| 00- JAZZ AT BERLIN PHILHARMONIC IX . Pannonica
| 01- YOKO MIWA . Keep talkin’
| 02- TOBIAS WIKLUND . Where the spirits eat
| 03- GIOVANNI MIRABASSI & SARAH LANCMAN . Intermezzo
| 04- IDAN MORIM . I.M
| 05- CATHERINE / MORELLO / FALLER . Manoir de mes rêves
| 06- JEAN RENE MOUROT / MARC ANTOINE SCHMITT . Musique de salon - OUI !
| 07- SPANYI / SOUCHET / ULRICH / BERNIE . Quad
| 08- GABRIELE MIRABASSI - ENRICO ZANISI . Chamber songs
| 09- FRANCESCO BEARZATTI . Dear John - OUI !
| 10- FILIPPO VIGNATO - HANK ROBERTS . Ghost dance - OUI !
| 11- TRIO IXI . Improvisation
| 12- HUW WARREN - MARK LOCKEART . New day
| 13- RITA MARCOTULLI - ISRAEL VARELA . Yin and Yang
| 14- LAURENT MAUR . Chief Larry
| 15- EXOTHERM . Exits into a corridor


  JAZZ AT BERLIN PHILHARMONIC IX . Pannonica

Act

Iro Rantala : piano
Dan Berglund : contrebasse
Anton Eger : batterie
Angelika Niescier : saxophone
Ernie Watts : saxophone
Charenée Wade  : voix

Siggi Loch, fondateur du Label Act, a organisé cette rencontre entre les six musiciens présents sur ce disque dans le but avoué de rendre hommage à Pannonica de Koenigswarter, disparue en 1988 et qui fut la mécène de beaucoup de jazzmen tout au long de sa vie. La playlist du CD reprend quelques uns des artistes qu’elle avait soutenus, principalement Monk, mais également Horace Silver, Bud Powell et Sonny Rollins. Enregistré début février 2019 au Berlin Philarmoniker, ce combo international (Allemagne, Norvège Suède, Finlande et États Unis) réussit le tour de force de sonner comme s’il existait depuis longtemps, ou presque, et il sert la musique avec un plaisir audible à vue d’ouïe. Le vétéran américain au curriculum long comme un jour sans pain, Ernie Watts, fait merveille avec cette sonorité typique de ténor à la rondeur un peu rugueuse et au groove suintant qui témoigne d’une époque encore attractive de nos jours. Les autres sont au diapason, mention spéciale à Angelika Niescier, et participent toujours à bon escient dans cette configuration de concert qui privilégie l’énergie créative et le plaisir de l’interaction. Et le public en redemande évidemment. Et nous sommes plutôt d’accord avec eux.

Yves Dorison


Act Music


  YOKO MIWA . Keep talkin’

Ocean Blue Tear Music

Yoko Miwa : piano
Will Slater : contrebasse
Scott Goulding : batterie
Brad Barrett : contrebasse (piste 11)

Qui connait cette pianiste née au Japon et résidant à Boston où elle enseigne à la Berklee ? Pas nous jusqu’à présent. Cet album est son septième et le moins que l’on puisse, c’est qu’il nous a un peu bluffés. Dans une veine jazz traditionnel, son trio évolue avec une précision, un swing et un sens de l’improvisation qui nous rappelle quelques pianistes du passé de notre discothèque. Le premier est sans conteste Oscar Peterson avec lequel elle partage cette énergie et cette joie de jouer communicatives. Son phrasé, aussi fluide que limpide, est d’une incontestable musicalité et, même si son lyrisme naturel est très présent, elle sait maîtriser les flux et éviter les bavardages virtuoses. On retrouve aussi chez elle, entre les lignes, un peu de McCoy tyner et de Bill Evans. En bon français, nous avons même retrouvé de temps à autre un peu de ce swing inimitable qui n’appartenait qu’à lui, Georges Arvanitas. Ceci posé, la synthèse qu’elle fait de ses influences n’appartient qu’à elle, d’autant que ces choix d’interprétation sont éclectiques et dépassent largement le cadre du jazz. On trouve ainsi dans ce CD des titres de Lennon & McCartney, Mingus, Joni Mitchell et Monk auxquels elle mêle avec bonheur ses propres compositions. En évitant l’écueil de la logorrhée ennuyeuse, Yoko Miwa impose un rythme et un chant chaleureux à sa musique. Fort bien accompagnée par une rythmique aussi redoutable qu’inventive, elle donne, tout au long de ce disque harmoniquement très fin, l’apparence de l’évidence à un travail musical sensible, très élaboré et pourtant très spontané. Un rayon de soleil très jazz que l’on vous recommande chaudement.

