Quatre garçons dans le vent de sable

Jean-Pierre VIVANTE, le taulier du Triton, l’annonce : "ces gars-là répètent depuis quatre jours et je peux vous dire qu’ils fabriquent une musique ciselée".
Ciseler, travailler avec un ciseau, tailler, parfaire.
On est prévenu. Y’aura des petits bouts partout.

Les quatre hommes entament le concert en créant une ambiance frottis planante et plus personne ne parle : on est saisi dentrédemblé.
Régis HUBY, violon et pédales d’effets joue du violon avec ses pieds. Les deux. Et pas comme un pied. On le croirait installé dans un simulateur de vol musical avec des trucs à fabriquer de la musique augmentée. Est-ce bien du violon ce que nous ouissons ?

Régis Huby
© Florence Ducommun 2014
© Florence Ducommun - octobre 2014

Marc DUCRET à la guitare la joue moyens économiques avec deux compléments électroniques, rien de plus.
Michele RABBIA derrière ses fûts, cymbales et ordinateur la joue percussionniste-bruitiste-friseur de boucles diverses.
Au piano, Fender, MOOG et autres, Bruno ANGELINI : deux bras, trois claviers.
Le décor est campé, le rythme est donné : celui d’un chameau qui, réservoirs emplis à ras bord, ébrèche la lisière du désert pour un voyage off limits et s’installe dans une marche au tempo tenace, régulier, infatigable.
Une musique de film ? Une bande-son pour une litanie de contes ? Les Mille et Une nuits ? Ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit pas du Petit Poucet : retrouver des petits cailloux dans le désert, bonjour.
Il y a des moments très écrits où tous quatre reprennent le fil du voyage, recentrent l’histoire, s’accordent sur une transition. Et là, ils ne font pas dans l’approximatif genre on tortille du croupion et on bricole. Non, des orfèvres en train de tailler un diamant collectif.

Régulièrement, ils reviendront à une séquence qui, dans un récit écrit, sonnerait comme « À ce moment-là..... », « Pourtant, rien ne laissait prévoir ce qui..... », « Juste après la dune, en contrebas de la piste, deux hommes attendaient, à peine visibles... ».
Chacun dans son solo y va de sa version de l’histoire en cours. Non, ils n’ont pas vu la même chose. Et ils le racontent sans exubérance surfaite, sans se pousser du col façon "c’est à moi, je me lâche" mais dans une grande unité au-delà de la diversité des expressions, un genre de « penser global, jouer local ».

RABBIA et sa fabricasson inouïe, DUCRET tout en retenue, maîtrise et variété du propos, ANGELINI qui du Fender au Piano et du piano au MOOG distille des incipit ambianceurs posés ici et là. HUBY viendra clore le cœur de ce récit par un solo électronicovioloneux puissant qui rassemble tous les propos précédents. Une remarque : l’électricité et l’électronique sont utilisés comme des moyens et jamais ces quatre musiciens ne se perdent dans le bricolage : musiciens, il restent et jamais bidouilleurs du son en train de merder sur un potentiomètre, un câble mal branché ou une pédale flageolante.

Alors, comme le voyage a débuté, retour à l’ambiance frottis planante : le chameau continue son chemin, l’histoire va sur sa fin, quelques éclairs et roulements de tonnerre au ras de l’horizon nous laissent croire que peut-être... encore un rebondissement, une autre variante ? mais non. De discrets tourbillons de sable, un écoulement granuleux microscopique, des grains en déséquilibre, trois, deux, encore un.
Vaste silence.
On traîne pour quitter la salle, le temps de secouer le sable coincé entre les orteils et de laisser retomber les volutes de cette musique.

Merci les mecs et bravo pour cette musique à hauteur d’hommes debout.

> Le Triton (Les Lilas 93) - vendredi 19 décembre 2014 à 20 heures.

Une suite à Coutances au mois de mai 2015 puisque ce quartet est programmé dans le cadre du festival Jazz sous les Pommiers dans le cadre d’une création. NDLR.