À partir de quelques ouvrages qui sont consacrés au pianiste qui se disait "créateur du jazz", Philippe Paschel revient sur "Mr Jelly Roll"...
Phil Patras n’a pas voulu écrire une biographie de Jelly Roll MORTON (La Nouvelle-Orléans 20 octobre 1890 - Los Angeles 10 juillet 1941), il a concentré son attention sur les séjours de celui-ci en Californie, le premier en 1917-1923, le second en 1940-41.
La première période est le prélude à son œuvre enregistrée à Chicago et la deuxième devait être le moyen de revenir sur le devant de la scène.
Dans quelques chapitre préalables, l’auteur étudie le caractère de Morton, analysant ses vantardises tant musicales, “The Creator of Jazz” (ce qui est plutôt vrai), qu’extra-musicales, proxénète (un peu), joueur (beaucoup), ainsi que son rapport au vaudou -sa famille est d’origine haïtienne- qui a structuré sa vie -c’est à de telles pratiques qu’il attribuait ses échecs et malheurs divers. Patras étudie aussi le caractère d’Anita, la femme qui a le plus compté pour lui, cherchant à savoir quand et comment ils se sont rencontrés et quel était le caractère de cette femme, décidée en affaire, et qui savait “le manipuler” [manage].
La période 1917-1923 est longuement étudiée (72 p). On y apprendra beaucoup sur la vie musicale des afro-américains de la côte ouest et sur les débuts du jazz dans cette région, après son extension depuis la Nouvelle Orléans, Chicago et New-York. Les problèmes de copyright des œuvres de Morton mettent en lumière les dates de création du jazz.
La dernière partie de la vie de Morton est éclairée par une malle au trésor qui contenait un “Scrapbook” ( album de photos et de coupures de journaux) et de nombreux documents personnels. L’auteur les utilise pour établir les faits de la dernière période de la vie de Morton, mais remarque qu’il faudrait en faire une étude plus complète.
Jelly Roll Morton avant de ne plus pouvoir poursuivre physiquement, avait fait répéter de nouveaux arrangements, qui ont été conservés et enregistrés en 1996 ; ils montrent que Jelly Roll Morton avait évolué vers le style moderne de l’époque et avait même une pratique avancée des dissonances.
C’est un livre d’historien, qui contraste la valeur des documents, pour essayer d’en trouver le sens véritable. Il n’y a pas beaucoup d’analyses musicales, mais ce n’est pas le sujet, d’autant que les dates correspondent à des périodes d’inactivité discographique de Morton.
Jelly Roll Morton a lui-même raconté sa vie devant les micros de la Librairy of Congress, à partir du 12 mai 1938 et jusqu’en juin. Ces enregistrements ont été partiellement publiés et sont absolument passionnants, particulièrement parce que Jelly Roll Morton est devant un piano et explicite ce qu’il dit par l’exemple musical. Il nous montre ainsi comment le jazz est né à partir des musiques alors existantes, en y ajoutant quelques ingrédients : rythme, nuance espagnole etc.
Alan Lomax a réalisé à partir de ces enregistrements et d’autres entrevues et documents une magnifique biographie, souvent rééditées, mais il ne connaissait pas l’existence de la malle au trésor et n’avait pas toute la rigueur d’un chercheur. C’est néanmoins le livre de référence, que Patras, comme d’autres, utilise pour base de travail, en en corrigeant les erreurs et appréciations.
> Alan LOMAX, Mister Jelly Roll, traduit par Henri Parisot, Flammarion, 1964, réédition Presses Universitaires de Grenoble, 1981.
> [Mister Jelly Roll - The Fortunes of Jelly Roll Morton, New Orleans Creole & "Inventor of Jazz ,Updated Edition, University of California Press, 2002].
> Roger Richard, “Mister Jelly Roll a-t-il été correctement traduit ?” in Les Cahiers du Jazz, n̊ 11 [3ème trimestre 1965], p. 101-104.
> Phil PATRAS, Dead Man Blues. Jelly Roll Morton Way Out West, University of California Press, 2001.