Travail de mémoire et de réconciliation.

Le 16 août 1943, 317 habitants, hommes, femmes et enfants, du village de Kommeno en Grèce, étaient massacrés par la Wehrmacht. Le 25 août 1943, naissait à Dresde en Allemagne nazie, Günter Sommer. Chacun appréciera, près de 70 ans plus tard, cette étrange coïncidence de dates. En 2008, le grand percussionniste est invité à donner un concert à Kommeno, où il apprend ce qui s’est passé là pendant la guerre. La nuit précédente, il lit l’ouvrage que l’historien allemand Hermann Frank Meyer a consacré à la tragédie, et, le lendemain, dédie son concert aux villageois. Il rencontre une survivante, Maria Labri, et décide de travailler à un projet musical sur le sujet.

Günter "Baby" SOMMER : "Songs for Kommeno"
Intakt / Orkhêstra

Le choix de le réaliser avec des musiciens grecs s’impose à lui. Dès 1979, Sommer avait rencontré le saxophoniste-clarinettiste Floros Floridis et le pianiste Sakis Papadimitriou. Impressionné par la qualité et la richesse du jeu de Floridis, qui combine les acquis de la musique grecque folklorique et les techniques d’improvisation du jazz contemporain, il forme un trio avec lui et le contrebassiste allemand Peter Kowald. À la mort de Kowald en 2002, c’est Spilios Kastanis qui prend la place. Vont s’ajouter, pour la réalisation du projet, deux musiciens qui conjuguent la tradition et la modernité grecques, le poly-instrumentiste Evgenios Voulgaris et la vocaliste Savina Yannatou.

Véritable travail de mémoire et de réconciliation, le résultat est à la hauteur de l’enjeu. La construction de ces huit "chants" a été longuement élaborée, préparée et particulièrement soignée. La beauté et l’harmonie des instruments et voix, les contrastes et alliages musicaux, les interventions solistes, tout se fond en un ensemble homogène et totalement original, preuve que le "jazz" peut révéler encore des paysages sonores insoupçonnés pour peu qu’on se donne la peine et les moyens d’y parvenir. Rien n’est traité en surface, au contraire, l’authenticité de la démarche sourd continuellement, en particulier lorsque Maria Labri (la survivante) intervient et raconte le drame auquel elle a, par chance, échappé.

En dehors de Sommer et de ses compagnons, il faut également rendre hommage au superbe travail d’édition effectué par le producteur Patrik Landolt : un livre de 150 pages est joint au CD ; trilingue (grec-allemand-anglais), il contient notamment une résumé historique, des témoignages, une interview de Sommer, etc. Au total, une œuvre forte et magnifique dont chacun sort grandi.

Songs for Kommeno - Günter "Baby" Sommer - Intakt Records / Orkhêstra

P.S. On aimerait que les oreilles françaises, souvent étriquées, sinon un tantinet xénophobes, s’ouvrent un peu plus à l’extérieur, elles y découvriraient des richesses qu’elles ne soupçonnent pas. Cela aussi c’est écouter et reconnaître l’Autre. Un organisateur ou un festival s’honorerait en mettant à son programme ces "Songs for Kommeno".


Günter "Baby" SOMMER : "Songs for Kommeno" - Intakt CD 190 - distribution Orkhêstra

Günter "Baby" Sommer (dm, perc, dir), Savina Yannatou (voc on 02, 03, 04), Floros Floridis (ss, cl, bcl), Evgenios Voulgaris (tambour yayli, oud), Spilios Kastanis (b).

01. Tears / 02. Lost Ring / 03. Andartes / 04. Marias Miroloi / 05. Arachtos / 06. Lullaby / 07. Children Song / 08. Kommeno Today.

Cinq compositions de Sommer, deux de Voulgaris, et une de Floridis, enregistrées à Berlin entre mars 2011 et avril 2012.

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