Le label Umlaut, qui s’était signalé à mes oreilles l’an passé par le disque jubilatoire de l’Umlaut Big Band (cf. Culturejazz : « Il m’arrive d’écouter des disques français », 05/07/2016), m’envoie deux nouvelles parutions complètement différentes mais tout aussi originales.

La première est une superbe série d’improvisations free jazz par un vrai quartette cohérent réunissant le saxophoniste franco-suisse Bertrand Denzler, le contrebassiste suédois Joel Gripp, et deux briscards, les vieux complices Alexander von Schlippenbach (piano) et Sven-Ake Johansson (batterie) particulièrement en verve : une musique de grande densité et qui swingue – eh oui ! Cinq Sextion sur deux CD (le même quartette, Neuköllner Modelle, avait préalablement enregistré les deux premières Sextion sur UMLP 03). « Sextion 3-7 » (Umlaut Records UMCD 26 27) OUI !. [1]

« Im Meer » est une production singulière à bien des égards. C’est d’abord une enveloppe carrée qui contient, en vrac, photos (flûtes à bec), la partition de la pièce, un texte de présentation... Et la musique ? Une « simple » mélodie qui se déploie et progresse durant 35 minutes, avec d’infimes variations, interventions et dérapages personnels d’un orchestre de onze musiciens, le Simon Rummel Ensemble comprenant les fameuses flûtes à bec spécialement construites par Klaus Grunwald et jouées par Lucia Mense, une trompette, un trombone, un tuba, des clarinettes, un saxo alto, un violon, un harmonium, une batterie (Michael Grienner), un vocaliste et le leader lui-même au mélodica et aux verres ! Tout à fait original. « Im Meer » (Umlaut Records UMFR-CD 22). [2]

Les disques Umlaut sont distribués par Socadisc.

Michel Portal nous séduit une fois de plus lors d’une rencontre entre son trio, avec Xavier Tribolet (claviers) et Richard Héry (batterie, percussions), et le Quatuor Ébène, de réputation internationale, dont tous les membres sont également improvisateurs et compositeurs. Sur douze très jolies pièces, il nous épate encore (si c’est possible), par la qualité et la puissance de son jeu, tant aux clarinettes qu’au bandonéon. Une belle réussite. « Eternal Stories » (Erato 0190295839567), distribution Warner Classics.

The West Lines, trio orgue-guitare-batterie (Cédric Piromalli, Antoine Polin, Étienne Ziemniak) renoue avec une formule qui fit florès au tournant des années 50/60. Mais loin des facilités et redites, il se dote d’un répertoire entièrement personnel tout en respectant parfaitement l’esprit bluesy-groovy-churchy comme disait Maurice Cullaz. Un beau disque, plein de trouvailles, un son de groupe parfait, un régal à l’écoute. « The Eye » (Bruit Chic 011-2674). [3]


Un colis nous arrivait l’été dernier contenant pas moins de six CD et de deux LP (futurs collectors, comme on dit maintenant) dont un double-album. On ne s’y attendait pas et, comme dit Jean-Marc, l’alchimiste des sons, il fallait être fou pour offrir un tel paquet-cadeau de musiques toutes plus inouïes les unes que les autres. Comment les appréhender, sinon dans l’ordre des numéros ?

Commençons donc par Fouïck, contraction entre, comme écrit sur la pochette, Jean-Marc Foussat, musicien (synthé AKS, voix) et Blick, imprécateur (voix). Une performance parlée, comme au théâtre, avec accompagnement sonore ad hoc et pertinent. J’avoue accrocher beaucoup plus à l’environnement musical qu’à la déclamation et aux textes que je trouve un peu vains, mais mon humble avis ne demande qu’à être contredit. « Mastic Boréal  » (Fou Records FR-CD 22).

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Barbares est un quartette singulier réunissant Christiane Bopp (trombone), Jean-Luc Petit (clarinette contrebasse, saxo sopranino), Makoto Sato (batterie), et Jean-Marc Foussat (synthé, voix), pour la création d’une musique fort originale dans les couleurs, les textures, les climats et les variations de ton. Les musiciens, extrêmement attentifs, jouent avec une grande précision, et l’on constatera comment Foussat, avec ses manipulations électroniques, sait parfaitement s’intégrer dans un groupe de free music/jazz. Un disque remarquable qui démontre justement que la free music n’est pas figée et qu’elle offre encore des espaces de création. « Débris d’orgueil » (Fou Records FR-CD 23).

Une rencontre comme les affectionnent Joëlle Léandre (contrebasse) et Phil Minton (voix), en particulier Joëlle, toujours aussi réceptive, prompte à réagir et nourrissant constamment la musique. Elle joue beaucoup pour son compagnon, l’aide, le maintient parfois... Car Minton se répète un peu ; il exploite toujours ses possibilités vocales de chanteur “brut”, mais ses improvisations (halètements, borborygmes, chuintements, sifflements, roucoulements, raclements...) semblent tourner un peu à vide. Stimulante en direct, la performance passe moins bien l’épreuve du disque... sauf du côté de Joëlle Léandre qui suscite constamment l’attention. « Léandre-Minton » (Fou Records FR-CD 24).

