3 nouveautés sur le label Nocturne.

Quel label aujourd’hui peut mieux défendre les couleurs d’un jazz français, ou si vous préférez le jazz composé et interprété par des musiciens hexagonaux (avec quelques autres comme notamment le Chant du Monde, après Philippe Ghielmetti avec Sketch et Minium maintenant hélas disparus) ?... Ne cherchons point trop loin : Nocturne, à l’évidence, et ce par simple constatation : consulter le catalogue, re/voir le nombre de mes chroniques et considérer la qualité de la production par le choix des musiciens, confirmés ou nouveaux talents.

En avril ne découvre pas d’un fil, dit-on… le label lui se découvre une fois de plus en nous offrant trois albums originaux à plus d’un titre.

Le choix de l’ordre des chroniques s’imposait pour moi ; je veux donc commencer par le plus ancien (né en 1949), plutôt délaissé par les médias jazzistiques (même pas une ligne, seulement une citation dans le Dictionnaire du Jazz d’il y a presque dix ans) :

  Le contrebassiste JACQUES VIDAL

> MINGUS SPIRIT (Nocturne NTCD415)

  • EDDIE HENDERSON (trompette),
  • PIERRICK PEDRON (saxophone alto),
  • ERIC BARRET (saxophone ténor),
  • DANIEL ZIMMERMANN et GLENN FERRIS (trombone),
  • FREDERIC SYLVESTRE (guitare),
  • MANUEL ROCHEMAN (piano),
  • JACQUES VIDAL (contrebasse),
  • SIMON GOUBERT (batterie),
  • ISABELLE CARPENTIER (voix)

1/ Mingus spirit. 2/ interlude I. 3/ La valse du clown. 4/ Funambule. 5/ Introduction just be bop. 6/ Just be bop. 7/ Blues for Charles. 8/ Mingus serenade. 9/ Interlude II. 10/ Niyragongo. 11/ Epilogue.

  • Enregistré en juin 2006
Jacques Vidal - "Mingus spirit"
Nocturne - 2007

On est particulièrement heureux de savoir qu’après Sans issue, son précédent opus (Nocturne NTCD362, 2005), Jacques Vidal n’en est pas resté là… et qu’on retrouve dans ce Mingus Spirit pratiquement les mêmes partenaires… toujours fidèle à son vieux compère, le guitariste Frédéric Sylvestre, avec qui il joua pour la première fois au sein du Dolphin Orchestra en 1978. Rappelons pour mémoire, qu’avant cela, il fut le co-fondateur avec Christian Vander du groupe Magma à la fin des années 60, accompagnateur aussi de certaines vedettes du jazz (le batteur Philly Joe Jones, le saxophoniste Pepper Adams…) et créa son quintet en 1994. Outre Sans issue, il est le signataire des albums News of bop (1995), Traverses (96), Ramblin’ (99) et Saida (2001).

En pleine maturité, fort de ses expériences, il a laissé mûrir ce projet, hommage, comme il l’écrit à l’un des musiciens que j’ai le plus « fréquenté », Charles Mingus dont je me sens si proche par bien des aspects. Au lieu de nous asséner de nouvelles versions de thèmes mingusiens, Jacques Vidal a choisi la plus intelligente des civilités à rendre au grand créateur, en composant une œuvre en dix chapitres dans l’esprit, dans des formes où transparaissent clairement et abondamment les vibrations qu’engendre sa musique, et son énergie phénoménale. Mingus Spirit, donc, ainsi que le définit la première plage (l’intervention du vétéran de l’équipe, le trompettiste Eddie Henderson (né en 1940) suivi d’un Interlude I, solo de trombone par Daniel Zimmermann en hommage à Jimmy Knepper, tromboniste-clé des orchestres du grand Charles, les thèmes suivants étant de la même veine jusqu’à cet Epilogue, poème pour et sur Mingus, écrit et dit par Isabelle Carpentier avec beaucoup d’émotion accompagnée uniquement par la contrebasse.

A noter particulièrement les forces en présence, l’assurance immuable d’un de nos plus formidables batteurs, Simon Goubert, impressionnant. Une fois de plus.

Mingus spirit : un tribut remarquable qui sera, j’en suis sûr, remarqué.


