Chaque année, c’est la même fébrilité à l’approche du festival dans cette île unique : 7° édition en ce qui me concerne pour écouter une musique métissée remplie d’espoir dont le thème cette année aurait pu s’intituler « Changer le Monde » comme la création unique du dimanche 8 juillet. Et c’est vrai qu’en écoutant du jazz à Porquerolles, on arrive plein d’espoir et on repart rechargé pour l’année suivante. Je vous invite à me suivre dans cette plongée spéciale.

Coucher de soleil en montant au Fort Sainte Agathe

Porquerolles, alchimie étrange, qui réunit plusieurs ingrédients dont l’addition n’est pas une simple addition, mais une multiplication, une amplification qui opère sa magie sur votre chroniqueuse année après année. Vous ajoutez : une île unique à quelques encablures de Hyères, préservée, privilégiée je dirais ; un fort, celui de Sainte Agathe, qui se mérite après une montée courte mais raide et une vue unique en fin de soirée, doux cocon protecteur dont les pierres rendent encore la chaleur accumulée dans la journée et dont le figuier sur la scène protège les musiciens ; une bande son naturelle hypnotisante avec la stridulation des cigales, le cri des mouettes puis plus tard le chant du petit-duc ; la gentillesse des porquerollais et l’accueil qui m’y est réservé ; les amis qui se multiplient chaque année et surtout, surtout, une programmation toujours riche avec des musiciens venant des quatre coins de la planète heureux de jouer dans ce cadre et donnant chaque fois le meilleur d’eux-mêmes. D’où cette impression d’être au bon endroit au bon moment à chaque fois.

Montée au Fort du Mojo Workin’ Band

Retenue au festival Charlie Free de Vitrolles (voir article http://www.culturejazz.fr/spip.php?article3357) , je ne suis venue que trois soirs, du 9 au 11 juillet et j’ai hélas loupé le grand Hermeto Pascoal dont le sextet a joué samedi 7 juillet après le trio du batteur Aldo Romano : soirée qui fût exceptionnelle comme cela me fût raconté. Le pianiste Dino Rubino dans le trio d’Aldo a marqué les esprits. « Son toucher est magnifique, son lyrisme est bouleversant » nous dira Aldo. Quant à Michel Benita, le lien qui le lie au batteur est si fort que ce trio a dû exprimer une émotion indicible…Je vous laisse imaginer ce qu’a dû être quant à lui le concert du grand Hermeto, dont l’inventivité musicale et la générosité ont certainement été amplifiées par l’esprit de l’île.

Amou’ Caché avec Hamid Drake et Nicole Mitchell

Dimanche 8 juillet, Frank Cassenti a réalisé le rêve de faire venir à Porquerolles des musiciens exceptionnels dans un projet unique créé spécialement pour le festival et qui, comme je le disais en introduction, s’intitulait « Changer le Monde ». Avec les américains Nicole Mitchell à la flûte et Hamid Drake aux percussions, le marocain Majid Bekkas au chant, guembri et oud, le français Vincent Ségal au violoncelle et le malien Makan Badjé Tounkara au chant et n’goni, ce dût être une soirée magique. Et comme l’a écrit Frank Cassenti « Merci…à tous ces anges venus d’ailleurs qui joueront ensemble pour la première fois pour nous faire partager ce mystère de la musique capable de changer le monde ». J’aurai le plaisir d’entendre Nicole Mitchell et Hamid Drake venus se joindre au groupe de Frank, Amou Caché qui jouait à l’apéro-swing du lundi 9 juillet. Car le festival, c’est aussi des concerts de fin d’après –midi avec ce groupe , mais aussi avec Phasm, groupe lauréat du prix du Public 2017 au Tremplin Jazz à Porquerolles.

Le quartet Phasm
Le trio du pianiste Harold Lopez-Nussa

La soirée du lundi 9 juillet commence dans la chaleur et la fougue cubaine avec le trio du pianiste Harold López-Nussa. On peut dire que c’est un des petits derniers des grands pianistes cubains avec Alfredo Rodriguez, après Chucho Valdès, Roberto Fonseca, Omar Sosa ou Gonzalo Rubalcaba pour ne citer qu’eux. Chez les Nussa, c’est une affaire de famille à La Havane qui a joué un rôle majeur dans sa carrière de pianiste : son père Francesco Ruy et son frère Ruy Adrian (qui fait partie du trio), sont des percussionnistes renommés ; son oncle, Ernán, est un pianiste cubain réputé et sa mère était professeur de piano. A la contrebasse, on a Gaston Joya, un des musiciens cubains les plus remarquables, au jeu fin et élégant, mais n’est-ce pas un pléonasme à La Havane ? Surdoué virtuose à la joie communicative, le pianiste transmet à ses compagnons toute sa fougue et le fort a vibré intensément toute cette première partie de soirée. Même les mouettes ont apprécié cette musique libre comme l’air, criant tant et plus que le pianiste s’en amusait. L’une d’elles a d’ailleurs stationné longtemps sur la tour du fort hypnotisée sans doute par le tempo tantôt vif tantôt mélancolique. Toute l’âme cubaine est présente à travers des compositions personnelles ou des reprises, présentes pour la plupart dans son dernier disque « Un Día Cualquiera », comme Una Tarde Cualquiera En Paris dédié à un autre pianiste cubain réputé, Bebo Valdés. Huit albums à son actif à 35 ans, nous n’avons pas fini d’entendre parler des musiciens de ce trio.

