Chers lecteurs, chers musiciens, chers attachés de presse, chers tous,

Ne nous demandez plus de suivre l’actualité du disque, de la marquer à la culotte en tentant d’être exhaustifs comme pouvait l’être l’ami Thierry Giard. L’équipe collaborative et bénévole de Culture Jazz, nouvelle version, n’aura pas toujours le temps de tout écouter, de tout compiler ! Nous ferons donc des déçus en ne relayant pas toutes les publications que nous recevons. Vous nous en voudrez, ou pas, et cela ne changera rien à nos choix et au temps qui passe. " L’appeal du disque " est donc un compromis entre " La pile de disques " et la " vitrine " telles que vous les avez connues, un espace où vous trouverez nos amours, nos détestations, nos doutes et nos incompréhensions, musicales du moment, dans la mesure de nos possibles.


  E.S.T. Live in London

Act

Esbjörn Svensson : piano
Dan Berglund : contrebasse
Magnus Öström : batterie

Le label Act continue l’exploitation du filon en sortant le premier live posthume du trio E.S.T. Enregistré en 2005 à Londres, ce double CD comblera les aficionados et autres convaincus d’avance. Les mélodies entêtantes sont bien là, jazz et pop à la fois. Les musiciens sont au meilleur de leur forme. C’est du solide. En deux mots : ça tourne. Ensuite, les inconditionnels vanteront l’excellence et l’originalité du trio (que personne ne nie), la fougue scénique qui l’animait. Les autres remarqueront les limites d’un genre où chaque morceau fonctionne sur un mode repris à l’envi dans chaque composition avec ces crescendos, percutants certes, mais trop itératifs pour certains et induisant lassitude et/ou indifférence. Alors dix ans après le décès du pianiste, il nous semble que E.S.T. a bel et bien marqué son époque. Au point de susciter la copie plus que la reprise. Feu Esbjorn Svensson et ses compères sont donc aujourd’hui les pères de quelques fils spirituels, mais également d’une ribambelle d’avortons qui nuisent à leurs géniteurs et nous empêcheraient presque de les écouter sans arrière-pensées.

Yves Dorison


  NICOLAS MOREAUX . Far horizons

Jazz & people

Nicolas Moreaux : contrebasse
Olivier Bogé : saxophone alto, piano
Christophe Panzani : saxophone ténor
Pierre Perchaud : guitare
Karl Jannuska  : batterie
Antoine Paganotti : batterie

Nicolas Moreaux ne publie pas deux disques par an et c’est très bien comme cela. Chaque projet murît lentement et arrive sur le CD quand il est abouti. Cette façon de faire, permettez-nous de la conseiller à toutes et à tous. Et c’est ainsi que son précédent disque obtint en 2013 le grand prix de l’Académie Charles Cros. Quoi qu’il en soit, ce sextet qui joue également sur « Far horizons » ne manque pas de personnalité. Ce qui est heureux car le contrebassiste leader et compositeur est détenteur d’un univers personnel fécond. Poussée par deux batteurs adeptes de la légèreté dynamique et de la rigoureuse finesse, la musique boisée, tout comme ses lignes de contrebasse, de Nicolas Moreaux est marquée par un lyrisme évocateur dont la discrète omniprésence parcourt les compositions sans jamais lasser. Disque homogène aux ambiances multiples mais cousines, il puise dans l’imaginaire du contrebassiste et dans sa connaissance du jazz les atours qui habillent ses mélodies, aidé en cela par des musiciens plus que complices et dont les qualités musicales largement reconnues sont à des années lumière du mièvre et du standardisé. Cela permet l’exploration d’une vaste palette, très suggestive, faite de couleurs rythmiques diaprées et de souffles mélodiques entêtants qui déclinent des paysages sonores où s’invite l’orage et sur lesquels plane quelquefois l’ombre fugace et tutélaire d’Henri et Charlie. Il n’empêche que Nicolas Moreaux possède une voix créatrice qui lui est propre et qu’il poursuit ses aventures humainement musicales sur un chemin privilégiant l’exigence. C’est éminemment recommandable et c’est très bien comme ça.