  La saxophoniste SOPHIE ALOUR

> UNCAGED (Nocturne NTCD414)

  • SOPHIE ALOUR (saxophone ténor),
  • LAURENT COQ (piano et fender Rhodes),
  • YONI ZELNIK (contrebasse),
  • KARL JANNUSKA (batterie)

1/ Uncaged. 2/ Comptine. 3/ Haunted part 1. 4/ Haunted part 2. 5/ Sparkling water. 6/ Snow in may. 7/ Sadrak. 8/ Gitla. 9/ Guerrier. 10/ Addict. 11/ Goodbye

Enregistré en décembre 2006.

Sophie Alour - "Uncaged"
Nocturne - 2007

Son Insulaire avait laissé espérer bien plus que de simples promesses tellement il était (déjà) abouti. Sachant qu’on attend beaucoup du second opus lorsque le premier a laissé de bons souvenirs, il faut bien avouer qu’on est étonné dès la première plage au titre éponyme. Bigre ! que se passe-t-il là ?. Pourquoi assassiner une si belle sonorité, sensuelle, généreuse,débordante de charme et de poésie ?... pour faire un détour aux frontières du rock, à cause ou en raison de la présence du guitariste Sébastien Martel qui vient du rock et aligne tous les clichés et sonorités à la mode dans les plages 3, 4, 6 & 8 ? ; cela ne me semble pas concluant. Est-ce là une volonté de se débarrasser de formes trop longtemps explorées ?...

Uncaged = libérée : pas si sûr dans cette tentative là.
Heureusement que par la suite tout redeviendra calme, luxe et volupté, même dans ce Guerrier (thème de Laurent Coq) qui semble bien avoir laissé heureusement ses armes au vestiaire… On sent à l’évidence la cohésion du quartette dans les interprétations qui suivent.

Enfin, pour terminer, cette sublime, oui, le mot n’est pas trop fort, sublime interprétation du Goodbye de Gordon Jenkins. Là, on retrouve la Sophie qu’on aime dans sa simplicité qui en dit mille plus long que les petits bidouillages du début, inutiles.

A recommander néanmoins, chaudement, malgré la réserve exprimée.


on aime !

  Le pianiste PIERRE DE BETHMANN

> OUI (Nocturne NTCD404)

  • JEANNE ADDED (voix),
  • STEPHANE GUILLAUME (saxophone alto),
  • DAVID EL MALEK (saxophone ténor),
  • MICHAEL FELBERBAUM (guitare),
  • VINCENT ARTAUD (contrebasse),
  • FRANCK AGULHON (batterie),
  • PIERRE DE BETHMANN (rhodes)

Enregistré en septembre 2006

1/ Shema. 2/ Singulier. 3/ Air courbe. 4/ Silnes. 5/ Oui. 6/ La lenteur. 7/ Exo.
8/ Effet tatillon. 9/ Altération

Pierre de Bethmann - "Oui"
Nocturne - 2007

Le musicien est sur tous les fronts : sideman à l’activité intense, il n’en poursuit pas moins ses projets en qualité de leader, ici en septette gravitant autour d’un instrument, le fender rhodes qu’il maîtrise parfaitement en explorant/exploitant toutes les possibilités.

L’adhésion est immédiate, totale ; on se laisse porter par ce groove sans faille, cette alchimie provenant du groupe dans sa globalité autant que par le déroulement des solos, ceux des deux souffleurs (un David El-Malek en super forme, un Stéphane Guillaume égal à lui-même c’est peu dire), de la précision des vocalises de Jeanne Added en totale fusion colorante (Singulier), l’efficacité confondante de la rythmique Artaud-Agulhon (on le savait déjà mais dans ce contexte c’est simplement, si on peut dire, étourdissant), la créativité/gravité de Michel Felberbaum (qui lui n’essaie pas du tout de jouer comme tout les tenants du petit monde guitaristique actuel, merci)… et cet éloge de La lenteur plus révélatrice que le contenu du livre-enquête de Carl Honoré…

Il est vrai que le répertoire composé par Pierre de Bethmann est riche en combinaisons rythmiques, déambulations harmoniques, sonorités extra-ordinaires, digressions raffinées, ceci ne pouvant que stimuler tous les participants… ce qui se passe de la première à la dernière seconde de cet album, renversant.

Un immense OUI étoilé à ce « oui » là.


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