Après un premier écho, publié le 18 avril, voici la suite de l’itinéraire musical carthaginois de Michel Delorme.
"Jazz à Carthage by Tunisiana avait été mis en suspens l’an dernier pour cause de révolution.
Beaucoup de choses ont changé en Tunisie depuis mais Jazz à Carthage est resté. (...) Un événement donnant à entendre du jazz dans toute sa diversité. Une diversité qui est le maître mot du monde contemporain."
Ainsi débute l’éditorial qui introduit la présentation du festival 2012 qui s’est déroulé du 5 au 15 avril. Michel Delorme y était, toujours curieux de diversité !
Après un premier écho, publié le 18 avril, voici la suite de son itinéraire musical carthaginois...
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> Jeudi 12 Avril 2012
Chatoyance !
Commençons par le compte rendu de la première partie de la soirée, tant la qualité artistique des quatre membres de Radiodervish éclipsa toute autre prestation.
Le chanteur palestinien Nabil Salameh, le guitariste italien Michelle Loacarro, le pianiste Alessandro Pipino et le percussionniste Ricardo Lagana nous ont offert un festival de beauté pure. Que Nabil chante en arabe, en italien, en français ou en anglais, peu importe, on ne comprend pas forcément telle ou telle langue. Mais le langage de la musique et du son des mots est universel.
Nabil Salameh possède une merveilleuse voix, chaude, caressante, sensuelle comme le soleil méditerranéen. Il a, de plus, acquis une technique vocale qui transporte des inflexions rares sur des harmonies lumineuses. Il serait du reste intéressant qu’un saxophoniste comme Kenny Garrett par exemple, transcrive le cheminement vocal de Nabil. Une présence charismatique auréole encore son chant, faite toute de douceur et de sourire discret.
Ses compagnons le suivent avidement, embellissant les volutes de paroles et de notes. Michelle et sa guitare se love-nt dans les bras du chanteur, Alessandro quitte son clavier pour caresser un accordéon le temps d’une chanson, et Riccardo ponctue avec douceur. Une poésie mélancolique de bon aloi teinte et embaume le répertoire où j’ai noté la chanson qui parle de la petite fille à la lune et celle qui évoque Beyrouth. Toutes les compositions et les textes sont faits maison et parlent de la douceur et la douleur d’aimer, une personne ou un lieu.
Eh Salam …… Monsieur Nabil.
Samba chic, dit le programme. Chic en effet, ce programme de samba brésilienne, car ce n’est peut-être pas celui que l’on entend dans les favelas de Rio. Toute "enfourreautée" de noir rutilant, la plantureuse Mme Lima vend très avantageusement sa voix et son sens inné du rythme pour le plus grand plaisir d’un public conquis d’avance.
Et c’est bien le plus important. Sauf que l’on pourra goûter peu ou pas le gimmick habituel qui consiste à faire chanter la salle, les femmes d’abord, les hommes ensuite. Par contre, elle fit danser son public de belle façon dans un grand enthousiasme collectif, femelles ou mâles confondus.
Seule originalité, mais de taille, le répertoire est bien celui de la samba brésilienne, mais avec une rythmique qui frise le hard rock. Et on nous dispense ce faisant des lénifiantes sambas de supermarché ( d’ascenseur ou de plage ).
En ce qui me concerne, l’âme du Brésil est ailleurs, du côté d’Elis Regina, Ney Matogrosso, Ivan Lis, Djavan et surtout Milton Nascimento.
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> Samedi 14 Avril 2012
Succès considérable hier soir pour la "Pasionaria" de la chanson espagnole, si je peux risquer ce pléonasme. Même si le samedi soir est propice à une sortie en ville, cela n’explique en rien le fait que la salle était pleine à craquer. Merci à Scoop Organisation, Mille-et-une-Tunisie, Propaganda et tous ceux qui ont participé à la réalisation de cette soirée a priori pourtant incongrue au sein du "Jazz à Carthage by Tunisiana", car cette musique est aussi éloignée du jazz que celle d’Hindi Zahra. Dont nous avons cependant conclu qu’elle avait sa place, et comment, dans ce beau Festival.
Car le jazz se nourrit maintenant de toutes les musiques du monde, comme les musiques du monde se sont un temps nourries des sonorités du jazz et… du rock. Qu’auraient été les Bob Marley, les Carlos Santana, les FelaKuti sans l’électricité tonifiante du rock ? Et surtout, la musique arabo-andalouse a maintenant une influence considérable sur le jazz. L’immense pianiste allemand Joachim Kühn ne veut pour tisser une ligne de basse à son trio que le gembridu marocain Majid Bekkas.
Qui dit arabo-andalouse, dit andalouse. Même si l’Andalousie n’est pas géographiquement proche de la Principauté des Asturies où elle a grandi, Luz Casal était parfaitement à sa place hier soir dans les murs du magnifique Carthage Thalasso.
Portée par un orchestre dont j’ai noté la grande qualité de certains arrangements, mais dont j’ai peu apprécié la sonorité outrageusement "mexicaine" du trompettiste, Luz nous distilla des ballades Aussi des reprises de standards comme ce "Historia de un amor".
