Par les temps qui courent, comme si l’acte jazzistique ne pouvait passer que par là, point de salut sans nouvelles compositions. Pourquoi pas si le jeu en vaut la chandelle et nous ne condamnerons jamais l’imaginaire. Injustement, les standards eux se font beaucoup plus rares, quasiment ostracisés, condamnés, soupçonnés de conservatismes par certains, façon d’éviter de se confronter à des modèles intimidants ou jugés insurpassables. Ils font pourtant corps avec la musique qui nous intéresse ici. Rien n’est indispensable en la matière, mais la contrainte qu’ils génèrent a été et peut encore être pourvoyeuse d’idées. La vérité, si elle existe se situe comme d’habitude entre les deux, loin des modes.

Esaïe Cid
© Pierre Gros

Pour œuvrer encore faut-il beaucoup connaître. Dans le même ordre d’idées croit-on sérieusement que Louis Armstrong fut le créateur du « thème et variation » si cher à Ludwig Van Beethoven, que Charlie Parker fut le découvreur de la superstructure du 19è siècle, que J.S. Bach fut l’inventeur du contrepoint dont Guillaume De Machaut nous donna quelques chefs-d’œuvre 350 ans avant lui. Si Ornette Coleman renversa la table, c’est en connaisseur, d’avoir beaucoup écouté, de savoir de quoi il parlait, d’avoir l’intelligence de ne pas vouloir ou pouvoir sur-jouer. Ici on parle de sincérité, prenant acte, y compris dans ses limites, de son moi et de son époque.
Esaïe Cid est un musicien qu’il n’est pas rare de rencontrer dans les jams de la capitale et d’ailleurs. Aguerri des joutes il a appris à force de volonté, d’étude des grands maîtres du saxophone alto, plongé au cœur de la chose et s’il manque quelque chose aux jeunes pousses issues des conservatoires et autres écoles c’est bien de cela dont nous parlons, du vécu, de la sueur qui colle la chemise à la peau, de l’odeur du swing.
De Benny Carter à Johnny Hodges en passant par Art Pepper sans oublier Sonny Rollins, celui du Way Out West, des collaborations avec Jim Hall, Esaïe en a fait son pain quotidien sans la moindre concession. Que ce soit en concert ou sur son nouveau CD c’est bien de son propre chant dont il est question. Son terrain c’est celui des standards, ses propres compositions en épousent également les contours, ses phrases sont les figures de ses inspirations, de ses lectures musicales, des fragments qu’il a su ordonner, élaguer et rassembler au fil du temps.
Dans une même veine la guitare de Gilles Réa n’est pas sans évoquer le sus nommé Jim ou René Thomas mais aussi tous les guitaristes des années Be-et post-bop, et sans le nommer explicitement, l’impact de Django Reinhardt plane sur l’ensemble de son jeu. La rythmique doit beaucoup à quelques associations contrebasse-batterie qui ont marqué les époques : Max Roach et Philly Joe Jones avec George Morrow, Paul Chambers, ou encore Doug Watkins, on peut avoir de plus mauvaises fréquentations.

Esaïe Cid quartet
© Pierre Gros

Mais encore ? Que ce soit en disque ou au concert Esaïe évoque son amour quasi gestuel et romantique d’une époque à partir de laquelle il a su creuser un chemin sinueux et original, le sien. Alors cher lecteur écoute bien les parfums de cette musique et nous revient en mémoire, le creuset d’une musique aux classicismes indémodables et pourtant personnelle.

Sunset, 60 Rue des Lombards - 75001 PARIS
mercredi 28 juin 2017.


Le disque :

Esaïe CID : "Maybe Next Year"


> Fresh Sound Records - SA 030 / Socadisc et en ligne www.freshsoundrecords.com/esaie-cid_maybe-next-year

Esaïe Cid : saxophone alto / Gilles Rea : guitare / Samuel Hubert : contrebasse / Mourad Benhammou : batterie

01. Way Out West (Sonny Rollins) / 02. Music Forever (Freddie Redd) / 03. Double Spoon (Esaie Cid) / 04. Nothing Ever Changes My Love for You (Segal-Fisher) / 05. How Long Has This Been Going On (G. & I. Gershwin) / 06. Sweethearts on Parade (Newman-Lombardo) / 07. Farewell (Esaie Cide) / 08. Pea Eye (Clark Terry) / 09. Jessica’s Day (Quincy Jones) / 10. Maybe Next Year (Duane Tatro) // Enregistré au Studio Boléro (France) le 9 juin 2016 par Christophe Davot (mixage mastering Gilles Rea).