Quarante-sixième équipée

Giorgos Antoniou à la contrebasse et Steve Brown à la batterie, c’était la rythmique de Champian Fulton au Bémol 5 le samedi 21 septembre, dernier samedi estival avant que les feuilles meurent de leur belle mort et jour de naissance de Hubert George Wells (1866). Je ne le lis pas puisque la science fiction est un réel plus ou moins deviné. Mais la n’est pas le sujet. J’étais venu écouter et découvrir une chanteuse et ce fut fait. Mais personne ne m’avait prévenu que la dame était aussi une pianiste émérite (et à mérite, mérite et demi) qui délaissa de temps en temps le micro pour se consacrer à son clavier et montrer opportunément un savoir-faire pour le moins recommandable, au point de jouer une composition d’Oscar Peterson (il n’y en a pas tant que ça) avec deux mains versatiles et véloces. Il va sans dire que je fus là à des années lumières du trio de Julia Kadel vu trois jours auparavant. Ce qui m’importa peu puisque le jazz était de qualité dans le deux cas. Le spectre est vaste et cela me convient. Quant au cadre imposé par les standards, choisis avec soin, il permit à la rythmique précitée de faire le boulot tranquillement ; rien de passable mais finalement assez peu d’imagination et un très léger manque de souplesse. Juste un travail bien fait. Vous me direz que je suis un chieur et je l’admets volontiers. Mais les deux compères de la dame de l’Oklahoma n’étaient pas exactement à son niveau. Ceci posé, elle fut, devant l’instrument comme devant le micro en tout point convaincante. Avec un phrasé rappelant quelques belles références du passé (on la dit très influencée par Dinah Washington et ce n’est pas faux), un sens du swing affirmé et un goût prononcé pour l’économie de moyen, elle capta promptement le public fourni du club. Ne manquant pas de se tourner régulièrement vers lui tout en jouant, elle prouva également en professionnelle accomplie son sens de la scène. Un « Baubles, bangles and beads », un ou deux thèmes de Cole Porter, un original dédié à Art Blakey (petite, elle rêvait de faire partie des Jazz Messengers), d’autres standards adéquats, qu’elle apprécie visiblement de faire durer, et le tour fut joué. Au cours d’un premier set assez musclé, je constatai que cette jeune femme enjouée avait les moyens de sa passion, notamment grâce à un toucher de clavier percussif et précis (je songeai alors à Winton Kelly). Dans le second, plus introspectif, elle mit en valeur avec aplomb et simplicité l’élégance des formes et la nuance que sa voix gorgée de fraîcheur déploya avec une belle décontraction et une justesse imparable, le tout au service d’une forme intemporelle de jazz. Je sais, ce n’est pas nouveau. Mais le présent étant un passé en devenir et le futur un passé en attente, on s’en fout un peu, non ? Tout s’achève pour qui sait attendre. Et c’est pareil pour les autres. Alors autant que ça swingue. Le temps nous bat à sa mesure et bien malin celui qui pense y échapper. Poil au nez.

Alors quoi ? Comme je suis un indécrottable réaliste, j’attends de voir ce que l’avenir de Champian Fulton nous dira. Il est néanmoins évident qu’elle fera une carrière de qualité dans un segment du jazz où les chanteuses et musiciennes authentiques ne se bousculent pas vraiment, une fois triés les avatars commerciaux produits par les maisons de disques bien sûr. Elle devrait conséquemment assurer sa place au soleil et je suis content pour elle. J’irai même l’écouter encore si l’occasion se présente. Cqfd.


Dans nos oreilles
Champian Fulton & Scott Hamilton ‎– The Things We Did Last Summer


Devant nos yeux
Annick Cojean - Je ne serais pas arrivée là si...


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