Avec "Another Childhood" en solo, "Amarco" et "Lumières d’Etchmiadzine" en trios acoustiques, "Ways Out" en quartet électrique : l’actualité riche de Claude Tchamitchian méritait une rencontre...
À un an de la sortie de son album solo « Another Childhood », à quelques mois de l’édition du disque du trio improvisé « Amarco », après une carte blanche l’été dernier à l’Atelier du Plateau où il présentait respectivement son duo avec Raymond Boni, son quartet « Ways Out » et son trio « Lumières d’Etchmiadzine », l’actualité riche de Claude Tchamitchian méritait une interview pour le site CultureJazz. Voyons de plus près l’originalité du parcours de ce contrebassiste essentiel de la scène européenne, tant en leader qu’en sideman.
J’ai connu Raymond Boni (guitares) peu de temps après. À l’époque, je vivais à Marseille. Il possède extraordinairement bien le sujet et le langage qu’il exploite et dispose d’une façon très personnelle d’appréhender la musique. Je suis totalement immergé dans son univers incroyable et j’enrichis ma propre vision de son imaginaire. Lorsque je croise des personnalités de cet acabit là, c’est toujours un vecteur de progrès important pour moi même.
Je pourrai en dire autant d’Andy Emler, Daunik Lazro ou Rémi Charmasson. J’ai la chance de passer beaucoup de temps avec ces personnes et il n’y a pas une fois où je me suis dit : « tiens j’ai déjà entendu cela ». On peut entendre des formes similaires, après tout on ne se renouvelle jamais totalement, mais dans le contenu ou le moment où ça se passe, c’est d’une intensité constante.
Dans mon apprentissage de la musique, il y a eu plusieurs périodes. Une première où j’ai écouté beaucoup de musiciens historiques qui apportaient des choses par rapport à leurs savoirs ; j’essayais d’en capter certains. Il y a eu ensuite des musiciens qui m’ont aidé à trouver une sensibilité musicale dans laquelle j’allais m’engager. À ce sujet, les compagnonnages m’ont beaucoup apporté, par exemple avec les membres des différents orchestres Louzadzak : Daunik Lazro, Ramon Lopez, Philippe Deschepper, sans oublier Jean-Luc Cappozzo qui a un don du lyrisme et du chant fantastique. C’est à mon sens l’un des trompettistes qui a le plus beau son qui existe sur son instrument. Il y a également Éric Échampard, François Corneloup, Jean-Pierre Julian, Sophia Domancich, Simon Goubert... et j’en oublie certainement d’autres.
Aujourd’hui, ce sont les personnes avec lesquelles je joue qui me font le plus progresser : Stephan Oliva, Andy Emler, Eric Watson, les musiciens de mon quartet (Régis Huby, Rémi Charmasson, Christophe Marguet), du trio Amarco (Vincent Courtois, Guillaume Roy).
Les trios avec Andy Emler et Stephan Oliva ont la même formule instrumentale mais la musique est radicalement différente. Ma rencontre avec Stephan est plus lointaine que celle avec Andy, de par sa participation au Louzadzak et notre premier enregistrement "Novembre" en trio au début des années 90. Nous jouions ensemble dans le sextet et l’octet de Jean-Pierre Jullian...
A partir du moment où l’on joue avec des musiciens aux identités fortes, ces personnes nous amènent dans des univers très différents. Si je devais avoir une sorte d’homoformisme dans ce que je joue, alors cela voudrait dire qu’il n’y aurait pas de différence fondamentale entre telle ou telle formule, tel ou tel musicien, ce qui sous-entendrait de se poser certaines questions.
Dans le MegaOctet, je retrouve un rôle fondamental de bassiste, un rapport au rythme et à la manière de le faire très enrichissant, grâce à la rythmique de choc constituée par Eric Echampard, François Verly et Andy Emler. Je travaille le rapport au groove, assimilable à une certaine forme de danse, que j’ai toujours adoré mais jusqu’alors peu exploré, parce que mon parcours musical m’a plus emmené vers d’autres choses induites par les musiques improvisées, ou à des clivages orchestraux spécifiques différents de ce rapport étroit au rythme.
