Elles sont trois munies d’une bouche, d’un larynx et d’une paire de poumons. Pas de quincaillerie électro, pas de mégaphone, trois corps pour trois vocalistes acoustiques : Heidi HEIDELBERG, Leïla MARTIAL et Jessica MARTIN MARESCO, réunies ce soir pour un programme nommé HAÏKAÏ. La salle arbore pour la dernière fois son décor métallisé ( façon emballage de chocolat ) et le public, très nombreux, a bravé la pluie généreuse et la fraicheur automnale.
Elles démarrent bouche fermée ( mmmmmmm ), passent aux trilles, au babababababa, c’est beau, ça sonne plein, rond, on pense chants bulgares avec ces sons qui frottent, se frottent, copulent. L’une tient une pulsation de contrebasse, l’autre un ostinato obstiné, la dernière divague. Elles construisent un discours à toi à moi à toi à nous, clin d’oeil au quartet vocal Chanson Plus Bifluorée et son Moteur à explosion ? Bien sûr, la dimension clownesque n’est pas loin, elles y succombent et hurlent comme seules des chanteuses lyriques peuvent le faire. C’est beau, suave, tendre, explosif, intrigant, émotionnant. Elles jouent de la bouche, des lèvres, de la langue, mains frottées, mains claquées, corps frappé. Ici un épisode aigu qui tourne en 78 tours ( qui se souvient des tourne-disques en 78 tours ? ) avant de ralentir en 16 tours…. Elles font dans le gromelot (…. daddy.. you see….), échangent leurs places, réajustent leurs voix au diapason. On peut imaginer ici ou là, une pièce écrite pour l’occasion ( la salle de bain ). C’est puissant, envoûtant, surprenant, joyeux, déconnant, touchant. Elles entreprennent de détruire le décor en papier aluminium, usent des lambeaux pour bruiter, clin d’oeil à André Minvielle et son pochon en plastique, elles usent aussi du silence et de leurs souffles qui l’habitent, leurs voix s’empilent, se dépilent, elles respirent et conspirent. Tout ça est magnifique, fluide, instantané, jouissif, jubilatoire, ça troue les tripes au plus profond, on pense Swingle Singers, Poulenc et ses oeuvres profanes, Josquin des Prés ou Roland de Lassus quand elles chantent le sel de la terre et de l’océan. Elles osent un cours de diction hilarant autour de lèche et lait, langues tirées jusqu’aux pieds. La dernière pièce est juste exceptionnelle : trois corps musicaux, un quelque chose articulé entre elles pour une musique sidérante.
Au rappel, deux courtes pièces qui touchent au sublime. Tout simplement.

Atelier du Plateau
Rue du Plateau, 75020 PARIS
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Yves Dorison
 : photographie