Yves Dorison


http://www.yokomiwa.com/


  TOBIAS WIKLUND . Where the spirits eat

Stunt Records

Tobias Wiklund : Cornet
Simon Toldam : piano
Daniel Fredriksson : batterie
Lasse Mørck : contrebasse

Adepte du cornet, ce qui est assez rare de nos jours, Tobias Wiklund aime Louis Armstrong et Kenny Wheeler. Entre ces deux-là, avec son quartet, l’on peut dire qu’il a trouvé sa place. Elle tient dans une pièce où sa musique se construit avec des musiciens, des flux, qui semblent entrer et sortir à loisir par des portes dérobées. Quand ils sont ensemble dans la dite pièce, de beaux moments d’entente joyeusement swing se développe avec un allant pour le moins convaincant. Tout l’art de Tobias Wiklund tient dans sa capacité de relecture de l’esprit be bop à l’aune de son inventivité contemporaine ; il ne manque pas d’idées mélodiques d’ailleurs. Pas de grands écarts donc, mais de subtils décrochements qui oblige l’auditeur à faire une écoute attentive en toute occasion. Les lignes développées par le cornettiste et ses compères sont toujours précises et parfaitement modulées en fonction de l’identité musicale de chaque morceau. Simple et sophistiqué, classique et moderne, en fin de compte très personnel, ce CD ne manque pas d’intérêt.

Yves Dorison


https://www.tobiaswiklund.com/


  GIOVANNI MIRABASSI & SARAH LANCMAN . Intermezzo

Jazz Eleven

Giovanni Mirabassi : piano
Sarah Lancman : voix
Olivier Bogé : saxophone

Un répertoire de vieilles chansons italiennes, neuf pour être précis, permettent à Giovanni Mirabassi et Sarah Lancman de continuer leur fructueuse collaboration musicale dans le cadre intimiste du duo piano/voix, enrichi sur quatre titres par le saxophone d’Olivier Bogé qui ne nuit pas à l’ambiance générale du disque, bien au contraire. Dans cet éloge de la mélodie transalpine, le timbre au charme capiteux de la chanteuse et le toucher clair au lyrisme naturel du pianiste s’accordent à la perfection pour traduire les intentions et les émotions qui parcourent ces chansons. A aucun moment, les deux musiciens ne forcent le trait outre mesure. Tout est fluide sans jamais être plat car Sarah Lancman sait se laisser emporter (pas déborder) par l’émotion et Giovanni Mirabassi, en accord avec cette voix, sait comment graviter autour d’elle avec ce phrasé caractéristique qui offre à la circonvolution mélodique des miroitements propices à la rêverie mélancolique. Vous allez donc écouter un disque sensible, doucement bouillonnant, un disque qui risque simplement de troubler votre épiderme de quelques frissonnements complices. N’est-ce pas ce que l’on demande à la musique en particulier et à l’art en général ?

Yves Dorison


https://www.giovannimirabassi.com/
https://www.sarahlancman.com/


  IDAN MORIM . I.M

Outside on music

Idan Morim : guitare
Adam O’Farrill : trompette
Almog Sharvit : contrebasse
Colin Stranahan : batterie
Micha Gilad  : claviers

Pour son premier enregistrement sous son nom, le guitariste Idan Morim, jeune musicien israélien installé à New York (c’est presque un pléonasme de nos jours,) a le mérite de ne pas faire étalage de sa science et de sa technique. Adepte de cette veine new-yorkaise d’un jazz plutôt cérébral dans lequel il nous arrive de nous perdre (un peu malgré nous), il livre là un projet musical cohérent aux atmosphères mouvantes. Entre lenteur et moments plus denses, voire même lyriques, le guitariste et son quintet fabriquent une musique assez méticuleuse, pleine d’échos dimensionnels qui, par certains côtés, rappellent une époque où le jazz pouvait être planant. Ce n’est pas néanmoins une musique d’ambiance au sens propre car le travail fourni permet une musicalité réelle, très éloignée de tous les clichés, qui ne manque pas de qualités. Cela peut être intriguant, notamment par l’aspect conceptuel, mais également surprenant de par l’aspect relâché que l’on peut ressentir à l’écoute. De beaux moments d’unité parcourent cette musique dont la gestation nous a parue déjà bien aboutie, ce qui est un signe non négligeable pour l’avenir de ce jeune trentenaire au demeurant fort bien accompagné tout au long des plages par un groupe homogène qui sait porter les visions de son leader.