Sa voix est claire et forte, lumineuse et pleine d’une élégante sensibilité émotionnelle. Elle possède en outre un grand sens de la dramaturgie, de la théâtralité non ostensible. Qui me fit penser un instant, quand elle eut revêtu une robe noire pour le rappel et levé les bras vers le ciel, à l’immortelle Edith Piaf.
Et cerise sur le gâteau, elle est son propre auteur-compositeur.
Pas étonnant dès lors que le fabuleux cinéaste Pedro Almodovar lui ait demandé en 1991 d’interpréter deux chansons pour son extraordinaire film "Talons Aiguilles".La consécration.
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> Dimanche 15 Avril 2012
I’m coming Bendirland. La dernière soirée de ce Festival 2012 s’ouvrit avec Bendir Man.
Second artiste tunisien à honorer de sa présence le festival de jazz de Carthage, Bendir Man n’est pas un chanteur au sens strict du terme. Il est plutôt un "chansonnier", c’est-à-dire qu’il se sert de la chanson pour fustiger notre monde, politique, social, avec ses injustices, ses privations de liberté. La religion échappe-t-elle à sa vindicte ? Difficile pour quelqu’un qui n’entend pas sa langue natale d’en juger.
Même après la chute de l’ancien régime, il reste vigilant au sujet de la censure, du droit des femmes, de la liberté, tel une sentinelle. Résistance et tolérance sont les ressorts qui l’animent.
Sa prestation renverse tout sur son passage, comme un torrent en crue dévalant la montagne. La musique elle-même est à cette image, puissante, dévastatrice. Et, bénédiction, elle est typiquement arabe, avec la voix omniprésente du violon qui dialogue constamment avec le chant. Elle est en outre multiculturelle, Bendir Man ne lance- t-il pas "je vais interpréter une chanson juive... la culture juive fait partie de la Tunisie".
Tel un tribun, il harangue son public qui le suit "comme un seul homme", expression à laquelle il conviendrait d’ajouter les femmes. Ses diatribes, pour ne pas employer le mot vannes, provoquent une hilarité et une adhésion collectives qui frisent l’hystérie.
Si l’on ajoute sa casquette vissée sur le crâne, il me fit penser à une espèce de Bruce Springsteen !
Quel choc. Aïe-ya-aïe, aïe-ya-aïe
MICHAEL BURKS, Iron Man
Il avait investi samedi soir le superbe Jazz Club Papa Joe. Club qui trône au bout d’une esplanade majestueuse dans le cadre très chic de l’Espace Virgile de l’Hôtel Golden Tulip. Nous ne sommes pas loin de La Marsa. Et comme dans tout club huppé, contrairement aux clubs où le public trépigne sur ses deux pieds, les spectateurs avaient droit ici à leur table personnelle. Ce qui ne les empêcha pas pour la plupart de se lever et de danser sur le blues de "l’homme de fer". Il y eut une telle osmose entre l’artiste et son public qu’il a presque fallu faire venir un bazooka pour qu’il arrête de casser sa voix et de faire pleurer sa guitare ! _ Mais trêve de références musicales, passons au répertoire. Et à son administration à nous, pauvre petit public anémié, par le colosse américain qui l’exécuta en version sur-vitaminée.
Répertoire qui me laissa pantois. Première chanson : "Miss you" des Rolling Stones ! Deuxième chanson : "Light at the edge of the world", une des plus belles ballades qui aient jamais été écrites. Allez chez Mme Internet, rue Daily Motion à l’angle de l’avenue You Tube, et écoutez les versions du saxophoniste hyper-lyrique Pharoah Sanders ou du guitariste flamboyant Carlos Santana. You’ll see what I mean ! Et ce bougre de Michael doit adorer Carlos Santana car il enchaîna par "Oye como va", version muette (c’est-à-dire que l’on ne chanta pas ici les paroles, on appelle ça un instrumental, et ce fut le cas des trois premiers titres).
Suivirent des blues et encore des blues, des blues rapides et des blues lents, des heavy blues et des low down blues. Dont certains avaient pour créateur des légendes comme Jimi Hendrix, "Hey Joe" par exemple. Et pour prouver l’amour de Michael pour TOUTES les musiques, il cita une composition de Charlie Parker dans le flot d’un blues rapide. Petite précision, si le blues est un GENRE musical il est aussi une STRUCTURE musicale qui répond à des critères bien précis. Et ce titre de Parker en apparence tarabiscoté était bien un blues.
Mais Michael Burks ne fait pas que chanter, il est aussi un guitariste hors pair dans la lignée du boss en la matière, Monsieur BB King.
Si l’impact sur le public est aussi dévastateur, c’est parce que la section rythmique de Michael Burks est une rythmique rock. Quand on sait que le rock vient du blues, la boucle est bouclée. Oui, ça vient de là… ça vient du blues !
Michael Burks nous électrifia pendant près de deux heures. Merci à lui.
« Burks works » !
Jam Session À L’African Bar
Comme chaque soir, de jeunes musiciens tunisiens confrontent leur talent naissant. Encore une belle occasion de prolonger le plaisir de la musique et de la nuit. Dès qu’ils m’auront communiqué leur pedigrée respectif, je vous en dirai plus. Et devinez qui vint "faire le bœuf" avec eux. je vous le donne en mille : personne d’autre que l’infatigable Michael Burks !
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Photos © Samy Snoussi – en accord avec www.mille-et-une-tunisie.com