Deuxième période 2009-2012 : du "Coeur au fond des yeux" à "Janis the Pearl".

Une rétrospective de l’orchestre de Franck Tortiller après dix ans d’existence et à l’occasion de la sortie de son nouveau disque "Janis The Pearl". : 2ème épisode... (lire le 1er épisode ici !)

Orchestre Franck Tortiller #2. Deuxième période 2009-2012 : du Cœur au fond des yeux à Janis the Pearl.

Si l’arrêt de l’Orchestre National de Jazz a constitué pour quelques directeurs une période de repli pour diverses raisons, il en a été autrement pour Franck Tortiller. Ce dernier a su amorcer l’activité intense d’une nouvelle vie artistique : résidences d’artiste, plusieurs collaborations en invité, nombreux concerts à l’étranger notamment aux côtés de Christian Muthspiel, création de l’Orchestre des Jeunes Jazzmen de Bourgogne et poursuite de l’aventure de son orchestre initiée en 2002.

2009 : spectacle "Le cœur au fond des yeux" : Franck Tortiller et Jacques Revon
2009 : spectacle "Le cœur au fond des yeux" : Franck Tortiller et Jacques Revon
© Jacques Revon

En 2009, il créé le spectacle Le cœur au fond des yeux, projet pédagogique musical autour de l’univers de la mine, deuxième patrimoine culturel de la Bourgogne après celui du vin, région qui lui est chère dans laquelle il entame une résidence en 2009. Dans ce programme atypique, le compositeur met en musique des photographies d’un ouvrage de Jacques Revon publié en 1983.

En 2010, Franck Tortiller réitère sa volonté de mettre la valse au cœur d’un projet musical, en l’associant cette fois-ci à des textes récités et mis en scène en direct par le comédien Jacques Gamblin, extraits de son ouvrage Le toucher de la hanche. Les musiciens habituels qui l’accompagnent sont alors associés à l’Orchestre Pasdeloup, sous la direction de Wolfgang Doerner dans un concert donné à l’occasion des cent ans de cet orchestre au Théâtre du Châtelet (Paris).

Jean-Louis Pommier, Patrice Héral, Franck Tortiller - Beaune, 2010
Jean-Louis Pommier, Patrice Héral, Franck Tortiller - Beaune, 2010
© Jacques Revon
Patrice Héral, Franck Tortiller - Beaune, 2010
Patrice Héral, Franck Tortiller - Beaune, 2010
© Jacques Revon

Pour les dix ans du festival Jazz à Beaune, Franck Tortiller se voit confier en septembre 2010 une nouvelle création qu’il intitule Le rythme et le bleu. Il s’inspire du Rhythm and Blues des années 60-70. Cette forme de blues rythmé, aux thèmes plus gais et rapides influençait déjà les orchestres de jazz pendant l’ère du swing d’après guerre. Le vibraphoniste en reprend les fondements comme prétexte d’écriture dans des compositions originales (Confusion, Principe de Frehel...). On reconnaît des évocations aux musiques des labels Soul, Stax et Motown, devenues populaires avec Otis Redding, Curtis Mayfield, Stevie Wonder, Roy Ayers, sans oublier le courant funk du célèbre James Brown et l’excellent Nino Ferrer, représentant majeur de cette musique en France. L’ensemble lui rend hommage avec les arrangements des chansons Le sud et Mirza. L’orchestre accueille dans ses pupitres le jeune bassiste Antoine Reininger.

Franck Tortiller - 2011
Franck Tortiller - 2011
© Jacques Revon

En 2012, Franck Tortiller se consacre à une icône majeure de la musique pop-rock anglo-saxonne des années 65-75 : Janis Joplin. Loin de l’imitation tendancieuse parfois qualifiée de "facile" que suscitent les hommages, le vibraphoniste concocte une création avec des arrangements de standards connus tels que Mercedes Benz, More Over, Kosmic Blues, Half Moon... et des compositions originales qui témoignent de l’esprit musical de cette époque, durant laquelle cette chanteuse hors norme imposa sa marque de talent au devant de la scène américaine.

Pour s’approprier le plus justement possible la force musicale, poétique et l’esprit libertaire qui composent les chansons de Joplin, Tortiller réunit un ensemble de dix musiciens toujours loin des schémas instrumentaux des big band, donc sans saxophonistes pour l’occasion, avec un chanteur (et non une chanteuse comme on le voit souvent dans le jazz).
Il décide également de renouveler une partie des musiciens : Anthony Caillet à l’euphonium (un nom connu de la scène classique, qui vient d’enregistrer en soliste avec l’Orchestre d’Harmonie de la Musique de l’Air de Paris), le trompettiste suisse Matthieu Michel (un ancien du Vienna Art Orchestra, dont le phrasé et le placement unique se marient très bien avec la musique pop). L’orchestre accueille le jeune guitariste Matthieu Vial-Collet et le chanteur Jacques Mahieux (qui n’est pas exclusivement un formidable batteur, comme l’ont prouvé ses deux albums Chantage(S) et Mahieux dans les années 90). L’instrumentation et les personnalités musicales choisies lui permettent de développer différentes couleurs. Le quatuor de cuivres donne le son soul, rhythm & blues et met en évidence les parties chantées avec une grande aisance par Mahieux, qui a le blues dans la peau. La rythmique avec une guitare aux effets électroniques et aux improvisations fulgurantes permet à l’auditeur de s’immerger dans un univers pop, free jazz, blues et folk.

