Un livre de Richard Havers traduit par Christian Gauffre.

VERVE” est une maison de disques qui a beaucoup produit dans des genres de jazz très différents et sans véritable ligne visuelle dominante. Ce n’est pas une marque qui se distingue facilement, comme l’est Blue Note, l’autre label auquel l’auteur a consacré un ouvrage, postérieur à celui-ci, d’ailleurs. Il a d’ailleurs quelque difficulté à en décrire l’histoire. Le livre débute par un récit de la naissance et du développement du jazz depuis ses origines (7 pages), puis arrive Norman Granz, fondateur du JATP (32 pages), la création par ce dernier des marques Clé et Norgran (7 pages) et enfin l’apparition de Verve à la veille de Noël 1955, à la page 196, soit la moitié du livre. Havers décrit la période où Norman Granz dirige la maison, qu’il vend fin 1960 (7 pages) ; elle sera alors dirigée par Creed Taylor jusqu’en 1967 (6 pages). Ensuite, il ne s’agira plus que de rachats d’entreprises et de fusion de marques, malgré quelques belles réussites artistiques, Joë Henderson, Diana Krall, par exemple (4 pages).

"Verve, Le son de l’Amérique" - Richard Havers
Éditions Textuel

C’est Norman Granz qui se taille la part du lion, près de la moitié du rédactionnel, alors qu’il n’aura été à la tête de Verve que pendant 5 ans. Verve proprement dit n’occupe que la moitié de l’espace consacré à Granz. À ce texte, s’ajoutent 50 portraits, 49 musiciens et David Stone Martin, le peintre qui a été directeur artistique et auteurs de nombreuses pochettes chez Clé, Norgran et Verve (période Granz). Pratiquement tous les grands noms du jazz y sont, même si l’essentiel de leurs carrières discographiques s’est fait ailleurs (Duke Ellington ou Louis Armstrong). Il y a même des acquisitions posthumes, comme on peut le voir sur les reproductions de pochette (Nina Simone/Philips ; Sarah Vaughan/ Emarcy etc.). Un index très détaillé permet de s’y retrouver.
Qui seraient les artistes Verve ? Bien sûr Ella Fitzgerald, pour qui la marque a été pratiquement créée, Oscar Peterson, qui étaient de presque tous les enregistrements, Billie Holiday pour la dernière partie de sa carrière, Count Basie, Stan Getz et la Bossa Nova. Mais aussi, et y penserait-on spontanément : Dizzy Gillespie, Lee Konitz, Jimmy Giuffre, Mel Tormé, Anita O’Day.
La mise en page n’est pas du même auteur que le “Blue Note”, mais est dans le même style, beaucoup de photos de pochettes de disques, assez peu de photos des artistes. Une double page initiale montre 400 pochettes, en très petit format, mais avec une loupe on peut s’y reconnaître.
Comme dans “Blue Note”, j’ai été un peu décontenancé par des ruptures de style et des vulgarités un peu incongrues. Le traducteur, ou l’auteur, emploie le mot “cool” dans divers sens, qui rend parfois le texte peu compréhensible, on arrive à “Le bop était cool” (p. 20b). Il y a aussi des maladresses de traduction évidentes : “son exalté Sweet Rain “ (p. 243), qui n’est guère français.
Il y a de nombreuses erreurs et imprécisions dans l’histoire générale et un grand manque de précisions dans les études particulières et portraits de musiciens. On aurait aimé la liste des disques de ceux-ci, par exemple.
Le point fort du livre est la liste de tous les concerts du JATP avec les distributions, qui retrace de manière impeccable l’histoire de ces concerts. On peut y relever de curieux lieux pour des concerts de jazz : Free Mason Hall, Syrian Mosche ...

Alors que les disques Blue Note ont presque toujours été édités et réédités sous leurs pochettes originales, ce n’a pas été le cas des disques Verve. Dans les années 60, il y eut des rhabillages importants : une collection illustrée par Raymond Moretti -ce qui suscitait l’agacement d’un Jacques Réda-, des doubles albums avec des peintures d’artistes divers, mais pas celles de David Stone Martin ; ce qui fait que ces disques ne se distinguent pas visuellement de ceux d’autres marques. La variété des artistes l’empêche aussi.
VERVE est un projet industriel, dont l’ambition artistique était la réussite et la mise en valeur des artistes. Il a survécu à son créateur et la période de Creed Taylor a été fructueuse (Bill Evans). Verve a publié une quantité importante de grands disques de jazz, d’une manière plus variée que Blue Note, Impulse, Contemporary, mais on ne lui doit guère de découvertes, tout au plus des transformations bénéfiques (Ella Fitzgerald et les Songs books) et des moyens plus importants mis à la disposition des artistes, comme Mel Tormé ou Anita O’Day (grands orchestres et arrangeurs).

Je reprendrai volontiers pour cet ouvrage la conclusion que je faisais après la lecture du “Blue Note” publié l’an passé par le même éditeur ; il en a le même format et est destiné au même public : “Il reste un bel objet que l’on se plaira à feuilleter pour regarder les photos, après avoir lu un texte au style bien incertain (...) ”.
Un livre que vous serez content de recevoir à Noël.


Richard Havers, Verve, Le son de l’Amérique, traduction de Christian Gauffre, Éditions Textuel, 400 pages (59 euros).
Parution le 28/10/2015