Journal de bord de scènes

La 34ème édition de l’Europa Jazz Festival s’est achevée au Mans le 12 mai. Alain Gauthier a suivi le final du 7 au 12. Son récit et les photos de Michel Legeay.

Mardi 7 mai

À la Collégiale Saint-Pierre-La-Cour, le rituel annuel reprend : concert acoustique solo. Couasiment une performance au sens artistique du mot.
Régis HUBY, violon, s’y colle pour une grosse heure de musique ad libitum, improvisée et née va savoir où-de-quoi.

Régis Huby - Le Mans/Europa Jazz - 7 mai 2013
© Michel Legeay
© Michel Legeay

Après deux pièces de mise en jambe, en archet et en harmonie avec le lieu, le public et l’instant, il lâche les chevaux :
en pizzicato ( bonjour les articulations ), une pièce qui invite au voyage, à la rêverie exotique entre noria au creux d’un oasis et boîte à musique. Entre grincements du métal qui frotte sur le moyeu de la roue et ostinato têtu qui va se développant, s’enrichissant, s’amplifiant ; des grains de sable s’incrustent entre nos orteils. À peine le temps de se secouer les pieds et Huby, au même endroit, dans la même configuration -seul avec lui-même_ transforme sa petite boîte, ses quatre cordes et son archet en un magnifique ensemble polyphonique. Avec de fortes réminiscences d’un précédent solo de Evan Parker au sax soprano, faisant lui_aussi vibrer les murs de la collégiale comme si un symphonique s’y déployait.
Parker, sors de ce corps !!
Une petite dernière en guise d’apéro (il est 13 h ), du côté des aigus fabriqués avec délicatesse par les doigts à peine en contact avec les cordes..... et c’est déjà fini.
Question : si on considère ce solo comme la performance d’un sportif de haut niveau, comment Régis HUBY récupère-t-il de sa fatigue musculaire, articulaire, auriculaire, pédiculaire, latêtenlair, hein ?

La Fonderie

Frasques orchestra
Les fondus de la Fonderie ont bien fait de se protéger de la chaleur en entrant dans cette salle où il fait bon s’asseoir et vacuiter.
Emporté par une grande émotion, le présentateur nous parle d’une musique aux confins avec des tas de... Mais aux confins de quoi ? Avec des tas de quoi ?
Ils entrent et, c’est évident, il y a tromperie sur la marchandise.
Qui dit Frasques dit déconnades, blagues, farces, rigolade : piquer l’instrument de son voisin, planquer son archet, roter dans le micro, tricoter les câbles, arriver en retard tout nu....
Non. Ce Frasques Orchestra s’installe sans bruit, sans manifestation façon FEMEN, chacun/e derrière son pupitre. On n’est pas dans une phanphare des bozarts ou dans une batucada de quartier mais dans un décaband discret et malin avec :
trois percussionnistes, Guillaume HAZEBROUCK au piano, Kit LE MAREC au vibraphone, Matthieu DESBORDES à la batterie.
un quartet à cordes : Antoine POLIN à la guitare, à la contrebasse mais c’est qui le mec qui remplace Sébastien BOISSEAU ?, Héloïse LEFEBVRE au violon, Valentin CECCALDI au violoncelle ( oui, Mââme Michu, vous avez raison, les Ceccaldi on ne voit qu’eux en ce moment, le Valentin et le Théo ),
et un pupitre de vents devant : Olivier THÉMIMES aux clarinettes, Jean_Baptiste REHAULT aux sax baryton et alto, Pierre_Yves MÉREL aux sax ténor et flûte.
Tout de suite, dés le début, d’emblée, sans se prendre la tête par l’oreille, c’est beau. Ça sonne, ça pulse, ça envoie. Le duo violon_violoncelle sonne comme un philharmonique et vient apaiser le pupitre de sax-clarinette, le vibraphone tisse des nappes ou percute un bref motif ici ou là.
Chaque morceau met en valeur un soliste. Bien arrangé, bien foutu, ça swingue, ça ostinatote, ça dialogue par paire, par trio. Trop bien.
Une musique à voyager aux confins d’un monde que nulle agence de voyages ne propose ; imaginez-vous vautré au fond d’un canapé, votre écran mental allumé. Image panoramique 50 millions de pixels, des couleurs, fond rétro-éclairé, mise au point couplée aux mouvements des yeux intérieurs, là où vous n’avez jamais rêvé d’aller et la bande-son cékicékoi ?
Funambule, Corner, Le rêve d’Icare, Sortilège, Les eaux amères, Bibelot, Isadora..... tout ça interprété par le Frasques Orchestra. Somptueux.
Voilà : vous pouvez les inviter dans votre salon, ils ne font pas de cochonneries, ne se mouchent pas dans les rideaux, sont propres sur eux et ils font de la belle musique.

