deuxième du nom et de la série

Ce soir, à l’Atelier du Plateau, ce qui tient lieu d’omphalos est un piano Fazioli, capot levé, tableau de bord étincelant, couvertures chauffantes ôtées des roues, on attend que les feux passent au vert pour l’entendre rugir dans la ligne droite des tribunes. Tribunes combles, c’est réjouissant, il faut même se tasser un peu sur les côtés. Obèses s’abstenir de respirer à défaut d’arrêter la junk-food.

La longue dame pas du tout brune, Ève RISSER, descend des cintres, concentrée, focalisée, s’assied devant son horizon du moment : le clavier. Aucun regard alentour. Le public ? Quel public ? On se croirait chez le cardiologue.
Un premier morceau tout simple, note à note, de facture classique TVA incluse. Notes qui ruissellent, dégoulinent. Flic, floc, flac.
Quoi ? Une pièce si brève qu’on a à peine eu le temps de respirer ? Une ruse d’Ève ? En pleine disruption des pratiques qu’on lui connaît ?
Tempo lent, main gauche ponctuée : Monk, ça ne peut être que du Monk.
Elle confirme. Ugly Beauty du maître et avant, Seven de Carla Bley.
On y est, chez elle, dans son salon, elle joue pour nous, qu’elle dit. Elle confirme aussi la couleur de ce début de concert solo, intimiste, pas survolté (aucun compteur Linky sous l’instrument), avec le piano naturel certifié bio. Justement, elle entreprend de lui ajouter des ceci et des cela directement sous le capot, à même les cordes. Après les pièces mélodiques d’introduction, plaisir de goûter à l’étrange, au percussif : quoi ? un piano qui sonne comme une cloche à vache ? Des sons secs et purs sans harmoniques ?
Pour ne pas nous perdre (?), retour au piano pur et dur avec Paris au mois d’août. Celui de René Fallet, c’est évident. Du feu, du soleil, la folie de la rencontre, la scène de la cuisine. Et la fin, tendre, le retour de la gamine sous le regard du père changé par son mois d’août à Paris. Il faut relire René Fallet !!!

Elle se balade ici et là Eve, dans son jardin, elle le dit, ces morceaux parce que j’en ai envie.
Et puis cette dernière pièce qui foutrait la honte aux DJ électro-machinistes les plus forcenés, les mecs qui ont oublié qu’il suffit d’un coupe de pied dans la prise pour leur couper la chique. Pas besoin de sampler. Eve la joue luddiste, en mode manuel et artisanal. Enedis va s’énerver, on peut se passer de ses services donc de l’EPR ( Équipement Particulièrement Ringard ). Des vibrateurs sur les cordes fabriquent une musique étrange et belle, planante, intrigante et envoûtante. On croirait entendre un raga du soir. Les sons filés ténus aplatissent les pensées contre la boîte crânienne. Silence là-dedans !!! Immersion, bain sonore, liquide, on se croirait dans une Dream House de la Monte Young, en train d’écouter une boucle de magnétophone qui défile pendant un temps sans temps.
On la rappelle bien sûr.

Gros succès.

Jeudi 21 mars 2018
Atelier du Plateau
Impasse du Plateau
75019 Paris

Les photos d’Ève Risser sont signées Florence Ducommun / CultureJazz. Concert donné à Avignon en piano solo le 14 janvier 2018. À retrouver ici... (page Facebook - CultureJazz)