Yves Dorison


  PHILIPPE MILANTA . Wash

Camille Productions

Philippe Milanta : piano

Qu’il joue ses compositions ou des standards, Philippe Milanta donne à son clavier tout l’éclat que peut lui offrir un amoureux du beau et du sensible (pléonasme ?). Il connait son jazz sur le bout des doigts et celui des anciens mieux que le fond de sa poche. Il doit aimer Debussy, ce qu’on ne lui reproche pas, bien au contraire. Le tout est assimilé, digéré et renouvelé. Tout de fluidité et d’efficacité, il vous immerge, l’air de rien, dans une leçon de musique dont on retient avant tout qu’il est lui-même avec retenue et force à la fois. Et cette musique sonne et résonne, et elle respire, comme une ode au strict nécessaire. C’est beaucoup et jamais trop. Comme l’émotion poétique quand elle vibre au détour d’une phrase que l’on attendait ou non. Écoutez Philippe Milanta. Il ne mérite pas de voir son nom gravé sur le monument aux pianistes inconnus.

Yves Dorison


  SPIRIT OF CHICAGO ORCHESTRA - FORMATION JAZZ DE LA MUSIQUE de l’AIR . Tribute to James Reese Europe

Il y a deux musiques dans ce disque : une reconstitution de la musique de James Reese Europe et une interprétation moderne de la musique qu’il jouait, d’où l’apparent doublon de chaque titre, méthode qui donne une illustration de l’évolution de la musique afro-américaine.
Spirit of Chicago orchestra s’inscrit dans le courant de restitution de la musique dans les conditions où elle fut jouée ; ils sont “historiquement informés”, comme l’on dit en musique savante occidental, et jouent sur instruments d’époque, ce qui donne un son bien différent de celui de musiciens qui répètent la musique de jazz du passé. L’orchestre de Jim Europe était d’après les photographies et d’après le son, un orchestre d’harmonie (Wind band) à l’effectif imposant, ce qui donne parfois une allure rythmique incertaine aux enregistrements d’époque. Ici rien de tel, il s’agit d’un petit ensemble qui maîtrise les codes interprétatifs. Il y a un solo de trompette un peu hésitant dans le deuxième morceau (Ballin’ the Jack), puis un autre plus affirmatif dans le suivant (Memphis blues), où l’on entend aussi des répliques qui se retrouveront chez King Oliver : ce disque raconte l’histoire des débuts du jazz -la trompette se taille la part du lion dans les solos. Il existe des versions de ragtime interprétés par des musiciens classiques, par exemple Ragtimes du Quintette Guy Touvron (Plein Vent 1992), qui joue impeccablement, mais à qui manque le “proto-swing”, que savent magnifiquement recréer les musiciens de Spirit of Chicago, où l’on passe du sautillement au balancement. Cet enregistrement nous donne dans de bonnes conditions d’écoute la musique du jazz sur le point d’apparaître, à l’époque une musique déjà ancienne, le premier disque de jazz date de 1917 et le jazz existait pleinement. L’orchestre de Jim Europe comprenait de nombreux musiciens de jazz, qui ont donné l’impulsion définitive de cette musique en France et en Europe, où elle s’est développée sans plus être confondue avec les différents genres de musiques de danse [Voir pour la France, par exemple, Charles Schaettel in http://www.culturejazz.fr/spip.php?article2963]. Un critique comme Hugues Panassié y a contribué fortement. On peut comparer avec ce qui s’est passé en Argentine [Sergio Pujol, Jazz al sur, Emece, Buenos Aires, 1992], pays qui n’a distingué le jazz du reste qu’après la deuxième guerre mondiale, faute de contacts -Buenos Aires est plus éloigné de New York que Paris- et de critique savante.
Le livret qui accompagne le disque raconte avec précision et détails l’histoire de l’orchestre de Jim Europe. Un enregistrement indispensable.

www.spiritofchicago.fr/

La formation jazz de l’Armée de l’air est un excellent orchestre qui joue dans un style moderne, le courant principal actuel, reprenant l’évolution en laissant de côté free-jazz, jazz-rock et autres jazz adjectivés. Si l’on écoute le disque dans l’ordre proposé, on entend évidemment une forte différence rythmique et harmonique entre la musique de Jim Europe et celle de Stéphane Lafferrière : c’est la magie du jazz ! On notera que le premier morceau moderne a “piqué” le début d’une pièce d’Oliver Nelson “Stolen Moment” [Blues and the Abstract Truth, Impulse, 1961], faut-il y voir une sorte de jeux de mots. On peut entendre une brève allusion à “Anthopology” dans le deuxième thème. Y en a-t-il d’autres ? De bons solistes et des arrangements efficaces, mais le résultat est un peu mou et semble non nécessaire.

