Sortie du CD Music is my mistress

Lundi 20 janvier 2020

Ce lundi soir de janvier, le soi-disant lundi le plus glauque du mois, il ne fallait pas croire les vendeurs de molécules amollissantes de neurones ni donner du temps de cerveau aux séries émollientes du moment, il fallait quitter son nid douillet, braver le froid sec et venir au PAN PIPER où un nouveau venu sur la scène jazzeuse et -istique a pris place. Et quelle place, nomdedieu !! À rendre Jupiter inaudible, à lui ruiner l’arrogance.
Huit lascars s’agglutinent dans le GRIO-GRand Impérial Orchestra ; la ligne des avants, Simon Girard trombone, Fred Roudet trompettes et bugle, Aymeric Avice trompettes, piccolo et bugle, Damien Sabatier sax sopranino, alto et baryton, Gérald Chevillon sax basse, ténor et soprano, et à l’arrière : Aki Rissanen piano, Joachim Florent contrebasse et Antonin Leymarie batterie. Du lourd, Madame Lucette, du très lourd, un pack de ouf.
Les amuse-gueules font dans le répétitif assumé (Phil Glas se marre), jusqu’à ce que le trombone envoie un solo tout tout tout tendre, un cri d’amour murmuré à quelque oreille qu’on ignore, jusqu’à ce que le rythme s’accélère-on pense à Ascenseur pour l’échafaud-tempo soutenu, tendu, intense, le trombone ne lâche rien de son propos jusqu’à ce que les autres vents reviennent dans l’histoire, ponctuent, soulignent, écrasent, jusqu’à ce que restent le sax basse et la contrebasse chtoniens. Putain, c’est beauuuuuu !!! Le trombone n’a pas disparu, il n’a pas terminé sa déclaration d’amour, il susurre, quatre solistes débattent, et le pupitre des vents clôt cette première pièce par un trait virtuose, millimétré, fulgurant. On est passé des amuzgueules au plat de résistance ( Résistance !! Résistance !!, le cri des rues de Paris et d’ailleurs d’aujourd’hui ) sans s’en rendre compte. À l’insu de notre plein gré épaté.
On est prévenu, cet octet n’est pas venu faire de la figuration, jouer les gentils pour ceux qui s’ennuient aussi le lundi soir, voire roder un programme balbutiant.
La seconde pièce est introduite par une trompette puis le sax basse puis la seconde trompette jsuqu’à un gros riff et hophophop, le tempo accélère à nouveau. Serait-ce une habitude déjà de nous faire croire que tout va bien se passer- façon « vous ne sentirez rien » dit le dentiste ?
La contrebasse et la batterie tiennent la pulse de quatre mains de fer ( sans compter les pieds ), le sax alto s’envole dans des altitudes où l’air se raréfie. Éolien. Et le piano. Solo. A cappella. Qui sonne comme un clavecin ( quelque chose d’intentionnel amortirait les cordes ). Que dire sinon qu’on partage un moment unique, en suspension, inspiré. Les musiciens sont tournés vers le pianiste, et ce n’est pas une chorégraphie ; solo magnifique, inventif, une histoire dont les fils passent ici et là, on n’a pas le temps de se dire c’est un peu long, non ? que le trombone et les trompettes le rejoignent (à l’archet, la contrebasse tire et rabat un rideau épais et doux) dans une sonnerie de fanfare calme, paisible, sereine jusqu’au bout du souffle. Il n’est pas impossible que le morceau se nomme A cançao de Grilo.
Outre la dimension collective irréprochable, ces lascars sont de redoutables improvisateurs et les morceaux leur donnent à chacun l’opportunité de s’y coller : Fred Roudet au bugle velouté, sur un tempo de marche d’enterrement, Chevillon au sax ténor sur fond de trio p-cb-dms dans une pièce en forme de Lamentation et les autres...
À nouveau une pièce répétitive, Gomorra Pulse ; les compositeurs ont biberonné Steve Reich, mise en place casse-gueules, Leymarie se fond d’un solo de batterie exceptionnel, le piano discute avec la contrebasse à l’archet encore, puis ça vagabonde, les sax soprano et sopranino criaillent au-dessus de la meute, puis les sax baryton et basse matelassent le sol, ça groove de malade, c’est énorme.
Chaque morceau semble une nouvelle (littéraire) dont la structure n’est jamais répétitive, elle. Un thème, des histoires secondaires qui épaississent la sauce, des rebondissements, des impasses, tous ensemble ou chacun pour soi, des changements de rythmes inouïs et toujours une chute ravissante. Oui, qui ravit...
On les rappelle, ils persévèrent dans le répétitif avec une pièce qui invite à ré-écouter Le moteur à explosions de Chanson Plus Bifluorée.
GRIO- GRand Impérial Orchestra, c’est l’évènement de la rentrée 2020 ; tourneurs, pressez-vous de les attraper, il n’y en aura pas pour tout le monde.


Pan Piper
2-4 Impasse Lamier, 75011 PARIS


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