Par le passé, dans notre région [1], pour tuer un festival de jazz, il suffisait d’être un édile de droite. Un exemple ? A Francheville, exit Fort en Jazz. Aujourd’hui, un maire de gauche peut également se le permettre, non sans une bonne excuse. Exemple : à Vaulx en Velin, le festival A Vaulx Jazz deviendrait bisannuel, soit une demi suppression (et plus si affinités ?) car l’on souhaite mettre en avant les cultures urbaines. Conclusion : pour flinguer un festival de jazz, il suffit d’être bêtement politique. Au final, cela nous donne une juste vision de ce dont les responsables élus sont capables : ne pas soutenir la culture. C’est même, en France, depuis quelques années, si l’on en croit les chiffres, toute expression artistique confondue, une mission à part entière.

Le problème, avec le jazz, doit provenir de ses qualités intrinsèques. Il en appelle à l’imagination, source d’improvisation, de création donc, qui ne peut exister et être reçu par le public que si ce dernier aime la surprise, ce qui sous-entend qu’une ouverture d’esprit est nécessaire. Et cette dernière s’acquiert par l’éducation. Une collectivité locale se devrait donc d’être force de proposition afin de consolider toutes les expressions culturelles tendant à éduquer les populations pour une meilleure compréhension de la société qu’elles subissent au quotidien, ceci bien sûr dans un but mélioratif.

Laurent Dehors et son pupitre...

Subséquemment, à Vaulx en Velin, la mairie « socialiste » en place choisit de diviser par deux l’impact du festival A Vaulx Jazz, festival trentenaire, festival militant, festival convivial, festival musical, festival aimé du public et des musiciens pour la haute tenue de sa programmation, festival à l’indépendance d’esprit rare à l’heure où nombre d’autres manifestations jazz ont sombré dans le loisir culturel de masse. La question qui se pose est la suivante : faut-il préserver la médiocrité ? Allez savoir… Il ne faudrait surtout pas enrichir l’esprit car si demain l’électeur de base était cultivé, on ne sait plus où diable son bulletin de vote pourrait aller. Il apparaît clairement préférable qu’il s’abstienne et laisse les convaincus élire leurs commensaux avec des pourcentages démocratiquement dérisoires ne représentant aucunement l’ensemble de la population. Ce système a fait ses preuves et l’élite politicienne (Elite : subst. fém. Ce qu’il y a de meilleur dans un ensemble composé d’êtres ou de choses ; produit d’une élection qui, d’un ensemble d’êtres ou de choses, ne retient que les meilleurs sujets) étant pétrie d’humour, elle accuse bien souvent le jazz d’être élitiste… Raison suffisante pour l’attaquer de front et s’en délester au profit des cultures urbaines (auxquelles nous ne nous opposons pas, n’étant pas certains de savoir ce qu’elles contiennent) car, tout le monde le sait, le jazz est de naissance agricole et ne s’exprime que par monts et par vaux car il est évident que Christian Scott est un pêcheur du bayou, Robert Glasper un fermier new-yorkais et que Dianne Reeves élève des pintades à Detroit. Dites-nous donc, nous revenons là à nos moutons, cette élite élue, ne considérait-elle pas de facto le quidam spectateur du festival, vaudais ou non, comme un imbécile ?

Quoi qu’il en soit, le jazz, avouons-le, s’adresse à celles et ceux aimant la vie et ses multiples facettes. Peut-être est-ce d’ailleurs cet aspect kaléidoscopique qui gêne les élus. Le foisonnement créatif (ses éclats divers de pensées positives et ses zones ombrées de free militant, ses expérimentations contemporaines) ) va à l’encontre d’une politique partisane qui plébiscite le budget comme socle unique de son (in)action. Pour dire vrai, mieux un rond point qu’un concert de jazz, un coussin berlinois qu’une soirée culturelle. C’est plus neutre. Cela ne fait pas de vague. Cela maintient l’ignorance à son juste niveau, et selon nos élus, il se doit d’être élevé car c’est un gage de tranquillité. Les répercussions dans le monde musical ont peu d’importance. C’est un microcosme aisément gérable car il ne possède aucun pouvoir décisionnaire. En outre, il est facile de compter sur l’égocentrisme artistique présupposé pour diluer la fronde en divisant ceux qui peuvent l’être. C’est assez bien vu d’ailleurs car l’étiolement du militantisme est l’une des sombres réalités de notre époque.

À ce petit jeu délétère, les perdants sont le public (communément appelé partie d’une population) et l’artiste (autre partie appartenant à la population), tous deux liés au cœur du processus par un goût commun pour la beauté de l’échange. Et au final, c’est bien là que le bât blesse ; que construisons-nous sans création partagée et en quoi le jazz et les musiques improvisées doivent-ils payer la note ? En quoi cette musique est-elle plus dérangeante qu’une autre expression artistique ? Est-elle trop politique, trop politiquement incorrecte et, à Vaulx en Velin, trop rouge pour être honnête ? À l’évidence, nous exagérons. N’est-ce pas plus simplement une piteuse et piètre façon de se démarquer des prédécesseurs, de marquer du sceau désabusé de la fadeur un passage aux affaires forcément passager ? Ah vanité ! Vanité qui fait commettre plus d’âneries que le défaut d’esprit. Et d’ajouter avec Rousseau que oui, « La vanité ne respire qu’exclusions et préférences ; exigeant tout et n’accordant rien, elle est toujours inique. »

Fichtre ! Le monde est vaste et la petitesse immense, l’humain démesuré et la bêtise incommensurable… Il s’en faudrait pourtant de peu que cela fonctionne. Avec un soupçon, d’écoute, de générosité et d’intrépide bienveillance, jusqu’où une société pourrait-elle aller ? Jusqu’où une ville pourrait-elle aimer le passé culturel de ses antécesseurs, lui reconnaître son utilité publique ?

Et avant d’oublier, quel message envoyons-nous à ceux qui demain danseront sur nos funestes dépouilles ? Qu’ils peuvent aller se faire voir et qu’on les a posés là comme on crache au visage de l’intelligence ? Qu’ils sont destinés à n’être que des cloportes soumis ? « Animal, on est mal, » chantait Gérard Manset. Il a raison. Ah le bougre ! Pas sûr qu’il soit jazz ou culture urbaine, plutôt du genre à fricoter avec la fille du coupeur de joint… Faut-il lui faire une biennale pour autant ?

[1Auvergne-Rhône-Alpes, ndlr