Création du duo Yamandu Costa et Vincent Peirani

Suit alors un moment très fort du festival, la création unique du duo entre le guitariste brésilien Yamandu Costa et l’accordéoniste Vincent Peirani. Les présentations et anecdotes de leur rencontre inédite commençant par un quiproquo dû à Google Traduction, doublées de leur charisme respectif, conquièrent d’emblée l’auditoire. Yamandu Costa avait déjà joué en solo au Fort en 2016, invité ensuite à se joindre au joueur de mandoline Hamilton de Holanda. Une soirée dont tout le monde se souvient ! Cette fois, le guitariste brésilien que d’aucuns comparent à Baden Powell, croisait le fer avec l’accordéoniste adulé qu’est Vincent Peirani. Une joute musicale explosive qui fût un vrai régal par sa plasticité, sa fluidité, sa souplesse apparente de jeu avec une entente totale entre les deux musiciens. Des compositions respectives de chacun, comme Chegada, Milonga Choro ou Made in France du guitariste, Hypnotique de l’accordéoniste, ainsi qu’un thème d’Astor Piazzolla, Armageddon, réécrit avec Jocelyn Mienniel. Egberto Gismonti est honoré avec Frevo avant un premier rappel totalement symbiotique avec le public sur Emporté par la Foule d’Edith Piaf. Un second rappel triomphal sur Chiquilin de Piazzolla termina ce concert avec des applaudissements à n’en plus finir. Une très belle soirée !!!

Entrée de la Fondation Carmignac

Mardi 10 juillet, après une belle après-midi à profiter de la Fondation Carmignac qui vient d’ouvrir ses portes début juin et que je vous recommande chaudement, quoi de plus réjouissant que de gravir la pente du Fort Sainte Agathe pour terminer la journée avec Archie Shepp qui joue ce soir d’abord en duo avec le pianiste Carl-Henri Morisset pour le projet « Art & Songs », puis bien accompagné en seconde partie pour le projet « Spirituals ». Une soirée qui célébre aussi le souvenir de Martin Luther King assassiné il y a juste cinquante ans en 1968. Archie est un peu la bonne fée de Porquerolles qui revient année après année nous étonner encore et encore. En duo, c’est un retour après celui fait avec Horace Parlan dans le disque Goin’Home en 1977, pour notre plus grand bonheur. Projet également joué l’an passé à Jazz à la Villette avec Jason Moran au piano. Carl-Henri Morisset est la nouvelle coqueluche demandée par bon nombre de musiciens en raison d’un talent tout naturel. Duo faisant honneur à des reprises de John Coltrane sur Wise One avec son nouveau saxophone ténor argenté magnifique acheté à new-York ; ou sur I Want to Talk about You qu’il chante avec son soprano, toujours à la limite de la justesse. Il rend hommage à Amina Claudine Myers avec laquelle il a si souvent collaboré, à travers Sometimes I Feel like a Motherless Child. Un premier set touchant comme d’habitude et plutôt méditatif …

Art Songs avec Carl-Henri Morisset et Archie Shepp
Spirituals d’Archie Shepp

La seconde partie est introduite par François Carassan, adjoint à la Culture de la ville d’Hyères et lui aussi protecteur du festival. Nous avons de bons génies qui veillent sur ce festival. Archie rappelle cette phrase extraite d’un poème d’Arthur Rimbaud : « Je suis de la race qui chantait dans le supplice » et les envolées gospel ce soir nous le rappelleront. Il y a donc avec Archie Shepp ce soir : Carl Henri Morisset au piano, Alune Wade à la basse, Hamid Drake à la batterie, Virgile Lefebvre au saxophone, Olivier Miconi à la trompette ( également dans la fanfare Mojo Workin’ Band qui accompagne les festivaliers au Fort), Marion Rampal, Steven Leblanc, Christelle Loial-Beauregard, Julia Sarr et Jean Marc Reyno au chœur. Un concert formidable qui confirmera s’il le fallait le talent de bluesman avant tout d’Archie Shepp qui a toujours réfuté le terme de jazz. Ce sont les gospels chantés dans les églises du Sud des Etats-Unis qui nous entraînent ce soir dans un tourbillon explosif où douleur et joie s’entremêlent : All God’s Children Got a Home in the Univers, A Prayer de Cal Massey, Blues for Brother Georges Jackson et Ballad for a Child tirés d’ Attica Blues, Isfahan de Duke Ellington, Rest Enough écrit à la mort de da mère, The Cry of my People, Invocation to Mr Parker et j’en oublie. Le chœur des chanteuses et chanteurs est totalement habité, batteur et bassiste rythment ces invocations poignantes d’une main ferme mais si humaine avec leurs regards de braise, les souffleurs propagent le feu, maîtrisé par le pianiste. Une soirée pleine d’émotion avec Archie Shepp toujours galvanisé par la compagnie de toute cette jeunesse qui l’entoure.

