Les Pérambulations du Pérégrin 10

Vingtième étape

Paul Rogers

Il y a dix ans, jour pour jour, le vingt-huit février, mourrait Mario Luizi, poète italien (aussi majeur que le lac) du vingtième siècle. Sa poésie fut un perpétuel renouvellement. Il l’entretint durant sept décennies. Perpétuel renouvellement ? Parle-t-on de jazz ? Ah oui, aussi. Paul Rogers et sa contrebasse à sept cordes sont un bon exemple de régénération permanente, de constante évolution. Au Périscope, avec son trio Whahay (Robin Fincker, saxophone & Fabien Ducombs, batterie), il prend le grand Charles à bras le corps, du moins sa musique, et lui applique une bonne couche de son originale galloiserie, en mode warrior comme on dit de nos jours, car Paul Rogers n’est pas du genre à s’effacer devant la musique. La créant et la recréant, il l’aiguillonne, il se chahute, il stimule ses acolytes. La respiration musicale est fiévreuse. L’ambiance est aussi lourde qu’un contrebassiste de légende en rogne perpétuelle. Ce n’est pas violent, c’est fervent. Qu’ils avancent en formation serrée, thème au vent, où qu’ils s’éparpillent façon électron libre au bon soin de la totale impro, les musiciens délivrent leur message : rien n’est meilleur que cette musique collaborative car profonde est sa mémoire, captivante sa présence et magique sa vie à venir. Il suffit aussi de la savoir libre pour que le partage opère. Le public le sait bien, lui qui se pâme d’aise en cette soirée périscopienne si bien nommée « Hors les murs », préambule au festival A Vaulx Jazz.


Vingt-et-unième étape

Avishai Cohen

20 h 30. A Vaulx Jazz, here we are. Avishai nous voilà. Décidément, le gros Charles est partout puisque Avishai Cohen, le trompettiste, pas le contrebassiste star-systémisé par Blue Note, fait partie du « Mingus Dinasty  », entre autres. Ici en trio avec Yoni Zelnik (remarqué récemment sur le disque du pianiste Avishai, Yonathan de son prénom) et Justin Brown, batteur moissonneur de grands noms du jazz actuel, il officie au service de sa musique. Et quelle musique ! Avishai Cohen est maître de de son instrument comme il est de ses compositions ou des standards qu’il réinterprète. Tout n’est que justesse et modération et rien ne lui résiste. Au sein d’un trio façonné par l’interplay, il développe un chant unique, ancré dans une modernité encline à contempler ses racines. Subtil est l’équilibre, mais subtils sont ces musiciens, en toute circonstance. Le paysage est là et nous, public, sommes baladés d’un point de vue l’autre à la découverte de tel miroitement mélodique ou encore d’un éclat musical rare. Les trois compères aiment leur musique, suffisamment pour la partager avec bonheur. Ils la servent aussi, avec une belle assurance, sans fatuité ni arrogance. C’est lumineux. C’est donc précieux.

Sylvain Rifflet

22 h 30. Sylvain Rifflet a-t-il monté Alphabet (avec Joce Mienniel, Philippe Gordiani et Benjamin Flament) pour jouer les notes à la lettre ? C’est une question car Mathématique et Minimalisme sont au programme avec une once de répétitivité pour accompagner l’ensemble, le tout au bon souvenir de Philip Glass et Steve Reich. Des pièces courtes, parfaitement maîtrisées se succèdent. Leur intérêt est évident. Malgré cela, nous nous sommes surpris en défaut d’écoute active. Trop codées, trop chiffrées, ces miniatures ? Trop encloses dans un cadre à la rigidité marquée ? Les musiques écrites, complexes, se doivent d’être lues, déchiffrées. Les musiciens savent faire cela. Pas nous qui privilégions l’émotion suscitée par la libre circulation des idées improvisées et avons été en un mot, malgré nous, forclos. À chacun son jardin, tous ont la beauté pour devise. L’essentiel demeure le passage de l’art. Il était en l’occurrence véhiculé par des artistes intègres donc nécessaires. Comme A Vaulx Jazz, n’est-ce pas ?

Tiens, c’était le 14 mars dernier (anniversaire de Quincy Jones), jour où, en 1872, le gouvernement en place déclara que « toute propagande socialiste ayant en vue de changer la société est interdite  ». Étonnant de voir comme l’histoire elle aussi peut être répétitive.


Dans nos oreilles

Yonathan Avishai – modern times

Sous nos yeux

Louise Erdrich – Love medecine