Jazz, le retour

Si la fête avait commencé officiellement le mercredi avec, le jeudi, le concert des résidents (qui regroupait en une unique formation les 10 musiciens invités en résidence ces dernières années), pour nous c’est le vendredi que nous avons rendez-vous avec la deuxième mi-temps de la scène Jazz Export Days où sont présentés, à raison de 30 minutes chacune, différentes formations françaises par le Centre National de la Musique, en vue de séduire les producteurs européens présents. Opération qui s’est déroulée en deux temps avec quatre formations la veille (Sophie Alour, Leïla Martial…) et quatre nouvelles ce jeudi en commençant par l’ONJ [1]. Quatre titres pour rendre hommage à Ornette Coleman suffisent à l’ONJ pour imposer sa marque de fabrique sur ce « répertoire » du saxophoniste. Beaucoup d’énergies individuelles au service du collectif.

Après un hommage très électrique, place au violoniste Théo Ceccaldi et à un hommage excentrique au musicien français le plus célèbre, Django Reinhardt. La liberté est là, la fantaisie en plus tant est si bien que la relation au guitariste manouche est repérable par éclairs, souvent souterraine voire invisible sinon franchement inexistante ainsi que le musicien l’avoue lui-même. La prestation d’Ozma emmené par son batteur-compositeur Stéphane Scharlé a d’emblée saturé l’espace. Difficile donc de trouver trace de ses souvenirs de voyage en Chine, en Inde… Tendance (très tendance) au jazz paroxystique qui souvent aboutit, pour plagier le nom d’un célèbre groupe aux résonances stravinskiennes, à un quasi « massacre du tympan ».
À Django, succédait, en quelque sorte Stéphane, en ce sens que le précédent album du violoniste Mathias Levy invité, lui rendait hommage. De son dernier enregistrement, le trio offrait une invitation au voyage (l’Inde encore) personnelle acoustique ; l’occasion pour nous d’apprécier le jeu tout en nuance du violoniste et la subtilité de ses compositions. Images et émotion étaient là bien au rendez-vous.

Le seul américain — ou presque, Covid oblige — de cette quarantième édition, bravant les vents mauvais à un âge où beaucoup, quelques décennies plus tôt, ont choisi la retraite, le pianiste Kenny Barron a été un grand moment du festival accueilli comme tel par des centaines de spectateurs. Un grand moment donc de piano stylé et bourré d’énergie en compagnie d’une rythmique qui en jouant acoustique « groovait » néanmoins. Classique, moderne, intemporel : « Le paroxysme de l’élégance » a pu écrire un confrère à son propos.

C’est une formation largement élargie qui lui succède le lendemain à la fois dans la tradition du big band et dans une écriture contemporaine : le Carine Bonnefoy Large Ensemble. Premier concert en 2009 dans ce même cadre ; retour aux sources donc pour cette pianiste compositrice inspirée. Faire exister économiquement une telle formation est une chose, une autre est de la faire tourner musicalement. Pari réussi dans l’équilibre des cordes, des cuivres et des voix, il est vrai porté par de superbes musiciens parmi lesquels on peut reconnaître Denis Leloup au trombone, Deborah Tanguy au chant, Stéphane Guillaume au saxophone… Au piano Carine Bonnefoy sait placer les accords qu’il faut pour faire swinguer cette superbe machine à jazzer.

Pas de swing avec la jeune vedette du festival, le pianiste Gauthier Toux mais une formidable envie propre à galvaniser toutes les énergies et faire tomber d’éventuelles préventions face à un jazz parfois méconnaissable mais toujours passionnant. Inventeur de formes ; en dépit de l’importance des claviers dont il est le véritable maître à bord, il a su s’associer à la chanteuse suisse Lea Maria Fries très surprenante, toute en finesse et en théâtralité. À cela s’est ajouté une invitation faite au trompettiste norvégien Nils Petter Molvaer, familier de ces chemins électroniques non balisés. Conclusion : paroxysme et nuance peuvent aller de pair.

Dimanche enfin, place au « troubadour » Sylvain Rifflet et à son saxophone. Nous avons déjà eu l’occasion de le voir sur scène à l’Auditorium de Caen (Th.G, Culture jazz 18-12-19) et de découvrir son folklore imaginaire, son instrumentation inédite (saxophone, shruti box, harmonium sans oublier trompette et batterie). Les compositions venues du bout des temps retrouvent ainsi une belle vigueur et ces différents soli –en guise des nombreux rappels- dénotent un beau sens de l’improvisation.

Aussi la recherche d’un répertoire hors du temps n’interdit-elle pas le jazz. Invité attendu en guise clôture de ce 40ème festival, celui qui avait fait l’ouverture des premières éditions de JSLP et qui en fut souvent invité, le contrebassiste Henri Texier, a bien rempli la grande salle Marcel Hélie. Sans la ferveur qu’on pouvait attendre de celui qui a su et sait faire chanter le jazz comme personne avec son instrument. Certes tout est bien place, chaque chorus distribué égalitairement, chaque musicien ayant droit à sa composition mais cela reste malgré tout assez froid et impersonnel. Il faut attendre que le célèbre contrebassiste extraie de son crincrin une Internationale quelque peu ironique, en souvenir du bon (?) vieux temps pour retrouver son ardeur bien connue.. La reprise de l’un de ses tubes fait enfin vrombir la scène (et la salle) tandis que La Cinecitta composée par son fils nous permet de continuer à rêver. Clap de fin.

Moralité : fort de la ténacité des acteurs (bénévoles, responsables, musiciens et bien sûr aussi les spectateurs qui se sont déplacés en grand nombre) de cette quarantième édition, le jazz a été, cette année, plus fort que la Covid.

P-S Avec l’espoir de revoir à nouveau, des musiciens américains et davantage de formations européennes sur la scène coutançaise.

Photos : Sébastien Toulorge, Yves Dorison


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[1Orchestre National de Jazz