Ghosts of Bernard Herrmann

FASCINANTS FANTÔMES

Quelle belle idée que ce projet, comme sait en concocter l’infatigable Philippe Ghielmetti pour les labels Sketch, Miniummusic et maintenant Illusions. Cinéphile de longue date, il proposa donc à Stephan Oliva de « faire un disque sur Hermann » qu’il apprécie particulièrement. Ce qui fut fait, enregistré par Gérard de Haro dans son studio de La Buissonne devant une soixantaine d’invités, puis retravaillé ensuite.

on aime !

Bernard Herrmann (1911 – 1975) est un authentique et indiscutable génie de la musique de film, l’un des rares de ce métier à être admiré aussi bien par les professionnels du cinéma que par le milieu de le musique dite sérieuse ( ! ). Il fait partie de ces quelques compositeurs mythiques nés au début du XXième siècle, Alfred Newman (1901-1970), Miklos Rosza (1907-1995), Franz Waxman (1906-1967), Alex North (1910-1991), David Raskin (1912-2004), Elmer Berstein (1922-2004) et Jerry Goldsmith (1929-2004) qui composèrent les plus belles musiques de films pour les plus grands réalisateurs ayant travaillé aux USA.

Né à New York, il compose dès l’enfance, obtient un prix de composition à 13 ans et suit des études à la prestigieuse Juilliard Graduate School of Music. Il fonde et dirige à vingt ans le New Chamber Orchestra puis entre en 1934 au service radiophonique de la CBS. Il fait la connaissance d’Orson Welles et participe à la célèbre émission radiophonique La guerre des mondes tiré de H.G.Wells le dimanche 30 octobre 1938 (un soir d’Halloween) terrifia les Etats-Unis (l’invasion des martiens, leur atterrissage à Grorvers Mills, dans le New Jersey) ; ensuite le génial cinéaste l’engage pour écrire la musique de Citizen Kane (1940) considéré comme le plus grand film de tous les temps, puis de son second film tout aussi admirable La splendeur des Amberson (1942). En 1941, il obtient une récompense (Academy Award) pour le peu connu The Devil and Daniel Webster (Tous les biens de la Terre), film fantastique de William Dieterle pour lequel il remporta un Academy Award. Suivent quelques autres chefs-d’œuvre, Jane Eire (1994), Hangover Square (1945) dans lequel il compose un Concerto macabre pour piano et orchestre, The Ghost and Mrs. Muir (L’aventure de Madame Muir, 1947). A Hollywood à partir de 1950, il signera de nombreuses bandes originales de diverses factures : The Day the Earth stood sill (Le jour où la terre s’arrêtera) de Robert Wise (1951), le superbe et méconnu On dangerous Ground (La maison dans l’ombre) de Nicholas Ray (1952)… Tout ceci avant sa rencontre avec Alfred Hitchcock en 1955 pour une collaboration exceptionnelle (citons, notamment, The Man who knew too much (L’homme qui en savait trop, 1956), Vertigo (Sueurs froides, 1958), North by Northwest (La mort aux trousses, 1959), Psycho (Psychose, 1960), Marnie (Pas de printemps pour Marnie, 1964)… Il collabore ensuite à des films « fantastiques », s’installe à Londres au milieu des années 60, rencontre François Truffaut et signe les musiques de Fahrenheit 451 (1966 ) tiré du roman de Ray Bradbury et La mariée était en noir (1968) avec Jeanne Moreau. Au cours de la décennie suivante, il signe la musique de deux films de Brian de Palma, Sisters (Sœurs de sang, 1973, et Obsession, 1976) ainsi que, pour le débutant Martin Scorsese, la partition de Taxi Driver (1975). Le cinéaste lui dédiera son film.

Stephan Oliva piano solo.
Illusions Music 2007

Bernard Herrmann, victime d’une attaque cardiaque, s’éteint la veille de Noël 1975 à l’âge de 64 ans.

