeurs se précipitent et hop : vingt minutes plus tard, aux suivants !! Deuxième fournée. Un genre d’abattage. Si un jour à venir, la pharmacopée du Tour de France envahit les vestiaires des clubs, on devrait pouvoir envisager un troisième concert à 24 h. Je râle parce que cette manière de faire ( un set de 1h15 ) achève ( au sens de « donner le coup de grâce » ) cette pratique délicieuse d’une soirée de trois sets, coupée de pauses ( il fait chaud, on boit, on élimine ) où se noue une histoire au long cours entre musiciens et entre musiciens et public. Avec parfois, le bonheur d’un « boeuf » final inattendu. Là, tu peux te brosser. À la fin du concert, tu te casses, pauv’con ! Bon, je me calme.

Dave Liebman
Photo © CultureJazz

Sur scène, deux géants qu’on ne présente plus : Dave LIEBMAN ( sax soprano, flutiau, piano ) et Daniel HUMAIR ( batterie ). Accompagnés de deux petits jeunes plus que prometteurs : Jean-Charles RICHARD ( sax soprano et flutiau ) et Stéphane KERECKI ( contrebasse ) qui remplace à l’archet levé Jean-Paul CELEA initialement annoncé.

Dave LIEBMAN en leader à l’américaine : les applaudissements fusent encore qu’il a déjà donné le tempo du morceau suivant et désigné celui qui s’y colle pour l’intro ou le premier chorus, en leader partageur qui met chacun en valeur. Daniel HUMAIR, en jeune homme inspiré, aérien, au toucher parfait, magnifique relanceur, qui pousse et pousse le soliste au bout de lui-même ( « Allez ! », « superbe »...), emmène le groupe dans des variations de rythme casse-gueules qui font penser à un amas de vélos enchevêtrés au bas de la côte, juste dans le virage... et tous s’en sortent à merveille, debout sur les pédales, y allant à qui mieux mieux ( penser à ré-écouter  Brilliant corners, de Monk). Daniel HUMAIR donc, impeccable ( au sens de Don Genaro dans «  l’Herbe du Diable et la petite fumée » ).

Stéphane KERECKI n’est pas là par hasard. Il convient de rappeler qu’il conduit un groupe identique dans sa forme ( batterie, basse, deux sax ) et qu’il tient là une place entière et légitime. Complètement en phase avec le batteur, au service des deux sax et improvisateurs talentueux. On doit se sentir tranquille avec un gars comme ça derrière soi. Jean-Charles RICHARD enfin. Jeune géant généreux qui montre tous les signes du bonheur de se trouver en si bonne compagnie et participe sans retenue aucune à cette fiesta. Il sait tout faire et le fait magnifiquement bien. Une dernière chose : ces lascars pourraient se contenter de bien jouer, genre assurer le minimum syndical. NON. Ils prennent des risques, s’éprouvent ensemble impitoyablement dans ces tempi de feu up de chez up. En rappel, ils nous offrent Well you needn’t de Thelonius Monk. Chapeau bas, Messieurs et Respect.


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