Yves Dorison


https://www.idanmorim.com/


  PHILIP CATHERINE / PAULO MORELLO / SVEN FALLER . Manoir de mes Rêves

Enja Yellow Bird

Philip Catherine : guitare
Paulo Morello : guitares électrique et acoustique
Sven Faller : contrebasse

Le guitariste anglo-belge que l’on préfère est de retour dans les bacs avec ce nouveau trio. Accompagné par le guitariste Paulo Morello et le contrebassiste Sven Faller, tous deux allemands, il s’attache à un répertoire de classiques et de chansons qu’il aime depuis toujours. Cela va de Brassens à Paul Misraki ou Michel Berger (en hommage à Maurane) Ajoutez un titre de Django Reinhardt, un autre d’Henri Salvador, un Eddy Louiss de derrière les fagots, et vous obtenez un savant mélange à la saveur un tant soi peu nostalgique. Rien n’est surfait dans ce disque. Les trois artistes se complètent à merveille et l’on avance paisiblement dans ces mélodies qui nous accompagnent (nous les vieux…) depuis quelques décennies et dont il faut bien avouer qu’on les écoute aussi rarement qu’on ne s’en lasse pas, si vous voyez ce que l’on veut dire. L’atmosphère générale du disque est au calme et au plaisir serein du jeu entre amis musiciens qui savent partager leur talent avec l’auditeur. C’est simplement bien fait (nous n’avons pas dit que c’était facile) et nous ne voyons pas ce qui pourrait empêcher un individu quelconque aimant la musique de ne pas écouter cet enregistrement à la quiétude salutaire.

Yves Dorison


http://www.philipcatherine.com/


  JEAN-RENÉ MOUROT / MARC-ANTOINE SCHMITT . Musique de salon

Auto production

Jean-René Mourot : piano, composition
Marc-Antoine Schmitt : Contrebasse

Comme pour son précédent disque, Jean René Mourot a squatté son salon. Il y a invité son ami contrebassiste Marc-Antoine Schmitt. Et ils se sont laissé aller au gré de leurs envies. Cela donne un ensemble de compositions parfaitement mélodiques aux humeurs variées. Entre esthétique jazz et accents classiques (et moins classiques), les deux artistes entretiennent leurs échanges personnels par le biais d’une solide connexion de longue date. Doté d’un son chaud et boisé, ils livrent quelques pièces de choix, comparables à des instantanés de vie, qui ne manquent pas de générosité et qui porte l’auditeur vers climats intimistes changeants bien sûr, mais pétris d’une vérité antédiluvienne. Leur imaginaire est dense et ne refuse jamais d’accoucher d’une phrase ou d’un éclat, d’un souffle ou d’un silence, qui ne traduisent pas leur désir primal de communion musicale. Comme évoqué au début de cette chronique, afin de contourner l’industrie musicale qui se fout de la musique comme de sa première galette, l’option « at home » (toujours plus fancy en english, n’est-ce pas ?) a été retenue. Et comme il n’y a pas tant d’écart que cela entre une maison de disque (aujourd’hui dénommée dans la majorité des cas, épicerie) et une maison où l’on fait des disques, le produit obtenu est de qualité et, cerise sur le gâteau, marqué du sceau de la liberté. Et puis la musique de salon, ce n’est pas d’aujourd’hui, c’est juste qu’avant Van Gelder n’était pas né.

