Vingt-deuxième étape

Nouvelle vague

Nat King Cole est né un dix-sept mars, en 1919. C’était un lundi. Il n’aurait donc que quatre-vingt-seize ans. Un bel âge pour venir ce mardi à Vaulx en Velin écouter Stéphane Kerecki en quartet surfer sur la nouvelle vague d’un passé cinématographique, nouvelle vague estampillée “ Prix de l’Académie du Jazz, récompensant le Meilleur disque de Jazz enregistré par un musicien français", soit dit en passant.

De cette effervescente époque, nous retenons comme tout un chacun le désir éperdu de liberté qui agitait alors le septième art bouillonnant. Pas étonnant donc que le Jazz eut un lien étroit avec lui. La liberté, monsieur, la liberté ! La caméra était alors une fenêtre ouverte sur l’expérimental, un prisme aussi dans lequel se révélaient les atouts et défauts d’une jeunesse en butte à un pays moralisateur, étroit d’esprit, pris dans les mailles d’un immobilisme provincial et daté. La sombre incertitude, les écarts et interrogations qui parcourent les scénarii de l’époque sont fait pour un jazz qui évoque la part expressionniste d’un état d’esprit aux états d’âme inconstants.
Sur scène, Stéphane Kerecki et ses acolytes (Fabrice Moreau, Émile Parisien & Guillaume De Chassy) ont collé à l’esprit des films plus qu’aux musiques originales et c’est là, assurément, ce qu’il fallait à l’évidence faire. La torontoise Kellylee Evans, remplaçante au pied levé de Jeanne Added partie vers d’autres musiques, n’a pas démérité. Sur l’écran, en fond de scène, quelques beaux visages sont passés. Celui de Jean Seberg, c’est celui qu’on préfère. Parce qu’il ne fallait douter de rien pour oser épouser Romain Gary.


Vingt-troisième étape

Over the Hills

Salut camarade ! Si tu avais jeté un oeil Over The Hills, tu aurais trouvé la paire Tocanne / Santacruz et leurs sept comparses (Perrine Mansuy, Alain Blesing, Antoine Läng, Jean Aussenaire, Olivier Thémines, Fred Roudet, Rémi Gaudillat) occupés à démonter l’escalator de Carla (et pas l’inverse, non mais...) ! Le plus drôle, c’est qu’elle aime ça, miss Borg, elle leur a dit. Pourtant, ils lui ont piqué son gros bébé, l’ont gentiment dépecé, ont dérouillé les morceaux, limé à droite à gauche, dépoussiéré les recoins et ont régénéré l’affaire (une love affair) pour l’exécuter en re-création du XXIème siècle, à contre-courant de la standardisation ambiante. Fallait y croire, bon Dieu ! Une histoire de fou, évidemment, mais c’est la marque de fabrique de ce gros machin seventies au casting insensé. Alors, quoi ? Alors, alors… aussi inconscient que cela puisse paraître à première vue à tout observateur normalement constitué, il n’en demeure pas moins qu’Over the Hills démontre sur scène que le bien-fondé du pari perdu d’avance est en fait un parti pris (à bras le corps) et, à coup sûr, un win win, comme on dit dans la langue de Madame Bley. Car plus grand monde ne parle de (et ne connaît) cet opéra délirant, issu d’une époque débridée, sinon pour en dire qu’il est culte. Genre « “Tu” connais Escalator blablabla ? Ah ouais l’Opéra de machine, jamais entendu. C’est culte, non ? »

Idée judicieuse donc que d’injecter le sang frais de leur collectif dans ce grand œuvre avant qu’il ne dépérisse sur les étagères des exégètes tel un Grévisse poussiéreux oublié sur l’autel de l’approximation verbale. À l’écoute, la fraîcheur et la nouveauté sont là coulant des pistons, glissant sur les cordes, toutes les cordes, et rebondissant sur les peaux. Baroque n’roll comme au bon vieux temps, un peu foutraque et transgenre, ça gicle en soli deci-dela, ça saute et ça se regroupe, ça crie, ça rue et les brancards n’ont qu’à bien se tenir. En un mot, c’est dense, en une phrase, c’est du tout neuf au bon souvenir du caméléon psychédélique. À cette époque, Carla Bley n’avait pas idée de la portée de son projet. C’est elle qui le dit. Paul Haynes, oui. C’est elle qui le dit aussi. Aujourd’hui, Bruno Tocanne et consorts balance là-dessus un Ripolin flambant neuf et fort seyant. S’en rendent-ils compte ? Et même si c’est le propre des œuvres bien foutues que d’être toujours belles longtemps après, cela nous fait également souvenir que l’immortel possède l’avantage de la durée, surtout vers la fin comme disait le bavard new-yorkais... Love (suprême) over the hills, my dear, et paix aux âmes torturées par l’alambic créatif... Dommage que le public ait été mou, trop mou... Peut-être était-il clean, trop clean... Difficile de nos jours de réveiller la folie des grandes heures. Surtout sans buvard... Philippe, bien sûr...

Lars Danielsson

Et si après cela, l’entracte et la bière, tu jetais un deuxième œil bien au-delà des collines, tu tomberais sur Lars Danielsson, barde nordique, option raffinement mélodique et compos sur mesure au point de croix. Là tu serais séduit dès le début par la qualité de l’ensemble. Et puis tu serais lassé peu après par la qualité de l’ensemble. Parce que c’est bien, c’est riche, c’est net, c’est convenu, déjà vu, déjà entendu et c’est bien dommage. Le point de croix, c’est la stabilité. Poser les yeux dessus, donne l’impression de traverser un pays aux couleurs neutres où tout est propre. Cela s’empare de toi sans surprise. C’est juste normal. Tiens, si j’avais à louer une voiture pour parcourir ces contrées, je prendrais une Volvo, une liberetto 2 pour être précis. C’est fiable et confortable avec en sus le doux ronronnement d’une grosse cylindrée au moteur infaillible. Juste faire gaffe de ne pas s’endormir au volant.

Sinon, c’était le mercredi dix-huit mars 2015 et Bill Frisell fêtait ses 64 ans. Stéphane Mallarmé, lui, en aurait eu 173. Là, ça commence à faire beaucoup d’années pour un homme de peu de mots.

Festival A Vaulx Jazz - Vaulx-en-Velin (69) - 17 et 18 mars 2015 - Centre culturel communal Charlie Chaplin


Dans nos oreilles

Yonathan Avishai – modern times

Sous nos yeux

Louise Erdrich – Love medecine