Mercredi 8 mai

Au bord du marché local, deux u-m-pistes en train de tracter « l’échec » le jour de la « Victoire ». Un mec énervé et rigolard s’approche et demande à voix haute :
- Ah, vous êtes de l’UMP ? Donnez-moi le tract de l’union des mauvais perdants.
La tracteuse fait la gueule, avec un faux air de Morano attendrie.
- L’Union des Mauvais Perdants, quelle trouvaille !!!

La Collégiale

Émilie Lesbros - Le Mans / Europa Jazz - 8 mai 2013
© Michel Legeay
© Michel Legeay


Salle comble pour le concert d’Émilie LESBROS, voix, guitares, violon.
Une voix qui s’installe là et partout dans cette enceinte, vibre, ricoche, résonne, le temps qu’Émilie entre en synchronie avec le lieu et l’instant avant de prendre place sur la scène.
Une voix dans un corps dans la collégiale, comme une série de boîtes à musiques dont on ne sait laquelle contient et magnifie l’autre.
Les yeux fermés, on entend un mélange de chant grégorien, japonais, tibétain, un truc diphonique-triphonique-quadriphonique… qui se promène le long d’une tessiture illimitée. LE chant d’Émilie.
Un bourdon têtu à l’archet sur la guitare ; Cathy BERBERIAN et Meredith MONK flottent dans les cintres.
Une séquence gromelot pour une conversation dans un idiome rare du Boukistan.
Un début façon koto pour nous chanter « Nothing to say about anything ».
Et des textes dits-parlés-vocalisés « Ne te pose pas de question sur l’attraction terrestre ».
À l’écouter, un mot s’impose : « précieux ». C-à-d qui a du prix, qui est rare, d’une délicatesse extrême.
Juste la voix qui va bien dans ce lieu.
Un chant en anglais pour terminer : ni protest song, ni rock gentil, ni punk à crête ni chanson réaliste.
Non, juste Émilie LESBROS et la musique.

La Fonderie
Marcel et Solange
, un trio composé de Gabriel LEMAIRE aux sax et clarinette, Valentin CECCALDO ( parce qu’un Ceccaldo, des Ceccaldi, non ? ) au violoncelle et Florent SATCHE à la batterie.
Qui sont Marcel et Solange ?
Il et elle ( qui n’est pas là p’ésentement, bwana, elle se ’epose ) ont enfanté Jean-Pierre. Lequel JiPé possède un cochon. Un cochon, oui, un porc. Nommé Pâquerette. Qui a terminé dans un sandwich, oui, au jambon blanc. Entre le beurre et le beurre, le pain et le pain.
L’histoire bienheureuse de Marcel et Solange se révèle au gré des titres des morceaux : René, Crayon noir, Bruges, Champ de patates, Pâquerette, Méandre, Patrie, Doug et Marcel.
- Mais, ils ont joué de la musique ?
- Ah ben oui. Ils étaient là pour ça.
- Et alors ?
- J’me souviens de rien, j’ai dû exagérer les doses de médoc.

