White bicycles - Making music in the 60’s

Mémoires d’un producteur de musiques fan des 60’s

C’est par le nom de l’auteur ou par le titre qu’on approche ou découvre un livre.
L’auteur, Joe Boyd (né à Boston en 1942), producteur de disques et de films a participé activement à la scène musicale des sixties, années de « parenthèse enchantée » (les sixties ont débuté à l’été 1956, se sont achevées en octobre 1973 et ont connu leur apogée à Londres, à l’aube du 1er juillet 1967,lors d’un concert de Tomorrow à l’UFO club (ancien dancing irlandais de Tottenham Court, telle est la première phrase du livre) ; il a lancé de nombreux artistes parmi lesquels les Pink Floyd, Nick Drake, Fairport Convention, The Incredible String Band dont il deviendra le producteur.

"White Bicycles" de Joe Boyd
Allia Editions - 2008

Avant cela, il fut l’agent de Lonnie Johnson (1889-1970) figure majeure du blues à la Nouvelle-Orléans, alors oublié et travaillant comme cuisinier dans un hôtel de Philadelphie en organisant un premier concert en 1960 à la fin des vacances d’été. Plus tard, il travaillera avec George Wien pour le Newport Jazz Festival : des concerts pour quelques pointures du jazz et du blues, Muddy Waters, Roland Kirk, Coleman Hawkins, Miles Davis et Thelonious Monk à partir de 1965. C’est lors d’un concert de Bob Dylan, que bouleversé d’émotion, il assiste, déclare-t-il, à la naissance du rock, ni plus ni moins. Arrivé en Grande-Bretagne, il s’immerge avec délices dans le « swinging London », ce milieu underground dont il connaîtra les plus grandes figures, la liste est longue et impressionnante.

Le titre du livre mérite explication : ces bicyclettes blanches sont celles que les provos (groupe anarchiste) d’Amsterdam laissaient librement à la disposition de la population (nos fameux vélib’) ; pour Joe Boyd le début des vols de ces engins marque la fin symbolique de cet âge d’or.

Il est évident qu’un personnage de cette trempe a beaucoup de choses à raconter et il le fait fort bien, les chapitres consacrés aux musiciens fourmillant d’anecdotes souvent insignifiantes mais le plus souvent révélatrices, fort éloignées des approches analytiques ou complaisantes de certains biographes. Le rock tient une place prépondérante, notamment avec Bob Dylan et Nick Drake auxquels il voue un véritable culte (chapitre 23 pour ce dernier).

Le jazz et le blues tiennent également un part non négligeable.

Le chapitre 5 est consacré au blues (au milieu des années 60, l’amour du blues rassemblait une grande partie des amateurs de musique folk américaine et de pop anglaise) et plus spécialement à Muddy Waters et au rôle qu’il joua notamment en 1964 en Grande-Bretagne. Le chapitre 6 relate la collaboration de l’auteur avec George Wien et évoque la tournée de Roland Kirk en compagnie de Tete Montoliu et le goût prononcé de Coleman Hawkins pour le cognac (afin de soigner son rhume) ; plus loin il nous conte les péripéties du Newport festival 1965 avec cette déclaration qui laisse pantois : j’étais peut-être le seul à considérer Carmen McRae comme une simple remplaçante, mais pour moi ce n’était qu’une chanteuse de bar ( !), jugeant Charles Lloyd (saxophoniste modérément doué) et trouvant la musique de Monk et de Rollins imprégnée d’héroïne et d’alcool alors que la jeunesse s’intéressait désormais aux acides et à l’herbe ( ! ! ).

Joe Boyd Story - "White Bicycles"
CD - Nocturne - 2008

Emouvant, par contre le chapitre (26) consacré entièrement aux Blue Notes et à Chris Mcgregor dont il fut le producteur pour les disques Very Urgent en 1968 et le Brotherhood of Breath en 1970, ce dernier encore disponible en CD. Au début des années 60, il forma le groupe multiracial Blue Notes et il défièrent le régime de l’apartheid… leurs tournées étaient souvent des cauchemars à cause des persécutions policières , des laisser-passer limités, des salles de concerts cadenassées… de cette force de haine, McGregor et son groupe créèrent une musique d’une puissance et d’une beauté extraordinaires.

Toute l’histoire donc de ces années turbulentes dites « psychédéliques » est ici racontée avec lucidité et humour, témoignage en prise directe de quelqu’un qui connu (et vécu dans) le milieu underground mieux que quiconque. Un fort bel ouvrage pour mieux faire connaître cette époque qui marqua profondément et pour longtemps tout amateur de musiques .

A l’occasion de la publication de ce livre le label Nocturne distribue un CD The Joe Boyd story dans lesquels figurent les artistes de légende découverts et enregistrés par le célèbre producteur, dont, notamment Eric Clapton, Pink Floyd, Nick Drake, Soft Machine, Fairport Convention, Nico et pour les amateurs de jazz Chris McGregor’s Brotherhood of Breath (Andromeda) et Dudu Pukwana & Spear avec Church Mouse, un inédit.

Bien entendu, ce disque est le complément indispensable du livre… et réciproquement.


> White bicycles - Making music in the 60’s : BOYD Joe ; traduit de l’anglais par Camille Chambon ; Editions Allia

  • The Joe Boyd story - CD du label Fledg Ling’ FLED3061 distribué par Nocturne

> Lien :

> A noter plus spécialement une collection remarquable de livres sur la musique d’auteurs étrangers dont Sweet Soul Music de Peter Guralnick et Experimental Music du compositeur Michael Nyman.