Les 12, 17, 19 et 21 mars...

À Vaulx-en-Velin (69), la 28ème édition du festival AVaulxJazz s’est déroulée au mois de mars. Retour sur les soirées des 12, 17, 19 et 21 mars...
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Cette 28ème édition du festival AVaulxJazz (Vaulx-en-Velin, 69) consistait, pour son directeur Thierry Serrano, à une démarche inédite qui l’amenait à faire son dernier tour de piste. Après Gilbert Chambouvet fondateur du festival nous étions convoqués à le voir partir pour un repos bien mérité selon cette formule éculée et répétée à outrance. Ces deux personnages n’ont pas été dépourvus d’imagination tout au long de ces années de programmations scrupuleuses.
Pour évoquer la session 2015 nous choisirons une traduction pas encore énoncée sur notre site. Cette divine comédie musicale qu’est le jazz, avec son cérémonial intrigant pour ceux qui n’en saisissent pas les codes, fut à la hauteur de l’enjeu par les nombreuses facettes stylistiques.

> Jeudi 12 mars

Dave Liebman
© Marceau Brayard 2015

Il est toujours risqué de démarrer un festival avec le plat de résistance. Certes chacun à sa part de vérité à venir défendre ou prouver. La suite des évènements nous montrera qu’il en fut ainsi quelles qu’en soient les conséquences et le résultat attaché au phénomène particulier des identités artistiques.
Nous allions donc nous retrouver lors de cette première soirée face à Dave Liebman nimbé des qualités du sage pour ce grand seigneur du jazz. Pour cette raison nous considérions qu’il s’agissait d’un rendez-vous incontournable.
Rapidement il dévorait la vie qui s’offrait à lui, pendu à ses saxophones afin d’en enjôler les embrasements aux ivresses répétitives. Antonio Farao quant à lui était le parangon du jazz bienfaiteur.

Antonio Farao
© Marceau Brayard 2015

Ils administrèrent toutes leurs compositions en se fusionnant dans un égalitarisme habile avec une constance résolue. Ce sensible noumène traduisait bien cet état d’emprise dont ils savaient se prévaloir pour aller au bout de la représentation musicale concrète. La rythmique selon un fidéisme dans les règles pour le jazz à lui seul, était prise sous l’étau de la contrebasse d’Heiri Känzig et la batterie de Gene Calderazzo pour y rester particulièrement active. Aucun frein ne viendra persuader la mélodie à raisonner froidement, sous les seules apparences de notre regard conquis. Le jazz restera et demeurera ainsi dans une suite désirable. Comme prévu ce passage fut un grand moment pour initier l’épidémie printanière et la faire vibrer au cœur des instruments. Cette excitabilité permettait de provoquer de la permanence tellement indispensable pour que tout reste crédible.

> Mardi 17 mars

Ramon Lopez
© Marceau Brayard 2015

Une présence différentielle se faisait sentir chez les cinq membres, du Quintet Madness Tenors, avec leurs fonctions sur des temps fractionnaires cruciaux. Dans de monstrueuses saillies rythmiques, Ramon Lopez incitait sa batterie à proliférer dans une véritable mise en demeure existentielle. Cela n’échappait pas à Lionel Martin. Il marchait sur les traces développées par le batteur. Du haut de ses saxophones il nous inondait de cette inventivité précieuse à la limite de la dépression dévastatrice. À eux deux ils avaient le monopole des surfaces incendiaires. Seulement le combat restait inégal, le pianiste Mario Stanchev s’assignait une place trop académique et pudique pour ce genre de réunion débridée.
Le saxophoniste George Garzone et le contrebassiste Benoit Keller existaient, mais selon des espaces de survies momentanées, qui ne manquaient pas d’intérêt, mais ne se suffisaient pas en soi. Dans ces conditions là tout fonctionnait sans parvenir à ce que certains sachent s’entrobliger. La batterie et les saxophones démontraient une force résistante où le refus à la soumission dominait.

