Deux soirs au 24ème festival Sons d’Hiver

Le jeudi 29 janvier, au programme du festival Sons d’Hiver 2015, on pouvait écouter le duo composé de Tony Hymas et Didier Petit puis la rencontre entre le Black Earth Ensemble de Nicole Mitchell et l’ensemble Laborintus.
Le samedi 31, Alain Gauthier a retenu particulièrement l’hommage rendu par Hasse Poulsen à Langston Hughes.

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Tony HYMAS et Didier PETIT...

Tony HYMAS et Didier PETIT...

suivis de Black Earth Ensemble vs Laborintus

Sous la lumière froide des candélabres hautains, les rubans anthracite du gigantesque nœud routier se noient dans un gris mercure et les résilients de la journée, sortis de leur boîte pour rentrer dans leur caisse, se dépêchent vers un ailleurs lointain, au ban de la ville-lumière.
À deux pas, au bout d’une sombre ruelle, se tapit la Ferme de Cottenville. Énorme bâtiment typique de l’Ancien Régime : hauts murs, portail monumental et cette grange dîmière, ancêtre du ministère des finances version catho. Devenue un lieu de culture populaire qui remplace avantageusement le racket religieux.
Quatrième concert de Sons d’Hiver.

Tony Hymas
Tony Hymas
Dijon, le 2 avril 2013 - © Jacques Revon
© Jacques Revon

Est-il nécessaire de rappeler que ce festival de jazz est unique dans la partie Sud-Sud-Est de Paris ? Qu’il fait pendant à Banlieues Bleues et MAAD 93 pour le Nord-Nord-Est ? Et qu’on y entend des musiciens pour la plupart ignorés des grands raouts faussement jazzy ? Autant dire une rareté.
Donc à la Grange Dîmière, de la Ferme de Cottenville, à Fresnes, en première partie : Tony HYMAS au piano et Didier PETIT aux violoncelle, voix et pieds nus.

Au premier coup d’archet, une remarque s’impose, le son est parfait : rond, plein, définitif. Merci aux techniciens à la console pour ce pur bonheur auditif.
À quoi cela ressemble-t-il un duo Hymas-Petit  ?
À une conversation entre deux amis colocataires.
- Alors, ça s’est bien passé ta journée ? Ton patron ? Son assistante ? Les clients ?
- Et toi, t’as pu remettre l’imprimante en route ?
- Ah bon ? T’en as acheté une autre ?
- Et en février, tu fais quoi avec tes mômes ? C’est ton tour de les avoir, non ?
- Oui, mais j’ai pas les sous, je vais leur préparer un plan cinoche intense.
- Elle va pas te faire chier ton ex ?

Ils raboutent les morceaux de la vie qui passe, se mettent en phase le temps d’une fin de journée avant d’aller bouiner chacun de son côté.
Non, ils ne s’engueulent pas, ne se prennent pas la tête et ne jouent pas à Israël-Palestine, Russie-Ukraine ou français de souche versus français de bouture.

Didier Petit
Didier Petit
Photo © Yves Dorison


Enfin, pas du côté de HYMAS. PETIT lui, de temps en temps, se monte le bourrichon : il se lève avec son cello collé contre lui et entame la danse du grizzly amoureux ( je t’aime à t’étouffer ). Il éructe, grogne, souffle, sifflotte, chante, braille. Hymas, ça lui en touche une sans faire bouger l’autre. Alors, il fait écho, reformule et prolonge. Le genre de sideman qui te les casse pas parce qu’il se trouve incarner « the right man at the right place at the right time ». Il fait preuve d’une patience sans limite, genre matou qui attend l’ouverture pour choper la merlette imprudente et hop !! il envoie sa musique à lui.
Trois pièces à suivre, tendres et pas du tout bavardes, qui font du quotidien un espace de partage en lieu et place d’une routine mortifère « qu’est-ce qu’on mange ce soir ? Des pâtes !! ».