Yves Dorison


https://jeanrenemourot.bandcamp.com/


  EMIL SPANYI / FLORENT SOUCHET / ANDERS ULRICH / SIMON BERNIER . Quad

Parallel Records

Emil Spanyi : piano
Florent Souchet : guitare
Anders Ulrich : contrebasse
Simon Bernier : batterie

Avec cette musique ancrée dans le jazz postmoderne qui ne néglige jamais la mélodie, on entre dans un univers collectif car tous les musiciens du quartet ont participé aux compositions de l’album. Avec des rythmiques souvent très marquées par la brisure, l’album donne à l’écoute une somme homogène de paysages sonores où chacun porte avec finesse les idées mélodiques et les figures de style imaginées pour la musique par le quartet. Emil Spanyi virevolte sur le clavier avec l’appétit et la virtuosité qu’on lui connait et ses collègues ne sont pas en reste. Si la musique ici jouée nous a semblé, à certains moments, un peu trop savante pour notre oreille (qui avoue ses limites sans honte), nous n’avons pas eu de déplaisir particulier à l’écouter. Mais peut-être était-ce un peu trop intellectuel pour nous, ce qui n’enlève rien à la qualité de l’ensemble. D’autres que nous serons très à même d’apprécier cette musique.

Yves Dorison


http://www.parallelrec.com/emilspanyi-bio


Ci-dessous vous trouverez six disques, parus fin mai chez le label italien Cam Jazz, qui ont pour dénominateur commun d’avoir été enregistrés en public dans différentes chais des vignobles d’Italie. Tous parfaitement enregistrés sur une courte période l’année passée, ils présentent de magnifiques duos et deux trios qui sont dans l’ensemble d’un niveau d’exigence musicale en tout point remarquable.

http://www.camjazz.com/home.html


  GABRIELE MIRABASSI - ENRICO ZANISI . Chamber Songs

Cam Jazz

Gabriele Mirabassi  : clarinette
Enrico Zanisi  : piano

Jamais à notre connaissance nous n’avions écouté Schumann repris par des jazzmen. Mais Gabriele Mirabassi étant autant versé dans le classique que dans le jazz, il n’est pas anodin de le voir figurer à quatre reprises dans cet enregistrement en concert. Les autres titres de l’album sont de la plume des musiciens, hormis le célébrissime « Besame mucho », et ils s’inscrivent dans la même esthétique de ce disque aux contours élégiaques. Le clarinettiste et le pianiste serpentent dans les méandres mélodiques, discourent à l’envie autour des notes, se livrent à la confidence comme à l’excès, avec cette entièreté méditerranéenne qui caractérise pour une large part le jeu subtil des deux musiciens complices. Réellement porté par le souffle chambriste du duo, toute la musique de ce disque s’exprime dans une intimiste plénitude, tour à tour rêveuse ou bondissante, qui lui sied parfaitement. Plus qu’un exercice de style, « Chamber songs » s’inscrit dans une ligne musicale originale aux atouts indéniables. Un pur plaisir d’écoute.

Yves Dorison


https://gabrielemirabassi.com/
http://www.enricozanisi.com/


  FRANCESCO BEARZATTI . Dear John

Cam Jazz

Francesco Bearzatti  : saxophone ténor
Benjamin Moussay : fender rhodes
Roberto Gatto : batterie

Il n’y a pas un saxophoniste de jazz vivant sur terre aujourd’hui qui ne soit pas, peu ou prou, un disciple de John Coltrane (vous savez, ce type mort en 1967 auquel on cherche désespérément un successeur…). Où il joue du Kazoo. Bref, la musique écrite par le saxophoniste de Porderone pour ce disque, avec Benjamin Moussay et Roberto Gatto, est à son image : pleinement respectueuse et totalement parcourue par les courants musicaux multiples qu’il affectionne de fréquenter au gré de ses désirs. Francesco Bearzatti est un homme ivre de musique et il est inimaginable qu’il ne donne pas plus qu’il ne peut quand il est sur une scène. Ce disque hommage, qui contient aussi une composition de Coltrane et un traditionnel, est gorgé de vie et d’espace, d’élévation et de fureur intime. C’est d’ailleurs par ce biais qu’il se rapproche du maître car, de bout en bout, c’est bien Francesco Bearzatti que l’on écoute, libre de toute attache et toujours prêt à partager avec nous son envol. Ses acolytes l’épaulent (bien plus qu’ils ne le suivent) avec un engagement total et donnent à ce trio un volume musical imposant et une vraie charge émotionnelle qu’ils transmettent sans peine au public. Un disque ardent, pleinement humain. Comme on les aime.

