Cent trente huitième étape

Leila Martial
Leila Martial

En 45, avant que Jésus ne crie, que le Caravan de Duke ne passe, le gars Jules César nous pondit le calendrier julien. Ce qui fit que le 24 février 2018 était bien le 24 février où nous allâmes, alertes et vigoureux ou presque, au Chien à Trois Pattes écouter Baa Box, la fabrique à histoires musicales de Leila Martial (voix, claviers), Eric Perez (batterie, électronique, basse vocale), et Pierre Tereygeol (guitare, voix). Et cela débuta avec les sons de la France rurale, patoise en diable ; tout juste si on ne voyait pas le pâtre s’occuper les mains à l’ombre d’un chêne liège. Mais les bonnes choses s’évanouissent et/ou ont une fin de loup dans les alpages abandonnés aux fusils des gros cons. Mais cela ne les empêcha nullement, les bonnes choses, de céder la place aux surprises. Pour le coup, Leila Martial et ses acolytes de longue date s’y entendirent. Ils firent d’ailleurs montre d’une cohésion sans faille pour donner en pâture aux ceusses qui ne les connaissaient pas encore leurs troublantes élucubrations baabeliennes tressautant de points d’orgue en points de rupture, un point c’est tout. De lignes brisées en traverses hardies, le sens vocal fut loin d’être uniquement la voix de la sagesse. Voyez donc, elle est là, martiale dans l’instant, entre deux ou trois folies passagères et pas sages, à balancer des ricochets sonores sur l’étendue agitée d’un spectre musical abonné aux facéties rock‘n’rollesques, adossé à l’impro, à bon écouteur salut, et plus si affinités, on n’est pas là pour s’ennuyer. Et l’oreille à peine accoutumée était déjà déboussolée par l’autre voix surgie d’une imagination débordante (ou débordée ?) au langage sibyllin, évocateur d’un présent dépassé par sa vitesse propre. T’es où ? T’es là ? Il nous sembla que la ronde piquait à l’enfer sa turbulence et les excès bienvenus de ses locataires les plus chauds. Entre acoustique brutale et électronique bruitiste, le corps de la bête à musique cracha sa créativité en acrobaties harmoniques et autres éclats jouissifs avec l’abondance qui sied aux ennemis stylés de la fadeur. C’était ce qu’il fallait à un public néophyte pour être rapidement convaincu et enthousiasmé par l’exercice, dût-il ne pas se faire la moindre idée du style que le trio s’exerça à malmener en culbutant l’ennui dans l’ornière en embuscade, là où les notes et les sons vivent leurs vies créatrices à l’ombre de leurs créa(c)teurs. Baabel, entre tour et détours, fut à coup sûr ce soir-là une récréation langagière aux intonations incantatoires où chacun put puiser (ou non) dans les soubresauts vitaux du trio le clair de texte universaliste, perdu ou rêvé, qu’il entrevoyait ou, qui sait, qu’il entendit dans son propre cri primal surgi d’un jour lointain depuis longtemps disparu dans l’atemporalité de l’oubli. Enfin quoi, ce fut réjouissant ; comme une Leila Martial avec ses potes qui secouerait une baa box à musique à l’imaginaire fécond. Cela n’a rien à voir avec le disque « Thought you knew » de Snowpoet  [1] qui vient de sortir mais nous sommes heureux de vous dire que l’on aime beaucoup la voix (et le chant qu’elle porte) de Lauren Kinsella. Vous devriez, nous semble-t-il, écouter ces trente quatre minutes empruntées à une gamme étendue de nuances paisiblement enchanteresses.


Dans nos oreilles

Snowpoet - Thought you knew


Devant nos yeux

Marie Darrieussecq - Le pays