John Coltrane y joue comme un malade...

Tant que j’y suis et puisque je vous avais parlé du concert de Scheveningen, qui n’est autre que le bord de mer de La Haye, allons-y.

Car vient de sortir un CD (sous le nom de Miles Davis) qui reprend cette prestation publiée jadis sur un vinyle Unique Jazz. Pour ce concert de 18H15, juste avant celui d’Amsterdam à minuit, le répertoire est différent et surtout John Coltrane y joue comme un malade.

On démarre sur un So what de presque 18 minutes au cours duquel Coltrane improvise un très long solo. Un solo d’une telle puissance et d’une telle flamboyance que le ciel de La Haye a bien dû s’embraser. Avec sa façon caractéristique de forcer sur les fins de notes, il s’envole pour près de 9 minutes, soit la moitié de la durée totale du morceau. Il s’emberlificote bien quelquefois dans des chapelets de doubles croches dont il est fort difficile de se sortir, mais peu importe.
À noter le feu d’enfer qu’offre Jimmy Cobb à Coltrane, on pressent Elvin.
Très long solo peut-être aussi à cause de Miles. On aimerait voir une vidéo du concert pour savoir s’il n’était pas parti pendant ce temps-là dans les coulisses afin de séduire quelque bath batave. Car c’était un « hot rabbit », comme on disait dans les clapiers de la Reine Mère. Un jour d’été que j’étais avec lui à l’aéroport de Nice, il me dit : « regarde, les filles s’habillent tellement court qu’on n’a pas besoin d’attendre d’être à la maison pour leur voir…  ». 

Le reste du concert est de la même veine. Miles et Trane rivalisent de lyrisme et d’invention et la rythmique swingue un maximum. Dans Round midnight , Coltrane insère parfaitement dans son discours quelques harmoniques, c’est-à-dire plusieurs notes jouées en même temps. C’est Thelonious Monk qui lui avait dit qu’il pouvait le faire, le premier « yes, you can ». On a sur On green dolphin street l’improvisation de Trane peut-être la moins excitante du set, ce qui est déjà bien au dessus de ce que jouaient à l’époque tous les autres saxophonistes.
Par contre, il se montre péremptoire dans Walkin’ et accrochez-vous bien aux branches, Miles fait une citation de Jean-Pierre. Nous sommes en 1960 et ce morceau ne sera publié pour la première fois qu’en 1982 ! Mino Cinelu me raconta un jour que c’était le prénom d’un enfant que Miles avait eu avec une française.
Qu’est-ce que je vous disais ! Il faut bien avouer qu’en dehors de ses talents de musicien, il était beau comme un dieu. Juliette Gréco dira qu’elle ne s’était pas aperçue tout de suite qu’il était noir ! Dans les deux derniers titres, si l’on omet The theme, bon de sortie traditionnel, Paul Chambers montre sa spécialité, le jeu à l’archet. C’est même lui entame les hostilités sur Walkin’.

Et comme ce set de deuxième partie du JATP est très court et qu’il faut bien remplir le disque, on nous offre quelques autres perles du légendaire tandem.
Le So what provient d’une séance télé d’avril 59. Coltrane y joue un de ses solos les plus exemplaires par la qualité de sa construction et surtout par son entame enthousiasmante. Qui n’a d’égale que celle de Blue train du disque Blue Note.
Max is making wax ( Max-Roach ?- grave un disque ? ) est un thème d’Oscar Pettiford que Charlie Parker enregistra au cours de la fameuse séance Dial qui donna ce Lover man pathétique et tellement déchirant par sa beauté émotionnelle et formelle. Ce n’est pas parce que l’on rate un départ de chorus que ce chorus est bon pour la poubelle. Tempo d’enfer pour ce Max dont Miles, Coltrane et les trois de la rythmique se sortent très bien. Cette fois-ci, Red Garland et Philly Joe Jones remplacent Kelly et Cobb. Mais la date indiquée sur la pochette semble fausse, il s’agirait en fait du 18 novembre 55.
It never entered my mind est l’une des plus belles ballades jamais composées ( Rodgers & Hart ) dont les chanteuses feraient bien de se souvenir, ou juste de connaître. Miles atteint un sommet de lyrisme et le son unique de sa sourdine Harmon n’y est certes pas pour rien. Il m’expliqua un jour que c’est Dizzy qui lui avait refilé le tuyau : il suffisait d’enlever la tige ( ? ) à l’intérieur.
Tune up est basé sur les harmonies de How high the moon, procédé que les tenants du be bop affectionnaient. Coltrane déroule sans grande conviction mais il se rattrape dans le morceau suivant, encore une version de Walkin’. Et là, Miles nous scie en entamant son solo par… Royal garden blues !


> Miles Davis quintet : "Live in Den Haag - featuring John Coltrane" - In Crowd Records 996681 - disponible sur www.discogs.com/Miles-Davis-Quintet-Live-In-Den-Haag

Miles Davis : trompette / John Coltrane : saxophone ténor / Wynton Kelly : piano / Paul Chambers : contrebasse / Jimmy Cobb : batterie // Kurhaus Scheveningen (La Haye) 9 avril 1960.

01. So what / 02. Around midnight /03. On green dolphin street / 04.Walkin’ / 05.The theme
Même personnel, CBS « STUDIO 61 » The Robert Herridge Treater New York 2 avril 1959
06. So what
Red Garland et Philly Joe Jones remplacent Kelly et Cobb, Tonight Show, NBC TV broadcast from the Hudson Theater, New York 18 novembre 1955
07. Max is making wax / 08. It never entered my mind
Même personnel, Mutual Network radio broadcast from the Blue Note Club Philadelphie 8 décembre 1956
09. Tune up / 10. Walkin’

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