J’apprécie aussi les sollicitations qui viennent de musiciens d’une génération antérieure à la mienne. Ils ont parfaitement intégré ce qui s’était passé avant eux. J’ai été partiellement acteur des musiques qu’ils pratiquent. Jouer avec de jeunes musiciens créé une dynamique différente et très intéressante. Je pense notamment au saxophoniste Emile Parisien, avec lequel je devrais prochainement entamer une collaboration.
Il y a à mon sens plus de maturité dans le deuxième album. "Another Childhood" est d’avantage fondé sur la recherche d’impressions, de matériaux musicaux, de choses que je décide d’explorer dans des thèmes un peu plus longs et moins cernés que dans le premier disque solo. Je me suis imprégné de voyages que je n’avais pas faits à l’époque de "Jeux d’enfants". J’ai eu la chance de jouer très régulièrement seul et de pouvoir faire évoluer mon langage, qui s’enrichit avec les musiciens que j’écoute et avec lesquels je joue. Je suis toujours resté très fidèle à des formes qui ont un rapport étroit avec la mélodie, que ce soit dans le choix des matériaux ou des sons utilisés, ou lorsque je joue de simples lignes mélodiques. La mélodie est une forme harmonieuse d’agencements de sons. C’est une sorte de définition de la musique. Ce rapport au chant et au lyrisme ne m’a jamais quitté. "Another Childhood" est un album à la fois plus profond et plus sombre, dans lequel les aspects mélodiques sont présents mais peut-être de façon moins évidente que dans mon premier solo. Je cherche juste à aller plus loin dans l’exploration des choses. Dans certains passages, j’utilise deux archets, technique non pratiquée en 1993. Je complète ainsi les matériaux sonores possibles de la contrebasse. Je possède maintenant plus d’éléments de vocabulaire sur le jeu des harmoniques et des tessitures, clairement identifiables dans l’album.
Plus le temps passe, plus j’ai du mal à dire que c’est un label de musiques improvisées. Aujourd’hui, on imagine que l’improvisation est un univers très abstrait et bruitiste, dans lequel il n’y a aucune écriture et où des formes rythmiques n’existent plus. Ce n’est pas faux, mais définir l’improvisation uniquement comme tel reste très caricatural. Lorsque je joue en duo avec Raymond Boni, en trio avec Andy Emler et Éric Échampard ou avec Vincent Courtois et Guillaume Roy, je me permets de faire des choses soit complètement improvisées, soit issues d’éléments écrits, mais toutes ont un rapport avec le chant, la mélodie, le rythme, l’harmonie... Il ne s’agit pas uniquement d’atmosphères totalement abstraites. Je ne refuse pas l’abstraction mais lorsque je joue, je n’ai pas envie d’associer uniquement cette "image raccourcie" aux musiques improvisées. L’improvisation n’est ni plus ni moins qu’une façon de composer la musique en temps réel avec tous les éléments qui la constituent.
Louzadzak peut donner l’impression d’un collectif, ce qui me fait plaisir. Il y a effectivement une manière d’intégrer tout le monde et chacun peut se sentir un minimum compositeur de la musique qu’il est en train de jouer. J’essaie de traiter la masse orchestrale d’une façon particulière et de travailler sur la façon de générer le chant lyrique à plusieurs, que ce soit dans des moments improvisés, écrits, arrangés, orchestraux ou non. Il y a aussi l’exigence de développer une coloration particulière imprégnée de mes origines, qui explique le nom commun Louzadzak donné aux différents orchestres. C’est le projet dans lequel j’ai le plus interrogé mes racines culturelles arméniennes. Certains de ces aspects développés dans Louzadzak se retrouvent dans d’autres projets.