> Jeudi 19 mars

Dominique Pifarély
© Marceau Brayard 2015

Trois caractères, trois personnalités, aux mêmes convictions suffisamment éloquentes pour nous sortir le jazz de son troglodyte usuel. Ces instrumentistes de l’action arrivaient chacun équipés de morceaux écrits préalablement. Ils étaient vierges de toutes démonstrations. Munis seulement de pensées harmoniques, sortis de l’ensoleillement de leurs esprits. Ils devaient en concrétiser la finalité et soulever devant nous le voile de la citadelle de l’inspiration. Les secrets de fabrication du jazz, ils les portaient en eux à l’extrémité de l’instrumentation. Dans un premier jet ils récitaient la mouvance selon une fidélité mystique pleine d’assurance démonstrative. Se succédait ensuite les ouvertures propres à élaborer des croisements entre l’écriture décidée à l’avance, puis toutes les évocations émancipées qui pouvaient naître à un degré de raffinement extrême. Au départ cela faisait penser à la musique de chambre au final ça n’avait plus rien à voir. Dans ces temps-là s’envolaient les instruments laissant échapper une source diffuse de belles occasions que les instrumentistes se saisissaient graduellement. D’une robustesse sans faille, l’habitus musical démontrait un état général en parfaite santé. Une raisonnante raison tirait sur les racines instrumentales de façon à ce qu’il en émerge des imprégnations prolifiques. Du violon de Dominique Pifarély au violoncelle de Vincent Courtois en passant par les clarinettes de Louis Sclavis nous transitions par divers aspects coruscants, dont les conséquences pourchassaient la mélodie, conçue telle une table des matières premières prête à se faire croquer.
Une création réussie dont le breuvage fut un délice. Ils nous ont fait vivre ce long tremblement éperdu des notes qui ne s’arrêtait qu’à la suite de longues errances, après une soif inextinguible assouvie.

> Samedi 21 mars

Thomas de Pourquery & Supersonic
© Marceau Brayard 2015

La dernière soirée nous offrait une particularité que nous apprécions plus que tout. Il s’agissait d’avoir la chance que le niveau de qualité soit égal de la première partie à la deuxième d’un bout à l’autre. C’est dans une collusion de pur cérémonial que ces exécuteurs curieux énoncèrent avec autant d’incontournables nécessités d’action cet état d’illusions, sur ce laps de temps nocturne. Une précellence de choix s’organisait dans une authentique communion, ce qui expliquait cette connivence osée entre les deux formations. Pour cette raison nous les évoquerons sans les séparer tellement ils se rapprochaient avec la même objectivité d’esprit. Pour le premier ensemble il s’agissait du Thomas De Pourquery Supersonic-Play Sun Ra.

Thomas de Pourquery
© Marceau Brayard 2015

Le chant préfigurait cette conception de dévotion vis-à-vis de l’option que le groupe enfourchait oralement avec un caractère bien trempé. Thomas De Pourquery s’y jetait à plein poumon à lâcher ses chants d’histoire d’amour. Pour les brisures rythmiques on pouvait compter sur Edward Perraud. Ce batteur chevronné avait une gesticulation toujours prise sous le feu d’une vision précieusement exigeante. Dans ses emballages les compositions devenaient des notes à fracturer par son marquage, au sens où il puisait inlassablement le sursaut pour mieux solliciter les instrumentistes. Une sorte d’éclosion scénographique manipulait la réalité et faisait fonctionner cette logique à plein tube. Ils se tenaient facilement par la main à initier des liaisons qui empêchaient chacun à jouer pour son propre compte. C’est très certainement ce qui actionnait la réussite de ce projet, avec aux commandes Fabrice Martinez (trompette), Laurent Bardainne (saxophone ténor), Arnaud Roulin (piano), Frederick Galiay (basse).

Noel Scott
© Marceau Brayard 2015

L’arrivée de The Sun Ra Centennial Arkestra poursuivait ces mêmes fragmentations. À leur tour, ils s’enfoncèrent dans le spectaculaire, ne serait-ce que de prime abord avec les tenues colorées et joyeuses. Un clin d’œil brillait au sein du sentiment que l’on pouvait ressentir à les observer. En toute autonomie de déplacement ils se mélangèrent aux spectateurs. Cet esprit de partage au plus près de la foule recelait cet aspect proche du divin échange chaleureux. Il y avait en plus dans leur musique du sacré où le jazz se reconnaissait dans une forme de théologie rationnelle. Les titres défilaient soutenus d’une variabilité farcesque si l’on écoutait d’un peu plus près certains thèmes tels que Astro Black ou encore Planet Earth. Ils présentaient implicitement une dimension acéphale où chacun avait sa place bien déterminée, pour que tout soit relié à la cohérence groupale. Dans ce quadrillage spontané le jazz se retrouvait métamorphosé comme s’il avait reçu une piqure de guêpe. La chanteuse Tara Middleton ne manquait pas d’aplomb pour évoluer sans complexe avec ses vocalises orgiastiques, entourée par les musiciens complices.

Ces deux groupes ont plusieurs points en commun et ce qui les rapproche c’est la démesure optimale à mettre en musique le chantier orchestral. Il y a entre les deux une différence de degrés mais pas de nature profonde. Une grande guirlande musicale les reliait dans leurs jongleries. Divers flots d’étincelles se balançaient autour d’une créativité naissante allant de la surprise jusqu’aux traces oniriques.