Yves Dorison


http://www.francescobearzatti.com/


  FILIPPO VIGNATO - HANK ROBERTS . Ghost dance

Cam Jazz

Hank Roberts : violoncelle, voix
Filippo Vignato : trombone

L’on ne connaissait pas Filippo Vignato et son très sensible trombone avant ce disque. Par contre l’on suit depuis longtemps le travail d’Hank Roberts. Le retrouver là avec cette « Ghost dance » (en français, la danse des esprits) est un pur plaisir. Cette cérémonie née à la fin du XIXème siècle chez certaines tribus amérindiennes est un mélange syncrétique de croyances ayant pour but de favoriser la venue d’un sauveur. Elle était censée également permettre la rencontre entre les vivants et les morts. En 2018 dans la cave d’un vignoble italien, non loin d’Udine, l’interprétation qui en faite par les deux musiciens n’a rien d’une fête, ni d’une messe. C’est plutôt, une expression métaphorique, une appropriation improvisée, de l’histoire initiale. Presque exclusivement acoustique, à peine agrémentée de quelques effets électroniques, elle exprime à pas de loup, dans un clair obscur lourd de sens, la douleur d’un peuple décimé. Filippo Vignato et Hank Roberts, en parfaite empathie, explorent les lancinements obsédants de cette quête spirituelle dans une esthétique qui confine à l’intemporalité par le continuum musical qu’elle instaure du début à la fin du concert. L’auditeur attentif peut vivre cette immersion délicate, cette recherche contemporaine accomplie, comme un bain mémoriel dans les ondulations mélodiques et incantatoires d’une musique aux résonances étrangement actuelles .

Yves Dorison


www.hankrobertsmusic.com
www.filippovignato.com


  TRIO IXI . Improvisation

Cam Jazz

Régis Huby : violon
Guillaume Roy : Alto
Atsushi Sakaï  : violoncelle

Clairement contemporain, le trio affirme en deux mouvements la place qu’il s’est choisi dans ce concert avec une constance improvisatoire sans faiblesse. Ici l’on expérimente de façon assez radicale. C’est une musique définitivement contemporaine qui ne cherche pas à séduire l’auditeur. En toute honnêteté, elle demeure pour une large part hermétique à notre esprit qui ne sait comment la comprendre. Mais peut-être faut-il juste la ressentir. Quoi qu’il en soit, durant ce concert, le trio s’exprime avec une forme de raucité gémissante et d’éclatement rythmique qui retient l’attention. Est-ce une musique de l’intérieur ? Une entrée sur un imaginaire à nous inaccessible ? Une forme d’expression nouvelle ? Oui, possiblement. Mais alors, il nous faudra écouter et réécouter ce travail qui fait fi de biens des codes auxquels nous sommes habitués. Heureusement, l’inusuel offre de nouveaux paysages et nul doute que nombre d’auditeurs seront porteurs de capacités d’écoute dont nous sommes, à ce jour, privés.

Yves Dorison


http://abaloneproductions.com/


  HUW WARREN – MARK LOCKEART . New day

Cam Jazz

Huw Warren : piano
Mark Lockeart : saxophones ténor et soprano

Fort d’une vingtaine d’années de coopération musicale, Huw Warren et Mark Lockeart communiquent sans effort, de manière quasi naturelle. C’est la première évidence qui nous vient à l’esprit en écoutant les titres de leur disque qui, hormis deux pièces de John Taylor et une du saxophoniste, ont été composés par le pianiste. La deuxième évidence qui s’impose est inscrite dans créativité de leur conversation. Les deux musiciens s’accordent autour de mélodies sensibles desquelles ils retirent le meilleur en termes d’élégance et de finesse harmonique notamment. Ici l’on module, là on étire, on contourne et l’on se retrouve à l’unisson au creux d’une intimité musicale baignant dans une forme douce de sérénité. Soyeuse sans être sirupeuse, délicate mais pas douceâtre, la musique en confidence des deux anglais possède une volupté discrète et une sobriété qui s’autorise de menus écarts gorgés de saveurs plus lourdes. On est là dans l’entre soi tout de même. C’est la troisième évidence : le breuvage musical proposé par Huw Warren et Mark Lockeart est fruité et corsé, long en bouche et totalement digne d’une dégustation approfondie et réitérée sans modération aucune.

