"Crossing My Bridge" sur le label Laborie.

  L’ART DU TRIO À LA FRANÇAISE

La formule piano-basse-batterie a traversé l’histoire du jazz avec de variables et infinis bonheurs : Art Tatum, Bud Powell, Ahmad Jamal, Thelonious Monk, Bill Evans, Abdullah Ibrahim, Herbie Hancock, Chick Corea, Keith Jarrett, entre autres, Brad Mehldau enfin qui l’a hissée au rang du renouveau contemporain.

L’Europe n’a jamais été en reste, qui nous a donné des René Urtreger, Henri Renaud, Bengt Hallberg, Joachim Kühn, Pierre de Bethmann, Bojan Z, pour ne citer qu’eux.
Chaque tournant d’année nous a apporté de nouveaux accords tripartites : Tigran Hamasyan, Yaron Herman, Giovanni Mirabassi, Anne Paceo, Edwin Berg, Perrine Mansuy, la liste est longue.

Dans le cycle « l’Art du piano à la française », voici la Saison 1 [1] : le nouvel album de Murat Öztürk. Sortie le 13 octobre 2009, disques Laborie. Prémonition ?

  MURAT ÖZTÜRK « CROSSING MY BRIDGE »

Ce musicien, dont vous devinez aisément l’origine, est en train de s’épanouir dans nos contrées grâce à un petit label qui devient grand.

Prémonitoire ? Treize titres dans ce « Bridge ». Aux noms cocasses à-la-solal : « La panthère Öz », « On the rhodes again », « Anna thème », « Le vert du décor » . Cela met déjà en joie, l’humour caucase est universel.

Mais la musique, elle, ne rigole pas. C’est ici du (très) sérieux.

Dès « One more circle », on se dit : « toucher sublime, respiration, la note à venir se fait désirer au sens littéral du mot, la note qui est venue et que l’on attendait pas - on rencontre Monk au détour d’une phrase - accords voluptueux ( Bill Evans ), articulation parfaite - Murat est au piano ce qu’Elton John est au chant - improvisation de belles lignes mélodiques chantantes ».

« La panthère » se meut, sereine, se coule dans les hautes herbes.

Puis elle déboule sévère, «  Impact », une petite minute tout juste de fureur fulgurante.

«  Rhodes », atmosphère, atmosphère.... effets sonores sur fond d’accords milesdavisiens.

De la même trempe que « Circle », c’est «  Fog’s frog blues ». Musique éthérée, évanescente, suspendue dans le temps et dans l’espace. Attention, à partir de 3:30, écoutez bien. Il se passe encore des choses... et ce presque silence est encore du Öztürk.

Eh ! C’est enfin le titre de l’album « Crossing my Bridge », c’est le pont entre l’Orient et l’Occident, c’est l’expression des racines, sans qu’elle ne tombe dans le folklore frelaté pour touristes.

Aimez-vous Debussy ? «  Anna thème », brode une délicate dentelle mélodique perlée comme la rosée , d’où la basse éclôt jusqu’à un épanouissement irisé, au pays des mille et une pluies.

Après la « Riposte » de tir de barrage sur/contre l’archet grinçant, on passera au très hancockien « Dede’s dance » et aux très beaux entrelacs piano-basse de « The lucky song ».

«  After the lake - moment one » est un des autres plus beaux bijoux de cette collection. C’est le retour au bercail, à la terre des ancêtres. Quelle sérénité, quelle sagesse, quelle simplicité, quelle beauté, quelle paix.

« One more circle », one more time, avec sa fin cachée dans une cathédrale engloutie. Allez bien au fond de la grotte miraculeuse pour la découvrir.

Grande et belle musique. Fermez les yeux quand elle s’ouvre sur «  One more circle », vous les rouvrirez longtemps après que se soit évanoui « One more circle – alternate take » qui la clôt... peut-être.


> Murat Öztürk : « Crossing my bridge » - Laborie LJ 08 – distribution Naïve

Murat Öztürk : piano / Gautier Laurent : basse / Olivier Strauch : batterie / Jean Pascal Boffo : effets sonores, guitares

Compositions de Murat Öztürk ou collectives

01.One more circle / 02. La panthère Öz / 03. Impact / 04. On the rhodes again / 05. Fog’s frog blues / 06. Crossing my bridge / 07. Anna thème / 08. Riposte / 09. Le vert du décor / 10. Dede’s dance / 11. The lucky song / 12. After the lake - moment one / 13. One more circle (alternate take)

Le trio est programmé aux Trinitaires de Metz le samedi 24 octobre 2009 et au Duc des Lombards le mardi 1er décembre 2009 dans le cadre de la semaine des disques Laborie.


> liens :

[1comme on dit bêtement à la télévision dans l’univers (im)pitoyable des séries.