mardi 23 août 2022

Nous attendions François Couturier et Dominique Pifarély en duo. Le pianiste malade à Oslo, seul le violoniste vint sur la scène du Théâtre des Arts. Un peu déçu bien évidemment, mais pas mécontent d’écouter enfin, en solo, le natif de Bègles car, voyez-vous, c’est un poète. De son archet, d’entre les cordes, sortent des mots. Ils se bousculent, ils s’attirent et s’opposent, ils se regardent, ils se parlent ; et ils nous parlent. En grammairien précis de l’improvisation, il écrivit son texte, un texte à la syntaxe dense qui porta l’émotion. En bon contemplatif, je laissai venir à moi les lignes, leurs accentuations graves, aiguës, circonspectes aussi, et me contentai d’être là, dans l’atemporalité qui m’est chère (c’est quand on ne voit pas le temps passer qu’on le sent véritablement couler), à glaner les instants propices, les sonorités âpres, les souplesses du mouvement, les citations éparses, la musique quoi. J’imagine volontiers que quelques aficionados du quatre quatre se perdirent en route. Ce sont des choses qui arrivent, surtout quand on cherche à comprendre alors qu’il suffit de prendre. Qui plus est, l’imaginaire fait le reste, le poète le sait bien, sans occasionner le moindre effort ni la moindre fatigue. Recueillir autant de richesse sans rien faire, c’est presque du néo-libéralisme... Sauf qu’avec Dominique Pifarély, il ne s’agit pas d’argent mais d’humanité. Pauvre de nous… Sur la vaste scène du théâtre, il se tint tout au bord, offert en partage. Ce n’est pas anodin (puisque c’est humain).

En seconde partie de soirée, le duo germano-helvète constitué par Frank Woeste et Matthieu Michel acheva de me contenter. Dans une autre veine, ils parvinrent aisément à nourrir mes conduits auditifs. Mélodico-lyriques, les Libretto dialogues du pianiste ne manquèrent pas de rythme et d’échappées belles créatives, de tours et détours ouvragés conçus avec force et élégance. Inventive et éloquente, chaque pièce jouée par le duo révéla une part du kaléidoscope global qui les fit naître ; de quoi rassasier les plus goinfres comme les plus gourmets. Le violoniste fut invité sur un morceau, histoire de nous dire que les choses simples existent, qu’il suffit de l’opportunité offerte pour épaissir plus encore le sentiment d’humanité épanouie qui me parcourut tout au long de la soirée. C’était un 23 août, jour qui vit naître en 1927 l’iconique Martial Solal.

Petit bémol : la scène fut copieusement baignée, tout au long de la soirée, dans cette espèce de fumée (de brouillard) qu’affectionnent les gens placés derrière la console et qu’ils trouvent certainement artistique. De mon point de vue, cela nuit à la concentration nécessaire (en détournant le regard) quand on écoute des musiciens de haut vol. En sus, cela perturbe mon œil de photographe. Je ne fus pas le seul à m’en plaindre dans les premiers rangs. Mais j’ai certainement mal compris les volutes de ce message. Ce devait être un clin d’œil amical aux forces vives qui luttent contre les incendies ou une protestation véhémente contre les centrales à charbon ; une sorte de message écologique ? Allez savoir. En bref, cela emmerde pas mal de monde et satisfait celui qui appuie sur le bouton. Et puis quoi, on est à Jazz Campus, pas à Jazz à Vienne.
Enfin, passons…


https://pifarely.net/dominique-pifarely/
http://www.frankwoeste.com/