Le bonheur partagé.

Et l’on embarque pour Maiden Voyage (le voyage inaugural), exploration dans des nuances africaines d’un petit bijou musical sculpté jadis par Herbie Hancock : le piano de Klaus Mueller fixe le cap mélodique avec détermination, Acelino de Paula à la guitare basse acoustique tient les cordes avec souplesse tandis que Simone Prattico impulse un tempo vif sur des rythmes colorés. Début enchanteur pour un concert qui invite au voyage dans le cadre de la vingtième édition du Festival de Chaillol. Cette manifestation fait de l’itinérance son slogan et incite au cheminement à travers les musiques sérieuses/aventureuses et les territoires du Pays Gapançais, des versants escarpés du Champsaur aux lignes douces du bassin de Gap.

Klaus Mueller, Acelino de Paula, Simone Prattico
© Thierry Giard - 2016

Ce jeudi 28 juillet, nous sommes dans une salle voûtée (et comble !) du château de Tallard sur son promontoire qui domine la Durance. La veille au soir, les mêmes musiciens étaient dans le Champsaur et, ce jeudi matin, Simone Prattico rencontrait le public curieux du festival pour un moment d’échange(s) en toute simplicité. Ça se passe comme ça au Festival de Chaillol : on noue des liens solides entre les musiciens et les gens, entre ceux qui écoutent ces musiques, et ceux qui les pratiquent, les fabriquent, les interprètent. C’est ainsi que se construit un maillage culturel solide.
Le batteur italien Simone Prattico est un musicien-baladeur tout comme son complice pianiste Klaus Mueller. Il était bien naturel qu’on le retrouve là. Il était venu l’an passé dans ces terres haut-alpines, en duo avec Piers Faccini, autre musicien inclassable qui partage avec Simone Prattico une sens profond de la poésie musicale. De fil en aiguille, les liens d’amitié et de complicité artistique se sont tissés avec les artisans de cette manifestation et l’invitation de ce trio intitulé "Brooklyn Sessions" (du nom du disque paru au printemps) s’est imposée comme une évidence. Et ce pour notre plus grand bonheur car voilà bien une formation qui porte très haut "l’art du trio" et le sens du partage car ces musiciens ne jouent pas froidement une musique pré-fabriquée, ils font partager leur joie de jouer ensemble au fil de leur inspiration fertile. L’ovation finale suivie de deux rappels prouve qu’ils ont été compris.
Tous ces petits détails font la différence. Ces qualités nous avaient échappé à l’écoute du disque "Brooklyn Sessions" paru ce printemps. Mea culpa donc car le concert vient une fois de plus remettre les pendules à la bonne heure et pointer l’excellence d’une musique que nous n’avions pas perçue à sa juste valeur.
Notons cependant que le remplacement de la contrebasse de Brandi Disterheft (dans le disque) par la guitare basse acoustique du très souriant Acelino de Paula apporte d’autres nuances et plus de légèreté dans le son collectif.

Klaus Mueller, Acelino de Paula, Simone Prattico
© Thierry Giard - 2016

Au fil des deux sets, il apparaît que ce trio doit sa singularité à la complémentarité entre le batteur-leader et le pianiste : les intentions musicales de Simone Prattico sont mises en forme et structurées par son ami installé à New York, Klaus Mueller. Ce dernier a été la cheville ouvrière du disque en organisant la séance d’enregistrement à Brooklyn. K. Mueller s’affirme comme un compositeur sensible dans Cycles, une belle balade lumineuse, fin connaisseur du jazz avec le subtile Double Blues et rappelle qu’il est un brillant arrangeur (la mise en forme de On Green Dolphin Street). C’est un pianiste au toucher fin et incisif, improvisateur inspiré toujours à l’écoute de ses deux complices. Simone Prattico est l’âme de ce trio, aussi chaleureux et attentif à l’égard de ses coéquipiers qu’il peut l’être à l’égard du public. De sa pratique éclectique, il a gardé un sens des couleurs et de la souplesse des formes rythmiques : appuyées et fermes sur tempo vif, fines et inventives pour souligner les mélodies. Un jeu sans clichés, équilibré : une clé de la réussite. On a aimé les jeux de regards complices entre ces trois musiciens et le positionnement d’un bassiste qui a su entrer dans cette musique et y trouver sa place, libérant la fibre brésilienne se ses origines sur deux compositions de Milton Nascimento qui ont enthousiasmé le public tout comme la ritournelle napolitaine qui ouvrit le second set. Une belle manière de montrer que le jazz a toujours su se nourrir des musiques populaires.

Entre modernité et racines du jazz, entre musiques savantes et mélodies populaires, le trio a montré une grande générosité et a su offrir le bonheur du partage dont nous avons tant besoin.

Simone Prattico trio "Brooklyn Sessions" - Tallard le 28 juillet 2016 - dans le cadre du Festival de Chaillol.
Simone Prattico : batterie, composition / Klaus Mueller : piano, compositions, arrangements / Acelino De Paula : guitare basse acoustique.

Lire aussi sur CultureJazz.fr :

  • Nous avions entendu pour la première fois Simone Prattico à Coutances le 12 octobre 2013 aux côtés de Piers Faccini (en bref : lire ici...
Le disque :

Simone PRATTICO "Brooklyn Sessions"

Simone PRATTICO "Brooklyn Sessions"
That’s It



  • Retrouvez le disque "Brooklyn Sessions" dans la Pile de disques d’avril 2016 (lire ici...). Un disque vivement recommandé à la lumière de ce concert !



> That’s It - THAT4570 / L’Autre Distribution

Simone Prattico : batterie / Klaus Mueller : piano / Brandi Disterheft : contrebasse

01. Cycles / 02. Double Blues / 03. On Green Dolphin Street / 04. A vida nao e assim / 05. Herbert Hutchinson / 06. Maiden Voyage / 07. Piccolino / 08. See Ya // Enregistré à New York en février 2014.