L’EuropaJazz déconfine

Ce vendredi, au festival de l’EuropaJazz, c’est le jour de Sylvain Rifflet qui a concocté un genre de voyage qui s’ouvre avec "Moondog in Africa" et se ferme avec « Dooble », projet électro.

Au milieu du parcours, il y a REBELLION(S) où Sylvain Rifflet remet le jazz dans le bon sens, celui de la revendication-action, du cri hurlé toutes époques confondue : « Ça va chier !! ». Avec lui aux sax ténor et clarinette : Jon Irabagon aux sax alto et sopranino, Sébastien Boisseau contrebasse et Christophe Lavergne à la batterie. En fond de scène, sur un écran géant, pendant que s’affichent la tronche de Jean Moulin et les paroles du discours d’André Malraux, la bande-son du même s’enclenche. Scansion, mélodie du discours, silences, du pur Malraux. Que les musiciens retranscrivent va savoir comment ; ils jouent son débit, ses accents, ses silences, la musique de sa voix. Avec les maitres du temps et du tempo que sont Boisseau et Lavergne, tu peux te lâcher avec ton tuyau à vent et c’est ce à quoi ils s’évertuent, les deux sax. Irabagon n’est pas manchot pour astiquer son manche à clés qu’il vale et dévale et revale à tout berzingue (il est payé à la note jouée ?). Ce dialogue à travers le temps et l’espace sonne juste, les rebellions n’ont pas d’âge ; de temps en temps les musiciens se taisent et Malraux persévère.
Il y aura Greta Thunberg avec sa voix quasi monocorde rendue par une pulse martelée d’un bout à l’autre à la batterie, avec le ténor et le sopranino en folie.
Et puis, Boisseau a cappella ; lui ne joue pas de la musique, il est la musique qui vit, respire, soupire, aspire, inspire, il laisse les sons se dissiper jusqu’au silence, longtemps longtemps, sans que le temps ne pèse. Le ténor se fend de la mélodie, l’alto lui répond. Ça serait une ballade sur fond de poème qui se déroule sous nos yeux ( en anglais, t’as intérêt à lire fluent pour tout capter ), ça volute et s’entre-mêle entre les deux sax, c’est beau, prenant et la fille rebelle s’appelle Factory Girl. Il y aura Paul Robeson ( heureusement que le public est gravement composé de têtes chenues donc assez âgées pour savoir de qui il s’agit ), puis Michèle Lalonde avec un texte magnifique, Speak white, mis en valeur par la clarinette et la basse à l’archet. Enfin Emma Gonzalès, rescapée et survivante d’une tuerie américaine ( spécialité US toujours appréciée aujourd’hui et entretenue par la NRA ) dont Lavergne porte la colère par un tempo et une pulse sauvages. Ce quartet envoie du jazz qui nettoie les oreilles et les esprits, qui favorise les incursions hors des zones de confort émollientes et sédatives, du jazz qui réveille du sommeil pré-mortuaire. Ils se font plaisir avec un petit dernier court, intense et déjanté au tempo plus vif que celui de Donna Lee et Irabagon lâche les chevaux au sopranino ( Monniot, sors de ce corps !! ). Merci les mecs, pour ce shoot d’amphé-jazzeuses.

Duo Bojan Z/Sylvain Rifflet
Après la folie furieuse, retour au jazz intimiste et chambriste dans le Dortoir des Moines : un piano à queue, un sax ténor ou une clarinette, nada mas. Ça sonne comme du Barney Wilen en duo avec Alain Jean-Marie : son rond, plein, velouté. Écoute attentive de l’un et l’autre, aucun trou dans le tissu de leur conversation. Un set qui passe comme une gorgée de Côte Rôtie, gouleyant, épicé, savoureux. Bojan Z, solide, presque immuable vu de dos ( sauf les mains, ça va de soi ), se fend de soli drus, intenses, pas du tout timides ou réservés mais pas du tout intrusifs-agressifs, c’est fluide, sans début ni fin ( relire le Tao par Marcel Conche ), il se met au service de Rifflet qui se met à son service aussi. Et Rifflet, insatiable, qui se régale de cette rencontre. Ça donne envie de réécouter quelques duos : Horace Parlan/Archie Sheep, Martial Solal/ Michel Portal, Beirach/Liebman, histoire de bien situer ce qu’on vient d’écouter.


EuropaJazz mouture 2022
Abbaye de l’Épau
72000 Le Mans


Voir aussi :