La grande intégrité de l’homme et de l’artiste.

TCHANGODEI trio + duo : "L’arc (the bow)"

Jean Buzelin revient sur un disque essentiel réédité à l’automne 2012 mais qui ne doit pas passer inaperçu... Argumentaire imparable...

Lorsque je découvris le premier disque de Tchangodei, "Le Défi", en 1978, j’eus l’impression, si ma mémoire est bonne, de me trouver face à un OVNI, une sorte de soucoupe volante qui se mit à tourner sur ma platine, provoquant à la fois étonnement et fascination. D’où venait ce pianiste béninois dont je n’avais jamais entendu parler ? De Lyon, tout simplement, ville où il habite toujours trente-cinq ans plus tard. Au fil du temps, Tchangodei est resté pour moi un pianiste mystérieux, invisible et "inaudible" ! Mais pas pour tout le monde, car entre "Le Défi" et son dernier disque en solo, "Pure Blues" (Volcanic 7526), il en a enregistré plus d’une vingtaine. Quelques-uns seul, d’autres en très bonne compagnie : Steve Lacy, Louis Sclavis, Archie Shepp, Mal Waldron en duo de pianos, George Lewis, Kent Carter, Itaru Oki, Sunny Murray, Sonny Simmons, Jean-Luc Cappozzo, Henri Texier… excusez du peu ! Tout cela sans faire, apparemment, de carrière, signe de la grande intégrité de l’homme et de l’artiste (terme dont il se défend, mais il est également un peintre de talent). Ces disques, peu distribués, passèrent souvent inaperçus, mais on peut se rattraper en les commandant sur son site.

TCHANGODEI trio + TCHANGODEI duo : "L’arc (the bow)"
réédition 1984 - Volcanic records

La présente parution est la réédition du LP "The Bow", enregistré en 1982 avec Steve Lacy et Oliver Johnson, augmenté de The Wasp en duo avec Lacy, tiré de l’album éponyme (1984) et de deux duos avec le batteur — Thangodei a écrit un beau texte sur son ami Oliver Johnson, disparu tragiquement et misérablement. L’album est complété par trois duos avec Henri Texier, parus en 2005. Les plages avec Steve Lacy (et Oliver Johnson) en constituent évidemment le plat de résistance. Sur les rythmes puissants du pianiste, apparemment répétitifs mais parsemés d’infimes variations, souvent presque hypnotiques — on peut penser parfois à Abdullah Ibrahim mais la référence et la comparaison "africaines" s’arrêtent là — le saxophoniste improvise avec un lyrisme étonnant, pour quelqu’un d’habituellement très réservé de ce côté. La qualité et la beauté du son, la rondeur et la résonance de la note, sans parler de la maîtrise technique impressionnante du soprano, s’inscrivent véritablement en osmose avec la profondeur du jeu de piano. Mais jamais les deux musiciens ne tombent dans un "envoûtement" un peu facile. Bien au contraire, ils maîtrisent parfaitement leurs jeux — et en même temps leurs (et nos) émotions — et veillent à casser le cours du fleuve, l’un par des raucités, des phases éraillées, l’autre par des ruptures, des dissonances, le troisième par des figures rythmiques contrastées ; on sent bien l’apport de Thelonious Monk dans leur approche et la construction de leur musique.

Conviction inébranlable, puissance de jeu, intégrité, sensibilité, profondeur… la musique de Tchangodei apparaît comme étant, pour son artisan créateur, d’une nécessité absolue.

Si, comme moi, vous avez raté les enregistrements originaux, ne manquez pas cette réédition (malgré sa présentation spartiate), de grandes joies vous attendent.


TCHANGODEI trio + duo : "L’arc (the bow)"

Volcanic records 13013 - disponible sur www.tchangodei.com

Tchangodei trio > Tchangodei : piano / Steve Lacy : saxophone soprano sur 1, 2, 3, 4, 6, 7 / Oliver Johnson : batterie sur 1, 2, 3, 4, 5, 6, 11 /// Thangodei duo => Tchangodei : piano / Henri Texier : contrebasse sur 8, 9, 10.

En trio > 01. The bow / 02. Growth of life / 03. War-dance / 04. Clichés / 05. African dance / 06. Spirale / 07. The wasp //
En duo > 08.Face à la vie / 09. Lumière dans le brouillard / 10. Sans couleur / 11. L’arc (duo avec Oliver Johnson)

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