Suit le concert transatlantique de Black Earth Ensemble vs Laborintus, le premier rassemblant Nicole MITCHELL, flûte, compos et direction, David BOYKIN aux sax ténor et clarinette, Renée BAKER au violon et Aruan ORTIZ au piano, le second formé de Sylvain KASSAP aux clarinettes, Hélène BRESCHAND à la harpe, Anaïs MOREAU au violoncelle, Benjamin DUROC à la contrebasse et César CARCOPINO aux percussions.
Une fois n’est pas coutume, on a une femme aux commandes. Chouette alors.
Ce joint-orchestra nous propose une bande-son pour diaporama sur le thème Moments of Fatherhood ( en fr, Instants de paternité). Défilent quelques photos à différents âges tendres d’un papa et de son enfant et les mouvements de cette symphonie classico-jazzeuse.
Ils n’ont pas dû avoir beaucoup de temps pour répéter ensemble. Alors, leur attention et leur entrain sont focalisés sur le respect de ce qui est écrit, le moment précis où jouer avec ses collègues de pupitre est attendu et quand il convient d’en finir avec son solo.
C’est assez frustrant d’avoir l’impression de vivre la dernière répétition avant le concert, celle où la cheffe bat la mesure, s’assure du tempo, signale que c’est maintenant qu’on reprend tous ensemble en imaginant que le lendemain, chacun saurait quoi faire et mettrait toute son énergie dans la musique. Là, même les soli ont souffert de cette vigilance. Retenus, contenus, sans cette exubérance que tous les pères chérissent chez leurs enfants.
Dommage dommage, parce qu’ils ne joueront pas demain.
À L’année prochaine alors ?

++++ Hasse POULSEN : THE LANGSTON PROJECT

THE LANGSTON PROJECT

Hasse POULSEN rend hommage à Langston Hughes.

Une queue soviétique s’étire devant l’entrée du théâtre Jean Vilar à Vitry sur Seine mais aucun char, aucune batterie de missile sol-air ; un agent de sécurité fouille d’un œil distant les petits sacs à main, à dos, d’ados et des autres.
Au milieu de la scène, dans un espace propice au jeu collectif, Hasse POULSEN aux guitares et voix, Luc EX à la basse, Mark SANDERS à la batterie et Debbie CAMERON ( from Miami... ) aux voix et Fender Rhodes vont s’employer à faire vivre The Langston Project conçu par Poulsen.

Hasse Poulsen à Dijon - février 2014.
Hasse Poulsen à Dijon - février 2014.
© Jacques Revon
© Jacques Revon

Ça commence par un uppercut sonore qui fait craindre le pire : s’il démarrent aussi fort, comment vont-ils tenir la distance et finir le set ? Et nous ?
Luc EX n’a pas branché que sa guitare, il a aussi fourré ses doigts dans le triphasé. Électrique le garçon, la guitare très bas sur le haut des cuisses, et vazyquejteu, il piétine son carré de plancher en Attila de la basse. SANDERS mouline à tour de bras au-dessus de ses fûts et cymbales et POULSEN gratte son manche comme un pouilleux dévoré par la vermine capitaliste. CAMERON peine à faire entendre sa voix, « Fais-moi mal Johnny » peut-être ?
Et puis, une fois nos oreilles nettoyées et notre attention captée, ils se calment. Debbie CAMERON monte au filet : sa jolie robe en peau d’alligator incrustée de vitraux, de morceaux de mica et de miroir scintille des mille et un feux qu’elle allume ici et là au gré de ses déambulations. Elle chante, ondule, danse, rit, touche son cœur : elle vit là, pour nous, en coryum inusable, inépuisable, insatiable.
Le morceau Heart évoque l’esprit des lectures poétiques publiques du San Francisco des années 70 : une librairie ou un bar, des traînards du soir en rupture de télévision et de rires enregistrés, un pétard qui tourne et de quoi se désaltérer. Relire les Clochards célestes ? Le retour des tribus ?
Et puis It takes your soul : parce qu’il va être beaucoup question de heart et de soul.
Les petites affaires de la vie ordinaire défilent et au milieu d’elles, ce cœur et cette âme. Ce quartet est habité, « animé », POULSEN passe d’une guitare à l’autre, CAMERON s’impose puis laisse la place, EX et SANDERS se lancent dans un dialogue qui va cheminer tranquille derrière un truc très doux chanté par les deux autres. Il se passe quelque chose sous nos yeux, de la poésie jazzeuse de la meilleure eau de vie avec l’œuvre de Hughes Langston en toile de fond, un truc que chacun contribue à faire naître sans jamais savoir si ça le fera, où le tout est plus que la somme des parties : c’est ce soir !

Ils enchaînent balade, comptine, blues et protest song, dans la lignée des Joan Bez, Dylan et autres Pete Seeger. Et cette petite merveille : « Where I go from here », comme une vague couleur tendre dans un ressac soyeux.
Magnifique concert et magnifique projet.
Allez, les tourneurs, faites votre boulot ! Faites-les tourner !