Le trio du pianiste Yonathan Avishai

Mercredi 11 juillet, clôture d’un festival qui a fait le plein tous les soirs malgré le mondial de foot et cela est bien réjouissant ! C’est une soirée en partenariat avec la Fondation Carmignac, Charles Carmignac étant lui aussi musicien (dans le groupe Moriarty). Amou’ Caché, le groupe de Frank Cassenti a d’ailleurs joué le dernier concert du festival dans le parc de la Fondation en fin d’après-midi. Ce soir, c’est le trio de Yonathan Avishai « Modern Times » qui joue en première partie. Ce sera un concert tout en sourires et complicité entre le pianiste, son contrebassiste Yoni Zelnik et son batteur Donald Kontomanou. Je les avais écoutés à Marseille en octobre 2015 au Cri du Port (je vous invite à relire mes impressions sur http://www.culturejazz.fr/spip.php?article2780) et j’avais chroniqué le second opus du trio « The Parade » ( http://www.culturejazz.fr/spip.php?article3030#ya ). Je retrouve l’émotion ressentie il y a 3 ans dans cette musique apparemment simple mais ciselée jusqu’à l’essentiel. Modern Times vient d’enregistrer son nouveau disque chez ECM dont la sortie est prévue en février prochain et c’est tout dire quand on sait que le label promeut « la musique du silence »…. Il n’y a pas besoin d’une tonne de notes pour procurer de l’émotion, au contraire. Les musiciens joueront presque tous les morceaux du nouveau disque : Joie ( et celle-ci se lira sur leur visage, enchantés qu’ils sont de jouer dans cette atmosphère si douce en plein air), Mood Indigo reprise de Duke Ellington, Song for Eli, L’Invisible Danse du Vent, qui s’est d’ailleurs levé cet après-midi sur Porquerolles et fait voler les partitions, qui se termine sur un solo de batterie éclatant. Un solo de piano intensément émouvant nommé Tango, qui n’en est pas un, transfigure le visage du pianiste. Le dernier morceau est dédié à sa nièce Lia. J’en oublie tant j’étais partie ailleurs en écoutant ces trois musiciens brillants qui réinventent avec tant de délicatesse la magie du trio piano, basse, batterie.

Le groupe BCUC

En seconde partie de soirée, changement de ton radical…BCUC, groupe d’Afrique du Sud investit la scène. Quand je dis « investit », cela signifie « prendre la scène »comme s’ils étaient cinquante et pourtant ils ne sont que sept musiciens avec Jovi (Voix), Hloni (Voix), Kgomotso (Voix), Luja (Grosse caisse, Voix), Skhumbuzo (Grosse caisse), Thabo (Congas) et Mosebetsi (Basse). Premier morceau, le rythme incantatoire primaire me fait immédiatement réagir. Sur la présentation du groupe, il est écrit : « Si vous voulez « frôler l’extase » alors précipitez-vous au concert de BCUC ! « Nous sommes le blues d’avant le blues, la fondation du rock’n’roll aussi et j’ajouterai les enfants de James Brown, de Bob Marley, d’Archie Shepp, de Mahmoud Guinia, grand Maalem Gnawa de la Transe, de Fela Kuti et de toutes ces musiques sur lesquelles Dieu danse quand personne ne le regarde ». BCUC veut dire en langue Bantou : Bantu Continua Uhuru Consciousness. Bon, question extase, elle a été de courte durée, car le concert, mais c’est un avis purement personnel, tournera vite en rond sur les mêmes rythmes et diatribes incessantes et fatigantes de Jovi le meneur. Le comparer à James Brown est largement exagéré. Comme l’an passé à la dernière soirée, le grand écart est rude entre la douceur de Modern Times et cette agitation stérile ayant pour support artificiel de nous faire nous révolter sur le sort de tant de pauvres gens, nous les privilégiés qui passons quelque temps à Porquerolles. A bas les riches une fois de plus, combattons les terroristes et surtout n’oublions pas la minute de silence pour tous les morts. Vraiment lourd…alors, on peut se rabattre sur la qualité des percussionnistes et du bassiste. Et se dire que oui, nous écoutons les racines du blues, lui-même racine majeure du jazz, mais on en est très loin ce soir et c’est dommage.

Frank Cassenti, Président de Jazz à Porquerolles

Merci à toute l’équipe de Porquerolles, Frank Cassenti, Antoine Chambe, Laure et Laure ! en particulier, pour leur gentillesse et leur accueil et à l’an prochain !

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Pour aller plus loin : www.jazzaporquerolles.org