Un cadre absolument magnifique saupoudré de fanfares et de concerts de fins d’après-midi sur la petite scène du Moulin avant les grands concerts sur la Scène des Platanes avec comme chaque année des invités prestigieux. Je vous emmène avec moi faire un tour d’horizon et parions que vous aurez envie de descendre dans le sud l’an prochain pour faire partie des heureux auditeurs d’un jazz toujours aventureux épris de liberté !

Le parc de Fontblanche

Pénétrez d’abord dans le grand parc du Domaine de Fontblanche où la grande scène se trouve sous les platanes centenaires, puis dirigez -vous vers le Moulin à Jazz et sa petite scène à l’ombre avant de faire le tour du stand de disques des Allumés du Jazz tenu par l’infatigable Jean-Paul Ricard président de l’AJMI d’Avignon, du stand de la librairie marseillaise Transit et sa belle collection de livres autour du jazz ; avant d’acheter le T-shirt de la 21° édition et de se désaltérer au comptoir. Plus tard, vous ferez le tour des six food-trucks et si vous avez de jeunes enfants, amenez-les s’amuser du côté des jeux en bois de Terre Ludique pour toute la famille. Je vous le disais, tout est prévu pour votre bonheur.

Les Anes de Palinkov

Vendredi 6 juillet à 18hs, ce sont Les Anes de Palinkov qui accueillent le public à l’entrée. Collectif montpelliérain créé par le guitariste Matia Levréro, composé de six musiciens, il a instantanément plongé tout le monde dans la fête avec son savant mélange inspiré de musiques de l’Est, mâtiné de rock. Une musique joyeuse, extravagante et pleine d’humour pour assurer la bonne humeur à tous en ce début de festival déjà bien fréquenté à cette heure.

Pulcinella

Pulcinella arrive alors sur la petite scène du Moulin et l’ambiance monte encore d’un cran avec les quatre toulousains (Ferdinand Doumerc au saxophone et flûte, Pierre Pollet à la batterie, Florian Demonsant à l’accordéon et Jean-Marc Serpin à la contrebasse) aux sourires plus enjôleurs et aux yeux plus brillants les uns que les autres. Un univers débridé et saugrenu depuis plus de treize ans, entraînant et également plein d’humour, qui ne dénie pas les moments d’émotion comme dans le titre éponyme de leur dernier opus, 3/4 d’once, d’ailleurs supervisé par le saxophoniste Sylvain Rifflet. 3/4 d’once (soit 21 grammes) est le poids de l’âme s’échappant du corps humain la mort venue, du moins selon la théorie établie par un certain Duncan MacDougall, médecin de son état, en l’an de grâce 1907 ! Né à l’initiative du saxophoniste Ferdinand Doumerc, avec plus de cinq cent concerts à son actif en France et dans le monde, Pulcinella continue de nous séduire à chaque écoute et le live est nécessaire pour appréhender la façon dont les musiciens habitent des morceaux comme Retour de Florence, La Sieste, Attrapé au Vol ou Les Paris sont Ouverts. Indispensable vraiment !

Le Famoudou Don Moye Quartet

Scène des Platanes à 21hs, le quartet du batteur Famoudou Don Moye prend place. Il s’agit d’une création inédite labellisée CharlieJazz après une résidence d’une semaine, rendant hommage à la musique de l’Art Ensemble of Chicago à l’occasion du cinquantenaire de cette formation qui fût le fer de lance de la « Great Black Music ». Mené par l’intrépide trompettiste marseillais Christophe Leloil, le surdoué Simon Sieger qui touche à la fois au tuba et au clavier et le guitariste Andrew Sudhibasilp, le concert du TarTATtar Brass Embassy a été un triomphe. Les habitués du festival se souviennent de l’Art Ensemble of Chicago invité en 2007 pour les 10 ans du festival. Seul le batteur âgé de 72 ans Famoudou Don Moye sera présent donc ce soir, reprenant des compositions de Lester Bowie et Roscoe Mitchell, enrichies de nouvelles compositions enthousiasmantes commencées et terminées avec les percussions et entraînées par la voix et la verve de Christophe Leloil. Simon Sieger est terriblement convaincant aux claviers où il excelle, tandis que le jeune guitariste en a scotché plus d’un. Une sortie de scène en chantant et déambulant dans le public, ce fut le bonheur…

