Quelques musiciens afro-américains...

Le festival Banlieues Bleues, qui se déroule en Seine-Saint-Denis, affirme dans sa publicité être un festival de jazz. On peut en douter. Certes, il y a la caution de quelques musiciens américains, quelques européens qui sont plus ou moins dans cette tradition, mais pour l’essentiel les artistes présentés ont peu à voir avec cette musique d’origine afro-américaine savante (The Great Black Music, opposée à la Great White Music, dans les années 60) qu’est le jazz. Celui-ci est au mieux un ingrédient parmi d’autres pour faire une musique auto-référencée, comme l’a remarqué un de mes amis corniste. Les programmateurs donnent l’impression à un public qui préfère les musiques européennes improvisées, plus adaptées sans doute à leurs habitudes auditives, que le jazz n’est plus joué que par des vétérans. Il n’en est rien, cela est simplement le résultat du manque d’information, les revues françaises se consacrant plus aux musiciens français (les revues anglaises aux musiciens anglais, espagnoles aux musiciens espagnols etc.), ce qui correspond aux goûts du public. Le jazz est une musique très vivace aux USA, mais les Français n’en savent rien, leurs revues étant trop liées à la communication des grands groupes d’édition musicale, dont ils sont probablement très dépendants financièrement à travers la publicité.

Ceci dit, j’ai été voir comment quelques musiciens afro-américains assez âgés pouvaient encore faire de la musique.

Kahil El Zabar - Banlieues Bleues, mars 2014
© Philippe Paschel
© Philippe Paschel

Le concert inaugural [1], qui a eu lieu à Saint-Ouen comme c’est la tradition, débutait avec Kahil El Zabar (Chicago 1953) dont le groupe Ritual trio présentait un saxophoniste peu présent, jouant aussi du piano médiocrement, et un contrebassiste impeccable. Ils jouèrent une musique joyeuse, dans la tradition de liberté de Chicago. Un chanteur rondouillard, se joignit à eux, pratiquant des subito piano en changeant de timbre et en persévérant dans des suavités excessives, rappelant assez vaguement Betty Carter. C’est le lideur percussionniste qui a assuré le spectacle.

Billy Harper - Banlieues Bleues, mars 2014
© Philippe Paschel
© Philippe Paschel

En deuxième partie, Randy Weston (Brooklyn NYC 1926) et Billy Harper (Houston Texas 1943) jouèrent largement le répertoire de leur excellent disque paru récemment chez Universal. Le piano est assez mal sonorisé, pâteux dans le grave - tessiture qu’utilise beaucoup Weston. Il est en excellente forme, son jeu puissant et sans virtuosité risquant moins avec l’âge. C’est aussi un grand bavard qui nous expliqua longuement l’histoire de la musique selon lui. Billy Harper eut besoin d’une vingtaine de minutes pour se chauffer. Le son est toujours là, un peu plus dur qu’autrefois, mais les idées ne venaient pas. Il fallut attendre “Blues for Sénégal” pour qu’il retrouve tout son talent d’improvisateur. Ce fut alors un très beau moment, que les auditeurs de France-Musique ont pu entendre en direct.

À Bobigny [2], le groupe prévu en première partie, Ice Crystal, fut décapité par l’absence de Nicole Mitchell (flûtiste) remplacée par la violoncelliste Tomeka Reid. Si l’esprit de la musique n’a sans doute pas été modifié, la perspective sonore l’a été, les registres du violoncelle et de la contrebasse étant trop proches et souvent communs. Le batteur est vraiment excellent, conduisant l’ensemble avec précision et légèreté, beaucoup de souigne. La violoncelliste est une virtuose très remarquable, parfaitement à l’aise dans le répertoire de N. Mitchell et des divers membres de l’orchestre. Le vibraphoniste est très animé, frappe fort violemment les lames et réussit à provoquer un son assez laid, mais il manifeste une énergie peu commune.

Charles Tolliver - Banlieues Bleues, mars 2014
© Philippe Paschel
© Philippe Paschel

Charles TOLLIVER n’a jamais eu un beau son de trompette, mais cela était compensé par le foisonnement des idées et une technique impeccable.
Vendredi, cet artiste a joué presque toujours faux et sans trop d’idées. Il avait visiblement des problèmes d’embouchure -on le voyait se passer la langue à l’intérieur de la lèvre supérieure dès qu’il cessait de jouer- et cela l’empêchait sûrement de développer ses improvisations, son style reposant sur une utilisation de toute l’amplitude de l’instrument, mais la trompette ne pardonne pas à l’âge. L’orchestre était excellent, malgré une sonorisation ratée, batterie trop forte, piano mal audible.

Bruce Edwards - Banlieues Bleues, mars 2014
© Philippe Paschel
© Philippe Paschel

Le meilleur musicien, le guitariste Bruce Edwards pouvant heureusement contrôler son volume, nous pûmes l’entendre parfaitement comme accompagnateur et dans des solos où rôdait le blues sur un jeu très moderne et très versatile ; il excelle ainsi dans le jeu en accord. La musique était très travaillée - le batteur a lu une partition pendant tout le concert-, la structure étant toujours identique : exposé du thème, solos des musiciens, Tolliver fermant le ban. C’est au moment du bis que Tolliver a été au mieux, tout danger écarté.
Une soirée donc assez mitigée, sans réelle déception toutefois (On a pu voir récemment sur la chaîne Mezzo un concert des années 70, où Charles Tolliver était au sommet de son art.)

> Saint-Ouen, Espace 1789, 14 mars 2014

  • Kahil El’Zabar’s ritual trio : El’Zabar (percussions, voix), Ari Brown (saxophone ténor, piano), Junius Paul (basse) + Dwight Trible (voix).
  • Randy Weston (piano), Billy Harper (saxophone ténor).

> Bobigny, salle Pablo-Neruda, 4 avril 2014

  • Nicole Mitchell’s Ice Crystal : Tomeka Reid (violoncelle), Jason Adasiewicz (vibraphone), Josh Abrams (contrebasse), Tomas Fujiwara (batterie).
  • Charles Tolliver Music Inc. : Tolliver (trompette), Theo Hill (piano), Devin Starks (contrebasse), Bruce Edwards (guitare), Gene Jackson (batterie).

À propos du festival Banlieues Bleues 2014, lire aussi sur CultureJazz.fr :


> Lien :

[1vendredi 14 mars 2014

[2vendredi 4 avril 2014