Allons de concert au concert et voyons ce qu’on sert.
Sixième étape
Si nous vous disions que nous sommes allés derrière l’église, qu’imagineriez-vous donc ? Certainement pas que nous étions au Crescent... Plus précisément, Place Saint Pierre (à deux pas du paradis ? ), non loin du musée Lamartine, vous savez, la gamine qui prend le train, qui va à la fête foraine, qui fait la cuisine, qui fait ses courses et j’en passe. Une vraie féministe avant l’heure ! Sûr qu’elle va rejoindre HeForShe (allez-y donc messieurs) et, ma foi, ce serait une très bonne idée.
Une nouvelle salle donc pour ce club âgé de vingt ans originellement mû par le Collectif Mu. Ce n’est pas rien. C’est même une belle éclaircie dans un paysage français du jazz où les petites structures bien souvent survivent chichement faute de moyens quand elles ne disparaissent pas. Oui, nous le savons, il y a une certaine lassitude à lire toujours les mêmes commentaires sur la vie du jazz qui n’en n’est plus une. Mais bon, si nous ne faisons pas, qui le fera ?
À propos, savez-vous que du côté d’Orléans on vient de flinguer le festival de Jazz ? Certes, il est remplacé par Jazz à l’Evêché (là où avait lieu les concerts du Off). Mais ce ne sera qu’une une formule très édulcorée, cheap comme on dit aujourd’hui. En termes d’économie, quand la rigueur vous oblige à resserrer les cordons de la bourse, nous croyons nous souvenir qu’on appelle ça une variable d’ajustement. Pour la petite histoire, dans le même temps, le maire d’Orléans a attribué 400 000 € au Comité Miss France, organisateur de l’élection dans sa ville en 2015, au motif que ce concours… [Accrochez-vous bien] … au motif donc que « ce concours promeut l’excellence de la jeune fille française ». Je n’ai rien contre les jolies filles, surtout quand elles aiment improviser, mais tout de même ! Sur quel fond musical cet édile a-t-il séduit sa belle ? Tiens je vais lui envoyer une copie de l’avant-dernier CD de Miss Diana Canada (celui où elle dévoile une part de son potentiel mélodique sur la pochette). Il verra de quel bois on se chauffe dans les cabanes.
Il y avait ce huit novembre 2014, (jour des soixante ans de Rickie Lee Jones) beaucoup à écouter et beaucoup de monde dans la nouvelle cave de ce club flambant neuf et fort accueillant. Le concert solo de Bruno Ruder en début de soirée fut, à mon sens, un beau havre d’intensité musicale. Car Bruno Ruder a de la suite dans les idées, de la suite pour piano, naturellement. Et, avec une idée seule, il peut aller aux marges explorer la nuance, la profondeur de la résonnance et développer des assemblages et des textures a priori improbables. Chaque note émise possède la clarté d’un cristal travaillé par un orfèvre qui serait aussi bien éclairer qu’éteindre le son choisi. Cela pourrait être abstrait et abscons, c’est à l’écoute, limpide et lumineux.
C’est un art de la suspension qui laisse à l’espace sonore la place qu’il doit occuper dans la transparence quand le silence vacille. La conversation est indubitable. Et dans ce dialogue qu’entretient Bruno Ruder avec son instrument, nous ne savons lequel des deux propose, lequel de deux impose, lequel des deux dispose.
Mais il est manifeste qu’ils s’écoutent l’un l’autre, qu’ils se parlent.
En seconde partie de soirée arriva L’équilibre de Nash. C’est un drôle de nom et si l’on en croit Wikipédia, c’est, « dans la théorie des jeux, un concept de solution dans lequel l’ensemble des choix faits par plusieurs joueurs, connaissant leurs stratégies réciproques, est devenu stable du fait qu’aucun ne peut modifier seul sa stratégie sans affaiblir sa position personnelle ». Merci à toi, Jacques Revon, d’avoir récemment chroniqué ce groupe. Tu m’ôtes une épine du pied. Je pensais niaisement que cela avait à voir avec Graham Nash, chanteur anglais, qui a l’air plutôt équilibré, bien connu pour sa participation à Crosby, Stills, . . . . & Young.
Septième étape
Jeudi 13 novembre 2014 (Journée mondiale de la gentillesse), au Périscope, à Lyon. Déjà deux jours que l’armistice était signée mais Il nous sembla que c’était il y a presque un siècle. Allez savoir pourquoi. Venus pour le quartet de Raoul Björkenheim, nous découvrîmes en première partie le duo Skulltone (Fanny Lasfargues & Emmanuel Scarpa) récemment formé. Retour dans les tranchées. Dans l’électro-organique. Tendance bruitisme post apocalyptique. De l’électricité dans l’air en vénéneux jaillissements. Les nappes et heurts sonores en tressauts rythmiques aliénants, des voix comme débordées. Nous nous sommes raccrochés aux branches. Les moineaux avaient foutu le camp. Ils doivent être pacifistes.
Puis vint le quartet eCsTaSy de Raoul Björkenheim accompagné par le batteur Markku Ounaskari, le saxophoniste Pauli Lyytinen et le contrebassiste Jori Huhtala. Là encore les parois tremblèrent. Mais elles furent secouées par une énergie audacieuse servant des compositions ciselées, aux muscles saillants, ouvertes sur des improvisations impétueuses quand elles n’approchaient pas la convulsion hyperthermique. A l’avant-garde toute ! Au rock, au blues et au free aussi. Sur le plateau, mêlez, secouez, laissez reposer le temps d’une brève respiration, faites bouillir et servez le tout à sec, sans concession. La cohésion entre les membres du quartet assure une unité sonore, sonique (voire super…), qui fait le reste. Trêve de finnoiseries. We love Ornette Zappa. Sur la branche, les moineaux nous avaient virés. Comment leur en vouloir ? Ils nous parurent aimer le gai raffut et attendre le meilleur de tous les pires. Mais Raoul ne brûla pas sa guitare à la fin.
Trop cool ?
À suivre...
Dans nos oreilles
Keith Jarrett : My song
Dave Brubeck : The last set at Newport
Devant nos yeux
Hervé Bauer : Des astres errants
Pascal Quignard : Mourir de penser