Sunset (Rue des Lombards - Paris 75001) le Jeudi 22 octobre 2015

L’intérêt du club est d’être au plus près des musiciens. On peut y entendre le son en prise directe, de manière frontale, voir les tics et les trucs, chose impossible par définition sur les grandes scènes. Et quand on retrouve devant soi un trio saxophone-contrebasse-batterie nous revient en mémoire la découverte des Night At the Village Vanguard de Sonny Rollins. Espoir fou de retrouver le choc de cette musique brute qui s’est ancrée en nous sans qu’on n’y prenne garde, plantée à jamais dans nos oreilles et dont le swing nous a laissé rêveur, souffle coupé, bouche bée.

Chris Potter
© Pierre Gros

Chris Potter est un formidable saxophoniste. Qu’il joue un calypso ou un standard comme ce soir, I Fall In Love ou I wish I knew, et on y entend des bribes de Rollins, qu’il joue une musique plus modale et l’on y entend du Coltrane, qu’il prenne sa clarinette basse et c’est du Eric Dolphy version Mingus vers lequel on penche. Tout ça donne un mélange qui s’appelle Chris Potter à la virtuosité musicale hallucinante. Sans perdre en cohésion, les idées se bousculent en un flot ininterrompu. Mais là où finalement il se définit le mieux est dans le son, non dans le déluge de notes, mais plutôt dans les tenues, dans la queue du son où l’on entend l’onctuosité qui fait son identité, son ADN.

Larry Grenadier est un formidable contrebassiste. Adepte du son acoustique, il joue avec un micro accroché aux éclisses de l’instrument. C’est un choix qui implique un jeu percussif et rythmique pour combler le manque d’attaque inhérent à ce mode d‘amplification mais qui lui rend impossible un légato à la George Mraz ou Rufus Reid. Il a trouvé par là un équilibre entre énergie et lyrisme, un son d’une grande chaleur, une identité reconnaissable entre mille. On pourrait même dire qu’il a repris la contrebasse là où Wilbur Ware l’a laissé la nuit du 3 novembre 1957 à New York au sein du trio rollinsien, la modernisant par des tournures rythmiques complexes, des lignes brisées et verticales qui soulignent plus l’harmonie que la ligne mélodique. Aujourd’hui des cohortes de contrebassistes (mais pas tous) se sont engouffrés à sa suite dans cette voie et ce de part le vaste monde. Oui mais n’est pas Larry Grenadier qui veut.

Johnathan Blake est un formidable batteur, capable de rendre swinguantes les plus complexes rythmiques. Alors que nombre de ses collègues se fondent au cœur de leur instrument, Johnathan, lui, dispose ses fûts et autres ustensiles de manière plane comme un jeu de cartes sur une table. Position dominante donc, sourire aux lèvres tout se réalise sans efforts apparents. On se demande dans ses soli ou ses accompagnements comment il va s’y prendre pour retomber sur ses pieds, tirant le plus possible sur le temps, mettant à l’épreuve la solidité de ses compagnons…qui s’en amusent.

La musique de cette soirée au Sunset était finalement de facture relativement classique quant à sa forme, très professionnelle, succession de soli et même de quatre-quatre, avec un son plein et généreux, d’une très grande énergie qui ne l’a jamais fait tomber dans des excès sonores à vous exploser les tympans.
Une belle soirée au club comme on en redemande. Cependant est ce suffisant pour en faire un formidable trio qui marquera l’Histoire et restera accroché dans nos mémoires ? En hommes sages, eux-mêmes en sont conscients qui hésitent paraît-il à en faire un enregistrement. Empli que nous sommes de nos rêves, il est pour nous encore trop tôt pour le dire…

Chris Potter, sax ténor / Larry Grenadier, contrebasse / Johnathan Blake, batterie.