À l’abbaye de l’Épau

Moutin Réunion ouvre la soirée : François MOUTIN à la contrebasse, Louis MOUTIN à la batterie, Pierre de BETHMANN au piano et Rick MARGITZA au sax ténor.
Une question s’impose : pourquoi les Moutin jumeaux jouent_ils en quartet ? Pourquoi deux acolytes (et pas des acolytes anonymes), quand Louis MOUTIN prend toute la place ?
Oui, d’accord, il a la passion de son art, oui, avec ses grands bras et sa débauche d’énergie et son envie de partager et oui et oui et oui. Mais il en met partout. Jusqu’au plafond. On dirait un sale gamin qui saute à pieds joints dans la flaque et qui inonde tout le monde avec générosité. Il confond écoute, relance et conversation avec poussez-vous que je m’y mette !!! En particulier pendant un délicieux chorus de De Bethmann, écrabouillé par la canonnade. Trop c’est trop. Comme s’il avait fait sienne la devise du rouleau compresseur : « je roule sur vous ».
Mon radar acoustique personnel présente des statistiques étonnantes du volume sonore et du spectre spatial des éclaboussures alentour. La zone d’impact déborde du triangle qu’ils forment, le volume sonore dézingue les sonotones, pffff : on dirait une scène de bombardement. Il ne reste rien. Des gravats assourdis ( eux aussi ), de la poussière qui hésite à se poser sur le sol (il va recommencer l’autre, là ? )....
Oui, ça fait du bien quand ça s’arrête, Paulette et merci de nous avoir donné encore plus envie d’écouter le Joshua Redman quartet.

Joshua Redman - Le Mans / Europa Jazz - 8 mai 2013
© Michel Legeay
© Michel Legeay

Le Joshua REDMAN quartet, lui-même aux sax ténor et soprano, Aaron GOLDGERG au piano, Reuben ROGERS à la contrebasse, Gregory HUTCHINSON à la batterie vient clore cette journée de la victoire.
Il y a eu une voix avec Émilie LESBROS, là il y a un son avec ce sax. Un son d’une intense présence : dodu, rond, velu, puissant, couillu, de toute beautu, Le son qui frappe en plein buffet et dérange la vaisselle sans briser un verre. Bonjour le phrasé et l’articulation. Propre, net et sans bavures ( comme on dit chez les keufs en rengainant son pistolet à bouchon).
Le mot clé, c’est l’unité du quartet. Une balance parfaite (merci les gars du son, c’est cadeau ), ni trop fort ni trop faible, chaque musicien ouïssable dans son solo et dans le quartet. Et une écoute mutuelle qui tient lieu de support, d’appui, de relance et de complétude.
L’éclectique programme stimule le spectateur : thèmes à la facture classique ( thème, pont, thème, impro ), un blues d’une simplicité originelle que si t’enlèves une note, que reste-t-il ?, avec des chorus d’aujourd’hui et un solo de piano à choir de l’escabeau où nous sommes tous emmenés, un tempo high speed ( oui, on sait jouer rapide aussi, voilà, ça, c’est fait ), une pièce de Bach ( sans piano ) et tout ça dans une créativité qui donne l’impression d’un puits à idées musicales inépuisable.
Merci, Monsieur Redman pour la leçon de musique.

9 mai

La Collégiale

Pierre Durand - Le Mans / EuropaJazz - 9 mai 2013
© Michel Legeay
© Michel Legeay

Pierre DURAND. Une chaise, une bouteille d’eau, une serviette, deux amplis, une guitare sur son support, des pédales d’effets et des trucs à bidouilles électroniques. Oui, ce lieu réservé aux concerts acoustiques se tape un extra au pays de la fée électricité, une fois n’est pas coutume ni tradition.
Ça commence avec le velouté d’une coulée de miel d’acacia qui roule sur la langue, pour un hommage à la Nouvelle Orléans et ses talentueux musiciens. Doux en bouche et à l’oreille, lisse comme une soie sauvage aux canines limées, gouleyant comme un coteau d’Aubance.
Ça se termine avec le souvenir du sucre qui fond sur la langue.
Puis, tant qu’à voyager le cul sur une chaise, Pierre DURAND nous emmène en Afrique à dos de dobro dont il use comme d’une kora, le bruit de casserole métallique en plus. Mystère de l’improvisation et hommage à Coltrane via le bien connu « Raga pour une seule note » qui prend tout son temps et même plus encore. Hommage à John Scofield, puis une vraie_fausse chaconne de Bach et un tour de barque avec les gamines effrayées du film « La nuit du Chasseur ».
Il tient un propos sans compromis sur le jeu du guitariste qui doit privilégier le son, l’intention, le groove plutôt que le nombre de notes. Ouais, la qualité plutôt que la quantité, c’est pas gagné.
Déjà une heure écoulée, comme le temps de notre vie passe vite, Bénédicte.