La musique de B.H.. Grand connaisseur de l’œuvre de Debussy, Ravel, Satie, Delius (qu’il a pu jouer en tant que chef d’orchestre) il bouleversera la fonction essentiellement narrative de la musique de film subordonnée aux dialogues et aux images. Avec lui la musique devient un élément fondateur du film. Il assume très tôt un goût prononcé pour les atmosphères troubles et troublantes (Citizen Kane) ou écrit une musique très néo-romantique rappelant celle de certains impressionnistes britanniques (la valse de La splendeur des Amberson, The Ghost ans Mrs. Muir), utilisant une instrumentation entièrement électronique pour The Day the Earth stood still. Orchestrations atypiques, nouvelles harmonies souvent tonales ou polytonalité, dissonances, usage fréquent d’ostinatos, rythmes répétitifs, modes et rythmes orientaux, telle sont les composants de cette musique libérée de toute entrave esthétique et de tout compromis, parfois difficilement acceptée par les magnats de la production hollywoodienne.

Stephan Oliva. Né en 1959. Compositeur, considéré comme l’un des meilleurs pianistes français (pas seulement de jazz), il consacre ses débuts à la fin des années 80 à un travail en trio sur ses propres compositions ; suivent des projets discographiques en relation avec son histoire musicale marquée (et remarquée) par des personnalités comme Bill Evans (Jade Visions), Lennie Tristano (Sept Variations sur Lennie Tristano en septet pour le label Sketch) et le batteur Paul Motian avec qui enregistre Fantasm et Intérieur Nuit en compagnie du contrebassiste Bruno Chevillon. Son intérêt, sa passion pour le cinéma se manifeste une première fois en 1998 avec sa participation à Jazz’n (e) Motion, sous titré Film Music on the Piano et en 2005 avec un projet inspiré par l’œuvre littéraire et cinématographique de l’écrivain Paul Auster (Coïncidences) et s’adonne à des improvisations « live » sur le film muet de G.W. Pabst Loulou (1929). Il donne également des conférences sur la musique de Bernard Herrmann.

Stephan Oliva et la musique de Bernard Herrmann. La gageure est de taille : comment avec un piano seul évoquer une musique orchestrale si diverse ; certainement pas en une simple ( ! ) « réduction » ; non, le titre de l’album est clair : il s’agit de convoquer les fantômes du grand compositeur au travers des films en se ré-appropriant les thèmes, en prenant le piano à bras-l’instrument, jouant sur/avec les résonances et les intervalles et strates du silence, des silences si éloquents. Tendre avec Les nuits de Madame Muir, inquiétant avec le Voyage au centre de la Terre, énigmatique pour le contrôle de l’espace, sobrement jazzy avec l’Obsession de Brian de Palma, tout à tour répétitif, lancinant, grondant, angoissant pour les Hitchcock Vertigo et Psycho, doucereux pour les Sisters, délicatement mélodieux avec le feu de Truffaut, valsant avec les neiges du Kilimanjaro, totalement dans l’univers wellesien (on attend « rosebud », troublant dans le taxi fou de Scorcese)…

Il nous faut donc croire aux fantômes, surtout si ce sont ceux de Bernard Herrmann mis génialement en total pianisme par Stephan Oliva et superbement enregistré par Gérard de Haro (pléonasmes).


> STEPHAN OLIVA : ghosts of Bernard Herrmann - Illusions ILL313002 -

Stephan Oliva, piano solo, arrangements et improvisations ; Fender rhodes sur The Birthday

1/ Nocturne / Andante cantabile ; The Ghost and Mrs Muir Joseph Leo Mankiewicz, 1947 | 2/ Journey to the Center of the Earth – Suite ; Journey to the Center of the Earth Henry Levin, 1959 | 3/ Radar / Space control ; The Day the Earth stood still Rober Wise, 1951 | 4/ Prelude ;
Obsession Brian de Palma, 1976 | 5/ Vertigo ; Vertigo (Sueurs froides) Alfred Hitchcock, 1958 | 6/ The Birthday ; Sisters (Soeurs de sang) Brian de Palma, 1973 | 7/ Psycho – Suite ; Psycho (Psychose) Alfred Hitchcock, 1960 | 8/ Prelude / The Road / The Bedroom ; Fahrenheit 451 François Truffaut, 1964 | 9/ Memory Waltz : The Snows of Kilimanjaro Henry King, 1952 |10/ Ouverture / Xanadu ;Citizen Kane Orson Welles, 1940 | 11/ All the Animals come out at Night ; Taxi Driver Martin Scorsese

  • Enregistré en concert le 2 décembre 2006

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