Paolo Fresu, A Filetta et Daniele di Bonaventura

Suivra ce soir-là et dans une autre ambiance, pour peu qu’on arrive à s’y glisser tant l’énergie en était différente, le nouvel opus du trompettiste Paolo Fresu, accompagné du bandonéoniste italien Daniele di Bonaventura et des polyphonistes corses A Filetta. Suite du projet Mistico Mediterraneo paru en 2011 sur le label ECM, les voix, la trompette et le bandonéon s’entrelacent à nouveau pour Danse Mémoire, Danse, dont ce sera la seule date en France cet été, pour un hommage à Aimé Césaire et au résistant communiste corse Jean Nicoli, décapité par les Chemises Noires italiennes en 1943. Et ce, pour sublimer le souvenir de ces deux penseurs lumineux qui ne voulaient pas livrer le monde à ceux qui assassinaient l’aube, pour le rendre plus libre, plus juste, plus respectueux des différences. L’album déjà sorti en Corse, sortira officiellement à la rentrée et a déjà reçu le Grand Prix de l’Académie Charles Cros. Une scène impressionnante avec un recueillement attentif et silencieux, l’auditoire a diversement reçu le concert, certains se lassant vite et d’autres émus aux larmes. Ce n’est évidemment pas du jazz et Paolo Fresu, habitué du festival et souvent invité, en agacera plus d’un. Une musique à écouter les yeux fermés…

Le quintet d’Elodie Pasquier

Samedi 7 juillet, le quintet de la clarinettiste Elodie Pasquier investit la petite Scène du Moulin et présente son premier album Mona sorti sur le label Laborie Jazz en septembre dernier. Une belle équipe l’accompagne : Fred Roudet à la trompette et au bugle, Romain Dugelay aux saxophones, Thibaut Florent à la guitare et Teun Verbruggen à la batterie. Il fait très chaud et la prestation du quintet n’est que plus méritoire. Peu de titres présentés en dehors de Petit Poney avec un duo saxophone batterie initial palpitant, tout comme le sera le duo guitare trompette sur le morceau final The Little Ducks of The Night. Une musique audacieuse, intense et exigeante qui emporte l’adhésion par sa sincérité, tant dans sa douceur que dans ses déchaînements.

Honolulu Brass Band

L’Honolulu Brass Band composé de sept musiciens marseillais inspirés par les musiques des îles déambulera ensuite une bonne heure dans le parc, le temps que chacun se restaure ou prenne le temps de s’installer devant la grande scène des Platanes. Ils font une pause devant le stand de SOS Méditerranée dont les bénévoles très impliqués s’activent pour expliquer leur travail de fourmis laborieuses et courageuses. Leur bateau l’Aquarius fait halte en effet à Marseille pour s’approvisionner, suite au refus de les accueillir en Italie et Malte.

Le quartet de Yazz Ahmed

La charmante trompettiste Yazz Ahmed arrive alors accompagnée de son trio (Ralph Wyld au vibraphone, David Manington à la contrebasse et Martin France à la batterie). Un prénom prédestiné pour une musicienne britannique née au Barein, qui vient de sortir La Saboteuse après un premier album en 2011, Finding my Way Home. Bourrée de talent à n’en pas douter, la trompettiste peine à rentrer en contact avec le public, si bien que le concert ne fut peut-être pas apprécié à sa juste valeur en raison également d’une absence de prise de distance vis-à-vis d’une musique très écrite et d’un batteur peu nuancé. Yazz Ahmed expérimente les effets électroniques et les combinaisons sonores pour créer son univers musical, avec des mélodies orientales, rythmiques entêtantes et sonorités psychédéliques, un peu à la manière d’Ibrahim Maalouf à ses débuts. On lui souhaite de ne pas évoluer pareillement.

Mulatu Astatke en octet

En seconde partie de soirée apparait encore une légende en la personne du musicien Mulatu Astatke, père de l’éthio-jazz. Un public venu en nombre et acquis à cette musique, il n’en fallait pas plus pour enflammer et raviver le feu. Premier étudiant africain au Berklee College of Music, percussionniste de formation, Mulatu Astatke joue aussi du vibraphone et des congas, sans oublier le clavier. Après le succès de la collection Ethiopiques et celui du film Broken Flowers de Jim Jarmusch en 2005, dont il signe une partie de la musique, il entame une importante seconde carrière internationale. Ce soir il est avec son groupe actuel Step Ahead auquel participent les musiciens anglais James Arben au saxophone, Byron Wallen à la trompette, Alexander Hawkins au piano, Richard Olatunde Baker aux percussions, Thomas Skinner à la batterie, Shanti Jayasinha au violoncelle et John Edwards à la contrebasse. Et ce fut un triomphe évidemment. Voilà une musique habitée, partagée et riche qui communique avec le public. C’est un régal de voir et écouter ces huit musiciens accomplis ! Nous entendrons bien sûr les morceaux culte de Broken Flowers comme Yègellé Tezeta et Yekermo Sew. L’Afrique de l’Ouest rencontre l’Afrique de l’Est dans des joutes mémorables, le trompettiste dans l’ombre acoquiné au saxophoniste sur la gauche de la scène mènent la danse si on peut dire, avec un brio remarquable, le violoncelliste et le contrebassiste font chacun un solo époustouflant, non dénué d’humour pour le second, batteur et percussionniste emmènent tout le monde sur des rythmes ensorcelants. Soudain, le trompettiste revient faire le batracien avec un coquillage. Un très grand concert qui se terminera en un rappel forcément auto-congratulant sur le morceau Mulatu.. Astatke malgré ses 74 ans n’a pas pris une ride…