Yves Dorison


www.huwwarren.co.uk
www.marklockheart.co.uk


  RITA MARCOTULLI – ISRAEL VARELA . Yin and Yang

Cam Jazz

Rita Marcotulli  : piano
Israel Varela : batterie et voix

Dans cet enregistrement Rita Marcotulli et Israel Varela s’offrent un jeu d’ombres et de lumières, entre cordes, peau et voix, qui embrasse une sorte d’ethnicité multiple. Les contrastes s’y affirment et les différences s’y confrontent au sein un melting pot que les deux musiciens nourrissent de leurs personnalités respectives. Le jeu lumineux de la pianiste et la légèreté rythmique du batteur, sa voix aérienne qui nous a rappelé Nana Vasconcelos, permettent à ce disque l’élaboration d’une musique étincelante de vie, de couleurs chaudes et d’empathie. Alors voyez-vous, si le yin et le yang sont deux extrêmes qui coexistent (on vous passe les détails), il nous semble que dans cette galette l’italienne et le mexicain cohabitent sur un territoire commun, un terreau fertile source d’un dialogue riche d’imagination et de résonance, et qu’ils accèdent à une authenticité fusionnelle. Les mélodies, qui s’enchaînent avec une belle unité de ton, ne lassent pas tant elles sont construites avec goût et l’ensemble laisse une place non négligeable à la rêverie. Ce qui convient à tout le monde, non ?

Yves Dorison


www.israelvarela.com


  LAURENT MAUR . Chief Larry

Autoproduction

Laurent Maur : harmonica
Mario Canonge : piano
Felipe Cabrera : contrebasse
Pierre-Alain Tocanier : batterie

Et voici un disque de facture classique, de jazz mainstream nourri au swing pour être précis. L’harmoniciste Laurent Maur prend un plaisir fervent à jouer cette musique maintenant intemporelle. Et il le fait avec conviction. Soutenu par l’excellent Mario Canonge au piano ainsi que par une rythmique enthousiaste, il lance, avec les fioritures nécessaires, de grandes chevauchées où chacun exprime sa singularité musicienne. Improvisons avec bonheur. Un quatre-quatre par-ci, un solo par-là. Chorus s’il vous plait ! Pour souffler un peu, une ballade sensiblement interprétée, une javanaise toujours séduisante et le désir de jouer solidement chevillé au corps. Enregistré en public, cet album au groove sans bavure ne manque pas sa cible : se faire plaisir en jouant une musique réjouissante, lyrique et chaleureuse, et contenter grandement ceux qui l’écoutent. A consommer sans arrière-pensées.

Yves Dorison


https://www.laurentmaur.com/


  EXOTERM . Exits into a corridor

Hubro Records

Kristoffer Berre Alberts : saxophones
Niels Cline : guitare
Rune Naagard : basse
Jim Black : batterie

Entièrement écrite par le bassiste, la musique de ce combo américano-norvégien est bien capable d’ébranler vos fondements auditifs. Enregistré en deux jours à Brooklyn, cette suite (super) sonique entièrement immergée dans une atmosphère d’une excessive lourdeur ne laisse que peu de répit à l’auditeur. La règle de ce quartet semble assez simple en fait : il n’y a pas de règle. Chacun écoute l’autre et livre sa musique. Pas de frontières, tout se mêle et crée le son du groupe. Furieusement sans limite, la transe qui nait ainsi possède des textures à la densité industrielle, étouffante. Ce peut être abscons, mais jamais longtemps. Une ligne surgit toujours et mène la danse en enflant le propos. Les harmonies dégustent, les mélodies sont déchiquetées. Kristoffer Alberts agit en kamikaze et les autres ne sont pas loin derrière. Tous font dans le bruitisme thrash. C’est la bacchanale des watts et des stridences, la débauche des graves. C’est tellurique et psychédélique à la fois. Cela se contracte et ça se dilate comme un organisme des profondeurs relativement inidentifiable. Bref, cela ne vous laissera que peu de répit. Alors, en admettant que vous surviviez à ce déluge (Noé, petit joueur), vous pourrez passer le Cap Horn les doigts dans le nez ou regarder Dalida droit dans les yeux (ça c’est un exploit), à moins que vous ne préfériez réécouter le disque. Mais là, nous déclinons toute responsabilité quand aux effets potentiels sur votre santé mentale.

Yves Dorison


http://www.kristofferalberts.no/