à l’Abbaye
Miguel ZENON
au sax alto, Laurent COQ au piano, Dana LEONG au violoncelle et au trombone, Don WEISS à la batterie empoignent « Rayuela », texte de Cortazar, qui a inspiré les différents morceaux du programme.
Avec ces gars_là, ça ne rigole pas, ça assure mieux qu’à la MAAF. Des pros qui envoient. Chacun son tour. Évidemment, pour cette dernière date de leur tournée européenne, ils se connaissent par cœur. Pas besoin de se regarder.
Aucune-aucune-aucune-hési-tation.
Mais ces mecs qui assurent grave, transpirent-ils ? Ont_ils des auréoles sous les aisselles ? Est-ce qu’ils puent la sueur au point de partager leurs phéromones avec nous autres assis là, devant eux, sans un frémissement de cil, Cécile ?
Un peu d’émotion, les gars, ça aide. Sinon, y’a les disques à la maison.

Second concert du même soir : Ibrahim MAALOUF
Accueilli comme une star, entouré de Frank WOESTE au piano, Ira COLEMAN à la contrebasse, Mark TURNER au sax ténor et de Clarence PENN à la batterie, MAALOUF nous la joue plateau télévisé. Je vous raconte une histoire chiante et longue, avec des effets convenus, même si vous ne m’avez rien demandé ( mes névroses et mes obsessions en direct de chez Mireille Dumas ), je fais prout prout avec ma trompette, je m’entoure de cadors de grand luxe sous_utilisés et je finis avec une ritournelle qui a fait le buzz en invitant le public à la chantonner ( séquence émotion : je l’ai écrite pour ma petite fille ).
Il y a belle lurette que les fantômes de Miles Davis, Chet Baker, John Hassell ou Arve Henriksen se sont fait la paire, la belle et la malle pour une jam session céleste et torride. Grand bien leur fasse !!
Les partenaires de Maalouf sont à deux doigts de pioncer sur scène. Heureusement qu’il existe un appui-tête pour le contrebassiste et un support de menton pour le saxophoniste. Quel ennui !!
Et contradiction terrible : jamais la salle n’aura été aussi emplie. Ce qui est bon pour le trésorier...
Enfin, Le Maalouf (coup droit du fond du court ) nous apprendra à la fin du concert qu’il a été nominé artiste de l’année aux Victoires du Jazz 2013 ( décision à venir le 28 juin prochain à Vienne ).

10 mai
La Collégiale

Sa chère et tendre le lui avait dit et répété : « Mais si papi, c’est de l’accordéon. Perles de cristal, La valse des patineurs, La guinguette a fermé ses volets, la Valse pour Alex. Tu vas aimer !!! »
Et Pascal CONTET, accordéon solo, tient un discours liminaire façon France Culture dans son émission quotidienne « Les amis de l’accordéon » à propos des cases dans lesquelles d’aucuns rangent la musique, les musiques. Et entame son solo par une pièce de Couperin, François de son petit nom, une œuvre de musique d’anticipation qui s’appelle-ça ne s’invente pas : « la visionnaire ».
Pascal CONTET ne s’en laisse pas conter et n’en fait qu’à sa forte tête : 100% hors case. Pas question de jouer aux échecs avec ce gars-là : trop de cases.
Nous avons eu, en phase avec la majesté du lieu, une basse continue et sa nappe de sons (140 par 200, tissée mains, à très petits carreaux, aux couleurs indéfinissables) puis un accordéon à percussion « Poussière casse_toi !! » suivi d’un truc pas du tout explicite planqué-caché-celé et qui transpire peu à peu, trame harmonique oblige, pour se terminer dans la case « blues ».
Et hors des cases convenues, que trouvons_nous ?
Des motifs entêtés comme des ostinati, des sons, du silence, du rythme. Caramba : sortir des cases pour en retrouver une autre, une non_case ? une méta case ? Une patriciacase ?
Chercheur de passerelle, Contet nous offre au rappel une courte pièce de Jacques Rebotier « Peut_être » où il fait le comédien-musicien. Nouvelle case.

Pascal Contet (avec Camille) - Le Mans / EuropaJazz 2013
© Michel Legeay (soirée du 7 mai : "Pascal Contet invite...")
© Michel Legeay

La Fonderie
Marilyn CRISPELL
, piano et Gerry HEMINGWAY, batterie et vibraphone, se connaissent et se pratiquent depuis des années. Ils savent que leur musique émerge de la qualité de leur relation musicale et donc de leur attention l’un à l’autre, de leur écoute. Musique improvisée in situ sans surprise, classieuse, mais rien de nouveau sous le soleil pâlichon du jour, comme si cette musique tournait en rond. Si l’on accepte qu’il n’y a pas de liberté sans contrainte, alors, pourquoi ne pas ajouter quelques contraintes ? Histoire de tester la liberté du moment ?