Ikui Doki

Dimanche 8 juillet, c’est le charmant trio IKUI DOKI qui se produit sur la petite Scène du Moulin. Relisez tout le bien que je pense de ces trois musiciens entendus à Jazz in Arles ce mois de mai. Lauréats de la cuvée 2018 du dispositif Jazz Migration avec trois autres groupes, ce trio inventif composé de Sophie Bernado au basson, Hugues Mayot au saxophone et clarinette et Rafaelle Rinaudo à la harpe, reçoit ainsi une consécration bien méritée. Chacun est déjà connu parmi la jeune génération montante du jazz, dont en particulier Hugues Mayot, sortant dernièrement de l’ONJ d’Olivier Benoit. Ils ont de l’inventivité à revendre, avec un répertoire de compositions collectives autour de la musique française du début du XXe siècle, époque où leurs trois instruments se sont révélés. Hommage en particulier à Claude Debussy au travers des reprises des Chansons de Bilitis, qui n’aura jamais été autant célébré cette année anniversaire de sa mort, donnant lieu à une belle renaissance pleine de jeunesse et d’humour. Des moments suspendus, comme la reprise par Sophie Bernado d’un poème de William Blake s’accordant parfaitement au son profond du basson qui remue les entrailles. La harpe préparée révèle tout son incroyable potentiel sous les doigts ou instruments variés utilisés par Rafaelle Rinaudo. Compositions très courtes alternent non sans malice avec d’autres plus étoffées sous un soleil de plomb. Un joli succès !

Louise & The Po’Boys

Les six musiciens de la fanfare Louise & The Po’Boys nous amènent doucement en chansons entraînantes à l’heure du concert que des centaines de fans sont venus écouter en masse ce soir : le grand Pat Metheny est parmi nous, et ce pour deux dates uniques en France, dont Vitrolles. Quel honneur ! Le célèbre guitariste est revenu sur le devant de la scène en mai 2016 pour la sortie de son nouvel album « The Unity Sessions », version audio de sa performance live avec le Unity Group. Accompagné de musiciens exceptionnels s’il vous plait, ce concert se devait d’être inratable. Il y avait donc Antonio Sanchez à la batterie, Gwylim Simcock au piano et Linda May Han Oh à la contrebasse. Pas de déception pour moi qui retrouvai le Pat Metheny des grands jours. Commencé en solo avec sa fameuse guitare Pikasso et terminé aussi en solo, nous assistâmes à un déluge de feu avec tout un défilé d’autres guitares, atténué par une partie en solo fort appréciée, pot-pourri de thèmes metheniens reconnaissables (Farmer’s Trust, compositions de One Quiet Night…) puis des duos avec chacun de ses musiciens, absolument fabuleux. Son duo avec Antonio Sanchez n’en finissait pas et faisait monter une tension incroyable ! Celui avec la jeune contrebassiste au talent fou, se révéla aussi d’une grande subtilité. Les grands titres connus et reconnus par ses fans défilèrent comme Phase Dance, A Night Away ou Song for Bilbao. Le son hélas assuré par ses sonorisateurs se révéla bien trop fort et saturé et nombre se bouchèrent les oreilles ; il ne fallait pas être trop près des baffles ! En tout, deux heures et demi de concert non-stop se finissant sur un Are you going with me. Oh que oui monsieur Metheny, tout de suite ! « One Quiet Night » avec vous ce soir, comme une conclusion à ce festival.

Pat Metheny
Freaks

C’était sans compter Freaks du violoniste Theo Ceccaldi qui a sévi ensuite en After party à partir de 23 hs sur la petite Scène du Moulin. J’ai une grande admiration pour tout ce que font Théo et son frère Valentin, têtes chercheuses d’un jazz très libre et inventif, exigeant et défricheur. Mais ce soir-là, je n’ai que peu écouté hélas, encore tout à mon concert de Pat Metheny que je ne voulais pas effacer si vite de ma mémoire ; que Théo veuille bien m’excuser, car le temps de prendre quelques photos du groupe (avec Mathieu Metzger aux saxophones, Quentin Biardeau au saxophone et claviers, Giani Caserotto à la guitare, Etienne Ziemniak à la batterie et Valentin Ceccaldi au violoncelle) et je m’esquivais. Merci à toute l’équipe du festival dont Aurélien Pitavy et Waâfa Mesbaoui en particulier pour leur accueil toujours chaleureux et à l’an prochain avec tous ceux que j’aurai convaincus de venir !


Pour en savoir plus : https://charliejazzfestival.com/