Orchestre Franck TORTILLER : "Janis The Pearl"
Orchestre Franck TORTILLER : "Janis The Pearl"
MCO Label / www.labelmco.com

A l’écoute de Janis The Pearl, les non-connaisseurs pourraient douter sur certains titres qu’il s’agit d’un orchestre de jazz, mais plutôt de soul et funk à la James Brown par exemple. Cette musique parle d’elle-même, avec une part de folie significative d’une musique énergique plurale mais sans excès, grâce à la modération apportée par l’alternance subtile des styles et des formes que permettent les chansons de Joplin et surtout les arrangements admirables qui en sont faits. Cet album est une excellente occasion de se remémorer son univers, de se rappeler la forte émotion qui se dégage de son esprit musical (comme en témoigne la version de Chelsea Hotel en guise de conclusion), et d’admettre en quoi l’excellente Janis a joué un rôle fondamental dans le développement de la musique pop des années 70, malgré sa courte carrière.

En une décennie, l’orchestre Franck Tortiller aura gravé quatre albums, initié neuf créations dont huit toujours d’actualité, donné de nombreux concerts, collaboré à plusieurs projets pédagogiques avec des orchestres amateurs, tourné à l’étranger et gardé une équipe de musiciens fidèles. L’énergie de cet orchestre est toujours là, sans épuisement, avec des musiciens soudés et adaptables à chaque contexte, aussi différents soient-ils (jazz, classique, musette, rock, pop). On ne constate pas de lassitude à l’écoute de chaque concert ou disque et d’une improvisation à l’autre. Tortiller a su jouer la carte de la diversité en conservant ses couleurs d’écriture qu’il aime mettre en évidence, notamment sur le son très cuivré, l’évolution des formes rythmiques et harmoniques permises par une instrumentation singulière, la volonté de ne pas délaisser la mélodie, les chansons et le souci d’aller à l’essentiel sans noyer l’ensemble dans une masse sonore globale qui nous empêcherait d’admirer le son de chacun. Ce constat d’originalité n’est pas un hasard. Le compositeur a fait le pari de diriger un ensemble conçu pour durer, aux programmes inspirés de la richesse des musiques populaires du vingtième siècle, peu entendues dans les grandes formations actuelles, souvent attachées à interpréter soit les compositions originales de leur chef soit des standards de jazz classique. Il a aussi décidé d’écrire pour ses musiciens, à la personnalité musicale très affirmée (personne ne peut confondre les sons et phrasés de Michel Marre ou d’Eric Séva avec ceux d’autres musiciens).

Franck Tortiller, 2011
Franck Tortiller, 2011
© Jacques Revon

Dans la maigre sphère des grandes formations françaises de jazz (on en voudrait toujours plus mais le contexte économique actuel fait qu’il en est autrement), chaque choix se respecte. Celui de Franck Tortiller ne présente pas plus de facilités que celui des compositeurs qui ne veulent pas présenter une musique sous influences (même s’il est parfois aisé d’en percevoir), parce que l’hommage ou plutôt la réappropriation musicale dans l’esprit d’une époque incite beaucoup à la relecture, que l’on a parfois tendance à entendre car il a été trop commun de considérer le jazz comme une musique de répertoires.

La sortie du disque Janis The Pearl prouve que Tortiller sait garder l’authenticité d’un orchestre, la richesse musicale et libertaire d’une époque, la personnalité et l’esprit musical de ces solistes d’exception en apportant une touche d’écriture personnelle et des arrangements originaux. C’est sans doute ce qui compte le plus dans le jazz d’aujourd’hui : ne pas oublier ce qui s’est fait avant pour construire autre chose, à sa manière, parfois en rapport avec une époque culte et au carrefour de plusieurs styles.


> Discographie de l’Orchestre Franck Tortiller :

  • ONJ Franck Tortiller : Close to Heaven (Chant du Monde)
  • ONJ Franck Tortiller : Électrique (Chant du Monde)
  • Orchestre Franck Tortiller : Sentimental ¾ (Cam Jazz) (OUI ! CultureJazz)
  • Orchestre Franck Tortiller : Janis The Pearl (Lalel MCO)

> Liens :

> Le programme Janis The Pearl en concert :

  • 10/11/2012 : D’Jazz Nevers Festival, Maison de la Culture de Nevers (58)
  • 24/11/2012 : Théâtre d’Alençon (61)
  • 21/12/2012 : Les Gémeaux Scène Nationale - Sceaux (92)
  • 25/01/2013 : Festival Ouistreham Jazz Escales 2013 (14)
  • 12/04/2013 : Scènes du Jura - Lons-Le-Saunier (39)
  • 05/07/2013 : Festival Jazz à Couches (71)