> Mercredi 11 janvier 2017 Le Studio de l’Ermitage, Paris

L’humanité, depuis la nuit des temps, depuis que l’écriture est l’écriture, a eu besoin de décrire son Eden
Le Lousadzak, puits de lumière en arménien, de Claude Tchamitchian est un ensemble orchestral à multiples facettes. Dans la version qui nous intéresse c’est celle de l’acoustique à dix, sorte de mini big-band qui doit plus à la musique de chambre et à l’esprit des Charlie Haden et Mingus qu’à celui du Duc ou du Comte.
Si nous ne faisons que redécouvrir ce que nous découvrons, nous sommes conviés ici dans l’intimité musicale de Claude Tchamitchian, à l’évidence une relecture de ses lectures musicales.

Géraldine Keller, Fabrice Martinez
Géraldine Keller, Fabrice Martinez
© Pierre Gros

De fait nous oscillons entre une musique qui rappelle les textures d’un Béla Bartók, les bois, les violons, les archets, une certaine idée du pizz, du son et des rythmes, entre harmonies européennes (on pense entre autre à Francis Poulenc) et visions orientales, entre cuivre et voix, entre un Occident et un Orient qui se parlent. Intimement enlacées, chacune des dix lignes a sa propre existence, comme chaque pièce d’un puzzle : à chacun son chant qui lui confère une importance égale aux autres comme tout bon contrepoint qui se respecte. À ce titre l’impressionnante vocaliste Géraldine Keller se fond littéralement dans la masse orchestrale comme un instrument quelconque qui, véritable tour de force poétique et orchestral, ne dit rien de quelconque. Need Eden est un triptyque porté par le livret de Christine Roillet : Éveil, Lumières, Passage, chacun des actes étant lui même divisé en trois parties. Des paroles profondes :
Peur... N’aie pas peur…[...] // Qu’elle vous soit claire ou non la vie se déroule comme elle devrait / Pas moins que les arbres, l’herbe, le vent, les étoiles…[...] / T’étonner sans arrêt pour ne pas cesser d’avancer…[...] // Encore oh corps à corps accord encore plus fort…[...] / N’aie pas peur.

Acoustic Lousadzac Claude Tchamitchian
Acoustic Lousadzac Claude Tchamitchian
© Pierre Gros

Le propre du disque (qui au final n’est qu’une proposition furtive, celle d’un instant donné) est de nous intriguer, de susciter en nous l’envie de nous rendre au concert, de nous prendre par l’épaule et nous tirer par la barbichette, d’aller voir et écouter un ouvrage vivant comme en cette soirée au Studio de l’Ermitage. Il serait contraire au souffle du jazz, à son esprit rebelle, son irrévérencieuse indépendance, de venir y chercher la copie conforme du cédé. C’est même une impérieuse nécessité que le rendu soit différent. Le concert doit nous surprendre, il doit nous confirmer ce que nous avions cru entrevoir du potentiel d’une musique. On l’a souvent dit ici la force de celle ci est de trouver dans sa réitération une force vitale, une émotion renouvelée sinon à quoi bon reprendre des Debussy, des Bach, des standards. Et même si, ici, la composition écrite occupe à peu près deux tiers de ce que nous avons entendu, rendons hommage au talent d’improvisateur (composition spontanée) de chacun des musiciens de l’Acoustic Lousadzak confirmant au passage l’adage ci-dessus décrit. Un duo violon-violon alto décoiffant (le crin des archets se déchire et vole) totalement différent de celui entendu sur le disque, la plasticité de la trompette, l’expressionnisme des clarinettes, la modernité du piano, l’humour pince sans rire d’Edward Perraud, la guitare iconoclaste, le son plein et beau de Claude Tchamitchian le tout baigne dans une architecture acoustique et timbrale qu’on devine pensée et réfléchie. Les retours étant proscrits, chacun doit s’entendre d’un bout à l’autre de la scène.
L’humanité a toujours eu besoin de croire en son jardin extraordinaire, un lieu privilégié sorte de paradigme du paradis. Le rêve, l’imaginaire est peut-être ce qui nous fait croire et espérer, de ne pas avoir peur de la peur.
Au fait saviez vous qu’en sumérien, la langue écrite la plus ancienne parvenue jusqu’à nous, Eden se dit E-Din ?


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