L’abbaye
Collignon/Jus de BOCSE
joue King Crimson

Médéric Collignon à l’affiche du 34è Europa Jazz festival
© Europa Jazz Festival

Depuis sa création au Triton en juin 2011, cette pièce s’est bonifiée. Terminée la tension du défi à relever avec ces vaillants musiciens embarqués dans l’aventure.
Place au chaud show et ils s’y collent ce soir :
Médéric COLLIGNON , trompette, voix et sarcasmes, Yvan ROBILLARD Fender Rhodes, Philippe GLEIZES batterie, Emmanuel HARANG contrebasse ;
premier quatuor : Anne LE PAPE et Youri BESSIERES violon, Théo CECCALDI alto, Valentin CECCALDI violoncelle,
second quatuor : Widad ABDESSEMED et Marius PIBARET, violon, Cécile PRUVOT alto, Matias RIQUELME violoncelle.
Collignon prend le temps de faire respirer les morceaux, raconte, as usual, ses petites blagues sous-titrées « je rigole » et pleines de vérités dont ce smash au filet, saignant comme un coup de couteau dans une pastèque : il nous annonce qu’il a été nominé lui aussi aux victoires du jazz mais pas dans la même catégorie : lui, c’est en musique. Smash, point, set et match !!
C’est ce soir LE concert de référence, celui à l’aune duquel les groupes déjà entendus et les prochains seront évalués. Oui, évalués. Osons ce mot.
Ici, ça transpire, ça vibre, ça oscille ; les huit cordeux bougent et bougent, tu veux de l’émotion en voilà, accroche-toi à ton plexus. Deux rappels. Dont un, avec une pièce chantée sur fond de smartphone. Droit en plein coeur.
Voilà : la tornade Collignon vient de passer, ne refermez pas les fenêtres, respirez le vent du grand là_bas qui s’est invité ici et laissez résonner toutes ses vibrations jusqu’à leur extinction, cette nuit, peut-être ou pas.
Il a répondu à la seule question qui vaille : y a-t-il une vie avant la mort ?
Pour les curieux, voir ici la chronique de la création King Crimson.

11 mai
La Collégiale
KASSAP
, une timbale, des clarinettes. Et la voûte qui n’attend qu’un son pour vivre.

Sylvain Kassap - Le Mans / Europa Jazz - 11 mai 2013
© Michel Legeay
© Michel Legeay

Donc Kassap. Qui se lâche pour quelques impros pas du tout convenues (ce qui est la moindre des choses ) : la petite clarinette ( en Fa ? ),la grande en siB, la basse, une demi SiB, puis deux demi SiB. Oui, deux moitiés du chalumeau et donc deux embouchures. Ou comment jouer deux morceaux avec un seul instrument. Et le final : une pièce qui démarre avec le ronflement d’une voiture qui passe dans la rue, qui développe un quelque chose tout en douceur et en profondeur, qui s’achève avec le passage ( involontaire !!! ) d’une autre voiture dont le ronflement meurt avec le son de la clarinette ( et vice versa ). Un clin d’œil à Tony Scott et son disque Music for zen ?

À la Fonderie
Marty EHRLICH
et Myra MELFORD sont venus spécialement des USA pour ce concert. Si si !!

Myra Melford et Marty Ehrlich - Le Mans / Europa Jazz - 11 mai 2013
© Michel Legeay
© Michel Legeay

