Une quinzaine d’années après Napoli’s walls, inspiré par les créations visuelles d’Ernest PIGNON-ERNEST, Louis SCLAVIS en remet une couche avec son quartet du-moment-qui-dure-depuis-deux-ans-au-moins : lui-même aux clarinettes siB et basse, Benjamin MOUSSAY piano, Sarah MURCIA contrebasse et Christophe LAVERGNE batterie. Autant dire que, question casting de luxe, il en connaît un rayon pour ne pas dire un diamètre.
Il prend soin de nous narrer le contexte de chacune des huit pièces. On n’aura pas les images, on se fera un trip sonore avec nos images perso « nous sommes tous des créateurs » affirme-t-il. Rires.
Difficile d’extraire de ce somptueux concert ceci ou cela pour en montrer la quintessence tant, comme dans le cochon, tout est bon !!
Dans Genêt-Brest, si l’intro violemment chaotique, bruyante, énervante disparaît vite fait dans les souvenirs à noyer avec le chat, le trio piano-basse-batterie s’affranchit tout de suite de ce qui pourrait faire naître ici ou là des réminiscences, des rappels d’autres trios identiques. Un puzzle presque belge ( trois pièces !! ) mais trois pièces aux limites évanescentes, impermanentes, comme qui dirait une démonstration de topologie appliquée à la musique. Parce que chacun s’embarque, en même temps, dans un solo qui n’ignore pas les deux autres. Murcia ne martèle pas sa basse en maîtresse du temps, Lavergne ne cogne pas ses caisses et cymbales pour faire entendre le tempo et Moussay ne volute pas en s’appuyant sur eux. Non non non. On dirait un trio d’équilibristes qui réagit à chaque oscillation, courant d’air, aléa, opportunité, chacun son fil d’une tresse unique. Y’a des mâchoires qui pendent dans le public.
L’intro de Darwich dans la ville, une phrase millimétrée jouée à l’unisson, nous projette dans des sinuosités orientalisantes, ça ondule, mec, laisse monter ta kundalini. Murcia sort le grand jeu façon oud augmenté avec un son profond, clair, épatant, Lavergne se déchire le ticheurte et joue terrible : il pousse au cul, relance, devance, échoïse, commente, méta-commente., ses bras éoliennent, sa frappe chirurgique, pfff. Et Moussay se fend d’un solo obsessionnel qui mêle la répétition d’un accord trituré à une couleur sombre, une histoire répétée à l’identique et en même temps différente. Une truc hypnohalluciné.
Sclavis n’a pas choisi les plus mauvais de la scène actuelle.

Dans la Dame éternelle, outre la dimension mélodique insupportablement scotchante (qui n’est pas sans rappeler le thème Dieu n’existe pas), le boisé de la clarinette, la langueur de son solo, le tempo médium installent une quiétude qui fait du bien. On sent les épaules s’abandonner à la gravité.
Pour clore le premier set, oui, chose de plus en plus rare, ce 4tet nous offrira deux sets, Shadows and lines ( by Moussay ) offre à nouveau au trio l’opportunité de nous rappeler que la liberté ne s’use que si l’on s’en sert, autant dire qu’ils en usent jusqu’à l’âme de la corde. Quand Sclavis les rejoint, c’est pour se hisser tous les quatre au niveau concert exceptionnel. Pas moins.
Le second set ne fait que confirmer le grand plaisir installé. Dans la course sans fin de Charleville-Paris-Aden, Sclavis se lance dans un solo a capella démentiel, une coulée de lave inarrétable, une incandescence dévorante, un brûlant flot furieux. Hénaurme solo qui nous laisse médusés et essoufflés.
Murcia se fendra d’un solo de référence dans Prison, poussée par Lavergne usant de ses fûts avec une courtoise délicatesse, une discrétion minutieuse, avant qu’ils ne se rejoignent dans une phrase courant d’un instrument à l’autre à une vitesse déraisonnable jusqu’à la chute extraordinaire de précision. Un truc au scalpel qui laisse le public en flottaison au-dessus des sièges.
Qu’ils jouent simple ou virtuose, le beau l’emporte et l’émotion nous empoigne.
On les rappelle pour Extase. Titre parfait.

Jeudi 20 septembre 2018
Le Triton
11bis, rue du Coq Français
93260 Les Lilas


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