Vingt-quatrième équipée

A Toulouse, il y a quatre cents ans, le 9 février 1619, Giulio Cesare Vanini, philosophe considéré comme un libertin érudit, fut convaincu de blasphème, impiété, athéisme, sorcellerie et corruption de mœurs. Il fut par conséquent condamné à avoir la langue arrachée, à être étranglé puis brûlé. Si après ça, tu n’es pas mort, des questions se posent. Tiens, et si Bowie était né en 1585, que lui auraient fait les inquisiteurs en 1619 ? La même chose qu’à Giordano Bruno en 1600 (également un 09 février) ? Et si le possible(s) Quartet reprenait ses chansons en 2019, le David Jones, quel serait son après avec ce quatuor à vents ? Un pérégrin affûté se devait d’aller vérifier le possible outrage. Je m’y collai donc et allai fissa au Bémol 5 avec mon seau de glu bouillante écouter les quatre hérétiques. En cette inénarrable époque d’historique régression des libertés humaines, il faut traquer les musiques apocryphes créées par ces apostats, suppôts des Lumières, ces déviationnistes de tout crin et autres hétérodoxes schismatiques qui osent franchir le Rubicon des convenances et fouler aux pieds les bonnes mœurs. Mal m’en prit car les hurluberlus (Rémi Gaudillat, Fred Roudet, Loïc Bachevillier, Laurent Vichard) soufflant dans leurs binious étaient doués pour le décalage respectueux et la (re) création pointue. Qu’ils abordassent les iconiques tubes ou d’autres chansons moins célèbres, les quatre acolytes les croisèrent avec leur fertile imaginaire et en firent de fringants ovnis musicaux, au caractère spontané, par moment turbulents mais toujours sensibles. Et la glu tiédissait dans son seau tandis qu’ils brodaient autour des lignes mélodiques de l’artiste trop tôt décédé leur propre vision caméléonienne de son monde musical protéiforme. De toutes les manières possibles et envisageables, auraient-ils voulu agir différemment et coller aux originaux qu’ils se seraient inéluctablement vautrés dans la reprise prosaïque et tapageuse déclamée au kilomètre par le vulgum pecus de la musique à deux balles. Ils eurent donc la finesse artistique d’utiliser leurs esprits libres d’explorateurs inspirés pour réinventer un espace auditif latitudinaire en diable... Accessoirement, pendant que Fred roudait et que Loïc bachevillait, Laurent Vichard d’un œil amusé, Rémi godilla et mon seau de glu dans sa froide agonie vit distinctement sa mort en février. Life on mars mon cul, déglutit-il dans un dernier râle. Même pas le héraut d’un jour ou d’un quart d’heure ce seau sans sceau vaincu par un quatueur à vent inventif aux reflets généreusement poétiques. Juste un absolu débutant qui s’est fait descendre et des cendres car contrairement à d’autres, il n’eut aucun piston. Ce fut le seul bémol de cette soirée, fort douce au demeurant et votre serviteur, une fois retourné à son repaire, se laissa emporter dans les limbes sans rêver de Major Tom. Parce que je n’aime pas les uniformes.


Dans nos oreilles

Bill Evans - You must believe in spring


Devant nos yeux

Richard Wagamese - Les étoiles s’éteignent à l’aube


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