Armand MEIGNAN, le taulier du festival, le dit et le répète : rien que pour nous. Le dernier des économistes effarés sort son téléphone et sa calculette intégrée : San Francisco_Paris : 11h 18. Paris-Le Mans à la louche de collectivité : 2 h. Bon, on est déjà à une vague estimation de 24h de voyage pour 1 h de concert. Il y a la sardine de Marseille qui …., et voilatipas qu’au Mans aussi, la rillette boucherait le port de l’Huisne ? Après une pétition en ligne et une manifestation improvisée ( normal pour un festival de jazz ), la rectification est faite : Myra donnera d’autres concerts en Europe. On respire. Y’a plus que l’UMP qui s’en sort pas avec sa compta.
Myra MELFORD au piano, Marty EHRLICH au sax alto et à la clarinette. Une poignée de partitions. Tiens, des partitions ? Donc des choses écrites ? Oui, ils interprètent quelques œuvres ( la contrainte ) et improvisent ( la liberté ) à partir de ces mêmes œuvres. Elle joue avec sa bouche, elle mâche sa musique et des notes muettes en jaillissent comme un bouquet du mois joli.
Pas de prise de tête, du simple et beau, ils n’ont l’air de rien, des gens qu’on croise dans la rue dans savoir quelle richesse les meut. Et cette simplicité se retrouve dans leur musique. Pas de trucs, pas de fidélité à la tendance du moment, juste la fidélité à eux-mêmes.
Des impros avec des séquences de notes conjointes do-ré-mi : oh, hérésie de la mélodie : ils osent.
Et tout ça nous va droit en plein coeur. De l’émotion vraie, à l’ancienne (produit du terroir, diraient les marketeux sans vergogne).
Merci à vous deux d’être venu esspécialement pour nous à l’EuropaJazz.

L’abbaye
Soirée Patrimoine.
Le Aldo Romano New Blood composé de Aldo himself à la batterie, l’ami de toujours Michel BÉNITA à la contrebasse, Alessandro LANZONI au piano et Baptiste HERBIN au sax alto porte bien son nom.
Il s’agit d’une perfusion de jeunesse pour Aldo dont les 72 printemps connaissent leur décembre. Non, le dopage n’est pas interdit dans le jazz, l’acharnement thérapeutique non plus. Pas encore. Aldo Romano jette ses forces dans la quête vaine de ses vingt ans disparus et de l’époque où il jouait avec Jackie Mac Lean, ce qui donne aux jeunes spectateurs l’opportunité de découvrir comment on jouait de la batterie à la fin du siècle dernier et à tout le monde le grand plaisir de découvrir les vigoureuses jeunes pousses du jazz de demain, l’explosif Baptiste Herbin qui n’est pas sans rappeler les furieux de la vélocité tel Art Pepper et Alessandro Lanzoni, vingt balais aux prunes !!! Oui, ces mecs là dépassent leurs aînés par la technique que ceux_ci leur ont transmis et par cet atout irremplaçable mais si fugace : leur jeunesse.
Au rappel, nous n’échapperons pas à l’inévitable El Camino du même Aldo.

Henry Threadgill - Le Mans / Europa Jazz - 11 mai 2013
© Michel Legeay
© Michel Legeay

Comme l’annonce le programme du festival, la musique de Henry THREADGILL est un régal pour les oreilles, les sens et les cœurs.
Bon, autant dire que le départ précipité d’un nombre non négligeable de spectateurs dès l’entame du premier morceau laisse à penser que tout le monde ne dispose pas d’oreille, de sens et de cœur.
Ou que le régal n’était pas au rendez-vous. Ou qu’on ne se régale pas des mêmes choses...
Il faut convenir que les cinq musiciens, Henry THREADGILL sax alto et flûte, Jose DAVILA, tuba et trombone, Christopher HOFFMAN, violoncelle, Liberty ELLMAN, guitare et Elliot KAVEE à la batterie n’ont rien fait pour rencontrer nos références musicales usuelles. Cinq mecs qui passent leur temps à jouer cinq morceaux différents au même moment ( bon, c’est l’impression que ça donne... ) et qui semblent prendre un malin plaisir à ne jamais jouer ensemble, comme si cet orchestre avait pour projet de déstabiliser l’auditeur grâce à un patchwork dont les bouts s’avèrent impossibles à coudre ensemble ; sans envolées lyriques mais des phrases brèves, taillées à la machette, du gros son paroxystique à l’alto.
C’est chose faite pour la déstabilisation. Il n’y a eu, ici, au siècle dernier, que Noël AKCHOTÉ pour tenter et réussir (en partie) à vider la salle plus vite.
Ils y mettent tant de coeur que découvrir leur univers retient les spectateurs curieux jusqu’au terme de l’aventure. Avec un rappel SVP !!!
Et si on ne reste pas ici, à ce concert, où prendrons_nous la peine ( et le plaisir ) de les écouter ? À la télévision dont Groucho Marx disait, je cite « Je trouve que la télévision est très favorable à la culture. Chaque fois que quelqu’un l’allume chez moi, je vais dans la pièce à côté et je lis. » ?
En bouche, il demeure un arrière goût de Art Ensemble of Chicago à l’époque où rejeter/détourner/déborder la musique blanche était un passe-temps très couru. Relire Free Jazz Black Power (Philippe Carles et Jean-Louis Comolli) paru il y a 42 ans.