Spirit Of Chicago Orchestra : J. Etcheberry, H. Michelet : trompette / S. Cros, N. Frageix, B. Tessier : saxophones, clarinette / B. Ballaz : trombone / P-M. Jault : tuba / M. Febrer : violon / S. Mandin : banjo / J-B. Leroy : batterie / B. Stil : piano.
Formation Jazz de la Musique de l’Air  : M. Haage, B. Belloir, J. Rousseau : trompettes / N. Grymonprez, C. Dubilé : trombone / A. Caillet : euphonium / P. Desassis, D. Fettmann, O. Bernard, C. Lallemand, C. Dumeaux : saxophones, clarinettes / S. Maire : contrebasse / X. Sauze : batterie / S. Laferrière : direction, piano.

01. Castle House Rag (JR.Europe) / 02. Castle House Rag (JR.Europe) / 03. Ballin’ The Jack (Smith-Europe) / 04. Ballin’ The Jack (Smith-Europe) / 05. Memphis Blues (WC.Handy-Europe) / 06. Memphis Blues (WC.Handy-Europe) / 07. JA DA (Carleton-Europe) / 08. JA DA (Carleton-Europe) / 09. Castle Walk (JR Europe-Dabney) / 10. Castle Walk (JR Europe-Dabney) / 11. Down Home Rag (Sweatman-Europe) / 12. Down Home Rag (Sweatman-Europe) / 13. Broadway Hit Medley (misc.-Europe) / 14. Broadway Hit Medley (misc.-Europe) / 15. La Marseillaise (Rouget de l’Isle-Europe) / 16. La Marseillaise (Rouget de l’Isle-Europe) // Enregistré au Studio MidiLive de Villetaneuse (France) entre le 14 et le 18 décembre 2017.
Frémeaux & Associés - FA 8552 / Socadisc

www.fremeaux.com

Philippe Paschel


  THE LION AND THE TIGER, New York, 18 février 1972

Après le décevant "L’Aventure du Jazz" (c’est ici) et le formidable Jo Jones (c’est là), Frémeaux persévère dans la ré-édition des productions de la famille Panassié, qui comprend certainement des merveilles dans les styles acceptés comme jazz par le patriarche, Hugues.

Ces deux disques ont voulu rendre l’aspect des sessions d’enregistrement en replaçant les dialogues (plus de 9 mn) et quelques morceaux inédits (Aucune indication), moyennant la suppression de quatre plages qui seront disponibles dans un prochain disque, ce qui contredit la volonté de restitution intégrale de la session. Les dialogues sont enregistrés par des micros de hasard- ce qui oblige à monter le son ; on aurait pu le faire en post-production- et il n’y a pas de transcription ni de traduction. C’est une fausse bonne idée : on est content la première fois, satisfait de mieux comprendre la deuxième, indifférent la troisième, agacé la quatrième et exaspéré ensuite ; selon les moyens techniques de chacun, on zappera, fera un programme une liste d’écoute.
Je n’ai malheureusement vu le Lion qu’une seule fois, en ouverture d’un concert historial, qui allait du stride au free en passant par ce que l’on appellait à l’époque le middle jazz et le hard bop [http://www.culturejazz.fr/spip.php?article2380] J’étais sorti fan du Lion et du grand Albert. Il y avait deux concerts à Pleyel ce soir-là, se sont-ils parlés pendant l’entr’acte ?
Willie “The Lion” Smith (New-York, 1897-1973) a raconté sa vie mouvementée et pittoresque, dans le monde interlope que fréquentent les musiciens de jazz, dans un livre qui n’est peut-être pas à mettre entre toutes les mains [Music on my Mind, with George Hoefer, Doubleday, 1964). Le Lion pratique un style inspiré du stride, une forte main gauche marquant le rythme, ce qui lui permet de jouer seul. Nous ne saurions trop recommander la session du 30 novembre 1965 à Paris [Decca, réédité sous diverses formes, la plus accessibles étant peut-être “Music on my Mind”, Jazz in Paris n°64, Universal].
Jo Jones (Chicago 1911-NYC 1985) qui s’est fait connaître comme le premier batteur du grand orchestre de Basie, a accompagné tout le monde. Son style neuf et clair, roboratif en a fait un échelon nécessaire dans l’histoire du jazz.
La première session nous montre d’abord un Jo Jones assez timide, qui cherche sa place dans le jeu du pianiste. C’est la séance du Lion, qui s’en taille la meilleure part, mais laisse de l’espace à son batteur. Le premier morceau, “On the Sunny side of the street”, a permis aux deux musiciens grâce à un échange de quatre-quatre, de prendre leur mesures réciproques. Il faudra cependant attendre le “Keeep your temper” (9) pour que le batteur soit mieux à son aise, ce qui sera pleinement accompli avec le solo de “Just one of those things” (14).
Tout autre est la deuxième séance, qui montre Jo Jones en soliste dans de nombreux morceaux. On relèvera particulièrement ceux de "Sweet Sue" (9), qu’il joue seul, Willie Smith n’intervenant qu’en exposant le thème, au milieu du solo de batterie, celui de "Carolina Shout" (14) et surtout l’extraordinaire jeu du batteur sur “Here comes the band”. On notera l’accompagnement discret sur “La Madelon” jouée traditionnellement et celui flamboyant de l’interprétation en jazz (à comparer avec celle du Spirit of Chicago). Le batteur utilise plus souvent les balais que les baguettes et il s’en sert d’une façon exceptionnelle. Les amateurs pourront se reporter au disque "Drums" où Jo Jones explique la technique de la batterie pour identifier tous les coups. Willie Smith est égal au meilleur de lui-même, son jeu primesautier et souignant rend ce duo indispensable.