L’orchestre est actuellement en sommeil : je n’ai pas terminé la dernière partition, qui nécessite un important travail d’écriture. Si tout se passe bien, une prochaine mouture devrait sortir la saison prochaine. Je préfèrerai en parler lorsque la nouvelle formation sera réunie. Ce sera un orchestre d’une dizaine de personnes.
À la grande différence du Louzadzak, Ways Out a un côté pop rock. C’est la première fois que j’ose jouer des souvenirs que j’écoutais dans ma jeunesse, que j’ai toujours adoré. Je suis entouré de musiciens qui ont eu cette même culture musicale et qui savent en faire quelque chose qui reste dans les idées et couleurs du quartet. A quatre, nous sommes d’accord pour interpeler nos origines de cette façon et les donner à entendre sans faire de copie conforme de je ne sais quel groupe.
Tous m’ont intéressé par leur dimension lyrique et compositionnelle. Il n’y a pas un seul de ces musiciens qui va vouloir jouer sur ce qui se passe ou faire son propre solo. On joue dans ce qui se passe et tout se déroule ensemble, comme on peut le voir en musique de chambre ou dans le rock. Cela ne nous interdit pas d’explorer par moment des passages en forme plus réduite que le quartet. La manière d’exposer la musique n’est pas de la forme classique thème-solo-thème. On ne sait même pas si un thème va arriver ou non. Ce qui compte, c’est le voyage orchestral collectif. Une autre volonté très claire avec Ways Out : développer une musique amplifiée aux couleurs électriques en opposition à d’autres projets actuels.
Avec Amarco, nous faisons des clivages harmoniques très simples, qui donnent l’impression de chansons écrites. En improvisation collective, ça ne sert à rien de proposer des choses trop compliquées, que les autres pourraient avoir du mal à capter. Après nos concerts, de nombreuses personnes nous demandent quels sont les thèmes joués alors que tout est improvisé. Il est étonnant de constater que lorsque les auditeurs ont une impression d’organisation dans la musique qu’ils écoutent, ils croient qu’elle est préalablement écrite.
Gaguik Mouradian est un immense artiste de musique arménienne. Depuis longtemps, il voulait faire des choses totalement improvisées. Je voulais de mon côté entreprendre un travail de recherche plus approfondie en petite formation autour de mes origines arméniennes. Nous nous sommes donc rencontrés et une discussion musicale est née naturellement. C’est aussi grâce à Gaguik que je parle un peu l’arménien. Il dispose d’un phrasé très atypique, qui effectivement évoque des couleurs de musiques du monde, mais le contenu même de son propos est assez différent. Nous nous serions rencontrés dans un quintet ou sextet, l’aboutissement n’aurait certainement pas été le même.
Je suis très content de renouer une collaboration en duo avec le saxophoniste François Corneloup. J’ai vécu des choses très intenses à l’époque de son premier trio. Le répertoire s’appuie sur des matériaux écrits, majoritairement apportés par François, qui tend à aller vers quelque chose avec de plus en plus de liberté.
J’ai repris mon travail en duo avec Raymond Boni. Après tous les moments passés en acoustique, cette fois-ci nous cherchons un autre rapport au son avec des éléments amplifiés. L’imaginaire de Boni ne s’épuise jamais, on peut toujours aller plus loin.
Pour le futur, comme je le précisais tout à l’heure, je travaille sur le prochain répertoire du Louzadzak. Une prochaine collaboration avec un orchestre de Jean-Pierre Jullian devrait se faire. J’ai été sollicité pour un nouveau quartet avec Emile Parisien, Sylvain Darrifourcq et Frédéric Dousteyssier. J’ai la chance d’être très occupé. J’évite de me disperser pour mener à bien toutes ces sollicitations.
Propos recueillis par Armel Bloch dans le cadre des 24èmes Rencontres Internationales de Jazz de Nevers
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