12 mai
Ni Collégiale ni Fonderie pour le dernier sprint. Direct à l’Abbaye de l’Épau avec le Levallet quintet

Didier Levallet - Le Mans / Europa Jazz - 12 mai 2013
© Michel Legeay
© Michel Legeay

Deux mecs pour une rythmique solide de chez solide : Didier LEVALLET à la contrebasse et François LAIZEAU à la batterie.
Trois souffleuses : Céline BONACINA aux sax alto et baryton, Airelle BESSON à la trompette et Sylvaine HÉLARY aux flûtes.
Enfin un orchestre dont on ne peut dire qu’il est sévèrement burné !!! Trois femmes pour deux hommes : la parité en acte.
Dés les premières notes, ça le fait. Ça, c’est_à_dire qu’on est chopé, saisi, attrapé. Inutile de finasser, ça sonne rond, plein et sur le premier morceau, Antigone’s choice, Airelle BESSON y va d’un solo pas du tout négligeable. D’ailleurs, j’ai décidé de la nominer aux victoires de monjazzàmoi.
Des chorus construits par des raconteuses d’histoires qui font du bien. Comme si après l’avalanche de jeu out d’hier, on re-trouvait un équilibre avec le mélodieux, l’harmonieux, le connu, quoi.
D’accord, elles ne se sont pas complètement lâchées, en particulier sur O.A.C., hommage à la free music mais quel beau pupitre de souffleuses.
Le rappel nous vaudra une pièce de Mongezi FEZA, « Sonia », qui fait entrer d’un seul coup l’Afrique du Sud, Chris McGregor, Brotherhood of Breath...

Elisabeth Kontomanou - Le Mans / Europa Jazz - 12 mai 2013
© Michel Legeay
© Michel Legeay

Élisabeth KONTOMANOU, chant
Piochant allégrement dans le grand répertoire de la soul, du gospel, du blues et du jazz, Élisabeth Kontomanou nous interprète :
Sometimes I feel like a motherless child (poignant ),
Midnight sun de Lionel Hampton ( un monument de précision et de justesse ),
Summertime de Gerschwin revisité par le contexte esclavagiste qu’elle prend soin de nous décrire, God is love de Marvin Gaye (oui, maurice dieu a été très présent )
You let me down puis the upper room (oui, chantée aussi par la grande Mahalia Jackson).
Quelle voix !! Dans la pure tradition de ses talentueuses ascendantes : Billie Holliday, Mahalia Jackson, Ella vous-savez-qui, Sarah Vaughan, etc...
Et aussi cette chanson si triste qui a tout de notre époque : une fille marche dans la rue, le nez sur son smartphone, écrivant et recevant des SMS, questionnant le mythique Meetic « Meetic, oh mon beau meetic, dis_moi qui est ... ??? ». Ça n’a pas l’air d’aller terrible parce qu’elle chante « I go back home to live with gode ». Comme quoi le monde des objets....le pire et le meilleur...
Elle a tenté de nous faire taper dans nos mains sans insister...ouf …., de nous faire chanter un riff... sans insister... re_ouffff.
Elle a laissé son fils, Gustav KARLSTROM, au piano, y aller de son propre chant ( et il va bien, merci pour lui ) et terminé, a capella, par une grande note d’espoir « ça ira bien demain » sous_titrée « avec et grâce à dieu merci » qui s’avère une judicieuse ( et méconnue ) prolongation de l’historique « Ah ça ira, ça ira ».
L’EuropaJazz 2013 s’achève. Vive la prochaine mouture !!!


Nous tenons à remercier tout particulièrement Michel Legeay qui nous a confié quelques uns de ses clichés réalisés lors de cette 34ème édition de l’Europa Jazz Festival. contact courriel.
Et merci aussi à Charlotte Rivière, directrice de Production de l’Europa Jazz, qui nous a mis sur sa piste !


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