Willie « The Lion » Smith (piano), Jo Jones (dms), NYC,18 février 1972 (disque1- 66 mn) et 6 juin 1972 (disque 2 - 64 mn).
Frémeaux & associés, FA 5678.

Philippe Paschel


  MAIS AUSSI...


GAUTHIER TOUX - The colors you see - Naim Records

Gauthier Toux : piano, Fender Rhodes
Kenneth Dahl Knudsen : contrebasse
Maxence Sibille : batterie
Invités : Christophe Panzani (sax), Erwan Valazza (guitare), Zacharie Ksyk (trompette)

Le trio de Gauthier Toux est sous quelques aspects E.s.t.ien. Mais il a su s’émanciper de cette tutelle potentielle en invitant des musiciens choisis qui apportent des couleurs complémentaires au travail du trio. La couleur est d’ailleurs l’objet de ce disque où le pianiste daltonien s’interroge en musique sur sa vision des choses. Finement ciselé, avec des atmosphères variées puisant aux différents spectres du jazz, l’ensemble des compositions s’écoutent volontiers.

Yves Dorison


KENNY BARRON . Concetric circles Blue Note

Kenny Barron : piano
Mike Rodriquez : trompette & bugle
Dayna Stephens : saxophone
Kiyoshi Kitagawa : contrebasse
Johnathan Blake : batterie

A 74 ans, Kenny Barron continue de perpétrer la tradition du jazz. Swing et velours, soli, chorus et tutti quanti. Bien évidemment, vous éviterez de chercher la faute de goût ! Sur les rails du début à la fin, comme une lettre à la poste, l’écho du temps passé à peine réactualisé sonnera à vos oreilles qui penseront que, quand même, c’est vraiment bon…

Yves Dorison


GILLES BARIKOSKY . Weeping Willow pas de label

Gilles Barikosky : saxophone et compositions
Romain Pilon : guitare
Matyas Szandai  : contrebasse
Antoine Paganotti  : batterie

Un disque de jazz inspiré avec d’excellents musiciens au service du compositeur et de la musique en général. A noter une belle version du mythique « Along came Betty » de son altesse Benny. Nous aurions aimé un grain de folie supplémentaire ; mais cela n’engage que nous. Ne vous privez pas pour autant.

Yves Dorison


MARCUS MILLER - Laid Back - Blue Note

« Avec Afrodeezia j’ai énormément voyagé partout dans le monde, et pour ce nouvel album j’ai pensé qu’il serait cool d’introduire dans le mix des influences de notre époque que j’avais l’habitude d’écouter. » Les fondus du long manche électrique apprécieront. Avec quelques invités (Selah sue au deuxième morceau), le métronomique Marcus fait un autre disque. Chez nous, Afrodeezia n’a suscité aucune bandaison particulière. Argh !

Yves Dorison