Comment obtenir un tel niveau et une telle envergure sonore avec si peu d’instruments – sur la photo, il y a bien une trompette sur la grosse caisse ? Quelle cuisine secrète nous délivre un plat musical si étrange sans le secours, apparent, de quelque manipulation électronique ? Voilà à quoi nous convient Benoît Kilian (gosse caisse horizontale, percussions) et Jean-Luc Petit (même instruments que ci-dessus plus alto). Entre stridences et grondements, un parcours assez inouï. « La Nuit circonflexe » (Fou Records FR-CD 25).

Xavier Camarasa (piano) et Jean-Marc Foussat (synthé AKS, voix), soit l’instrument le plus classique, “acoustique”, et le plus “électronique”, dans un dialogue réussi, libre et d’une grande richesse. Comme on dit : ça fonctionne. « Dans les courbes » (Fou Records FR-CD 26).

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Fabrice Favriou (guitare électrique et objets), Jean-Luc Petit (et ses instruments), et Julien Touéry (piano et objets) s’associent dans deux improvisations râpeuses, stridentes, voire agressives parfois. Si Petit paraissait un peu “noyé” dans la première pièce, il installe, au début de la seconde avec sa clarinette contrebasse, une respiration profonde, quoique assez sombre, mais que ne tardent pas à fatiguer ses deux complices. « Favriou-Petit-Touéry » (Fou Records FR-CD 27).

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Après avoir bien écouté ces CD, passons aux albums 33 tours qui renferment leur part de mystère, y compris sur la pochette quasiment vierge du second. Le premier, « L’homme approximatif » de Tristan Tzara (chants 1 & 2) est lu par Jean-François Pauvros, à la voix sombre et caverneuse, et, a contrario, finement mis en musique par Jean-Marc Foussat (synthé, voix) et Jamal Moss (flûtes, piano et cordes). Texte riche, diction austère, habillage sonore lumineux : les ingrédients d’un travail soigné qui aboutit à une belle réalisation. « L’homme approximatif » (Fou Records FR-LP 05).

Le Département d’Éducation Psychique, représenté par Jean-Marc Foussat (synthé AKS, voix), rencontre deux éminents spécialistes de la techno, Dynamo Dreezen et SVN (electronics). Il en résulte, enregistrée en direct sur la scène “techno” berlinoise Ohm, un Ohm Konzert sur trois faces (57’), que complète Mais on y songe – Aber man darüber nachdenkt (20’) sur la quatrième. Démarrant très lentement avec un niveau sonore faible, la musique, assez minimaliste, progresse de manière horizontale appuyée sur une structure micro-rythmique complexe, pour aboutir à une sorte de paroxysme admirablement maîtrisé. N’ayant aucunes connaissances ni compétences dans ce domaine musical, je renvoie donc le lecteur sur le site de Fou Records pour lire l’excellent texte de Guillaume Heuguet qui vous éclairera sur la teneur de ce projet insolite et ambitieux. Il n’empêche, le n’ai pu me détacher de cette musique envoûtante, aussi je lui accorde mon premier choix. « Département d’Éducation Psychique » (Fou Records FR-LP 03 & 04) OUI !

Les disques Fou sont distribués par Musea, Les Allumés du Jazz, et Metamkine.

Pour rester dans une option voisine de recherche électronique, deux disques du label indépendant Nunc me sont parvenus récemment. L’un est l’œuvre du groupe Vegan’ Dallas qui comprend Julien Chamla (batterie, bass harp), Richard Comte (guitare, voix), Benjamin Flament (percussions, voix) et Simon Hénocq (electronics) que l’on a entendu à la guitare sur le label Fou. Ils jouent huit pièces rythmées, parfois en boucle, plutôt répétitives, dans un rendu sonore assez “lointain”. Une fois encore, je n’ai pas les outils critiques me permettant de rendre compte de ce travail qui me semble intéressant. « Electro Griot » (Nunc 001 / Coax 032VEG1 ; existe également en LP). [4]

Un court CD (14’) digne d’attention du guitariste Richard Comte peut compléter le précédent. Résonance de l’instrument (parfois très bluesy), larges accords, progression lente, structures “simples”, variations infimes, Richard Comte, qui a déjà réalisé, ou participé à, de nombreux disques, semble travailler sur le temps. Il vient d’enregistrer un disque avec le bassiste anglais Simon H. Fell et un avec le batteur japonais Makoto Sato – voir plus haut – que nous serons curieux d’écouter.« Travel Paterns » (Nunc sans n°). [5]

Petit avertissement (superflu ?) au lecteur : nombre de ces musiques n’entretiennent que des rapports minces avec la tradition du jazz, comme on dit, dont, d’ailleurs, ils ne se revendiquent pas. Contrairement à nombre de productions actuelles qui en conservent la forme mais n’en véhiculent absolument pas l’esprit. À chacun de juger et de faire son choix.


[1Voir aussi la Pile de Disques d’avril 2017, ici... - CultureJazz.fr, ndlr

[2Voir aussi la Pile de Disques d’octobre 2017, ici... - CultureJazz.fr, ndlr

[3Voir aussi la Pile de Disques d’octobre 2017, ici... - CultureJazz.fr, ndlr

[4Voir aussi la Pile de Disques de janvier 2018, ici... - CultureJazz.fr, ndlr

[5Voir aussi la Pile de Disques de janvier 2018, ici... - CultureJazz.fr, ndlr