Tétragone à Granville...

...dans le cadre des actions d’essaimage du collectif normand Le Tympan.

Théâtre de la Haute-Ville, Granville (Manche) - Samedi 15 octobre 2022 - 20 heures 30


Le Collectif Jazz de Basse-Normandie était devenu Collectif Pan il y a quelques années. Il a encore muté en devenant Le Tympan depuis février 2022.
S’il brouille les pistes en changeant d’intitulé, il n’en garde pas moins le cap en terme de diffusion du jazz et des musiques improvisées, souvent à la rencontre d’autres modes d’expression artistique. Basé à Caen (Calvados), Le Tympan a innové en faisant l’acquisition d’une yourte qui devient (enfin) la salle insolite du collectif et permet de gagner en autonomie (voire en mobilité !). Il a également pour mission de soutenir la diffusion du jazz et des musiques improvisées dans les départements de la Normandie occidentale. De cette manière, il vient semer des graines de jazz là où la terre semble fertile. Ce fut le cas à Granville le 15 octobre.

  Les ateliers de Samuel

Atelier jazz de Granville

Depuis bien des années, Samuel Belhomme, trompettiste, poly-instrumentiste, compositeur et membre actif du Tympan depuis ses formes originelles anime à Granville des ateliers de jazz qui ont fait leurs preuves. Il était donc logique que ses amis caennais viennent se poser là le temps d’un concert (il y en aura d’autres).
Pas de Yourte dans cette célèbre Haute-Ville posée fièrement sur la falaise mais un théâtre de poche assez singulier quoi que pas vraiment confortable pour une écoute prolongée. Compact mais peu spacieux pour les longues jambes. Or, ce soir-là, le menu était copieux car une première partie consacrée à un sextet issu des ateliers locaux précédait le quartet Tétragone à l’affiche de ce concert. Pour certains, les muscles se sont ankylosés : ça n’aide pas pour une écoute sereine.
Ces considérations matérielles mises à part, nous saluerons la qualité du travail effectué par Samuel Belhomme. Son choix artistique le porte résolument vers des compositions de musiciens contemporains, souvent scandinaves (par goût) mais aussi, ce soir-là, de Dave Holland ou Enrico Pieranunzi.
Installé à la batterie, Samuel Belhomme laisse les coudées franches à l’ensemble pour donner des couleurs singulières (violon, violoncelle, clarinette) et un éclairage original à des mélodies subtiles propices à l’improvisation. Ces musiciens amateurs adultes ont vraiment plaisir à jouer et on salue la qualité de leur travail et leur talent déjà reconnu comme c’est le cas pour Bénédicte, la violoniste, qui fut une complice fidèle du regretté Serge Lelièvre.

  Tétragone

Tétragone quartet à Granville

Au masculin (comme dans le cas de ce quartet), tétragone est synonyme de quadrilatère. Au féminin, c’est une sorte d’épinard d’été qui s’accomode bien de la sécheresse. Tétragone dans sa version normande est une formation constituée d’amis de longue date qui ont forgé leur pratique et développé leurs styles dans le creuset du jazz caennais. On retrouve Nicolas Leneveu (saxophone ténor) désormais coiffé d’un "pork pie hat" à la manière de Lester Young... ou de Chris Speed, Jérémy Bruger au piano (numérique, pas très audible et un peu à l’étroit ce soir-là), Thibault Renou (contrebasse) et Jean-Luc Mondélice à la batterie.
Adeptes d’une fonctionnement collaboratif, les musiciens apportent chacun des compositions pour constituer le répertoire de l’ensemble. Une ambiance de bonne camaraderie règne sur scène.

Nicolas Leneveu & Thibault Renou

Le plaisir de jouer est perceptible chez ces quatre musiciens de talent. Cependant, à trop vouloir préserver l’équilibre, chacun reste sagement cadré par les partitions et les contraintes de grilles harmoniques. La musique est intéressante, assez diversifiée pour qu’on perçoive les spécificités des compositeurs mais il manque une pointe d’audace et d’impertinence qui pourrait venir bousculer un équilibre trop préservé. Tout cela est très tempéré, trop à notre goût. On aimerait voir surgir Popeye avec un boîte de tétragone pour un sursaut de vigueur.
La soirée a peut-être été un peu longue et le public trop clairsemé pour que cette musique prenne son essor ? À réécouter dans un autre contexte : ils le méritent assurément.


  Léïla Olivesi en quartet éphémère

...dans le cadre de "Jazz dans les Prés" (association Happy Jazz Club).

Salle polyvalente de Saint-Ébremond-de-Bonfossé - Dimanche 17 octobre 2022 - 17 heures

Après le bord de mer dans la Monaco du Nord le samedi soir, il fallait se rendre dans le bocage Saint-Lois le dimanche pour écouter la pianiste Léïla Olivesi, invitée de Jazz dans les Prés.
Le principe de Jazz dans les Prés repose sur l’invitation de musiciens qui vont s’associer à des musiciens normands pour constituer une formation éphémère le temps de trois concerts dans le Calvados, l’Orne et la Manche sur un week-end, une fois par mois de mars à novembre. Le batteur Guillaume Chevillard, cheville ouvrière du projet avec l’association Happy Jazz Club, est l’élément constant des différentes formations constituées.

Leïla Olivesi, quartet pour Jazz dans les Prés
© Sébastien Toulorge

  Leïla Olivesi, le Duke, Mary Lou Williams et le jazz vivant

L’invitation de la pianiste Leïla Olivesi est assurément une bonne idée comme l’a démontré ce troisième concert de la série d’octobre 2022. Brillante instrumentiste, Leïla Olivesi est également musicologue. Adoubée par le regretté Claude Carrière (à qui elle dédie sa composition Missing CC en rappel), elle joue un rôle actif dans l’association de la Maison du Duke à Paris, structure qui perpétue et développe l’œuvre de Duke Ellington. Une curiosité et un goût pour le jazz d’hier (tout en se plaçant délibérément dans le jazz d’aujourd’hui) qui l’amène aussi à s’intéresser à la musique de Mary Lou Williams, grande dame du jazz dont on redécouvre les compositions (grâce, entre autres, au travail de Pierre-Antoine Badaroux et de l’Umlaut Big Band). Elle est venue en Normandie avec sa composition Mary Lou et le Scorpio (extrait de la Zodiac Suite) de la légendaire pianiste afro-américaine.

Leïla Olivesi à Jazz dans les Prés
© Sébastien Toulorge

Disons-le sans détour, nous avons assisté à un concert passionnant à plus d’un titre. D’abord parce qu’on admire la capacité de l’ensemble à se souder en un délai aussi court. Les trois normands se sont emparés avec enthousiasme de compositions originales pas si simples et ont démontré leur capacité à relever ce défi avec brio. Leïla Olivesi a joué le jeu et adopté sans faux-semblants sa nouvelle équipe de complices. Faisant preuve d’une grande empathie, de beaucoup de bienveillance, elle apparaissait sincèrement heureuse d’être là à jouer sa musique dans un contexte nouveau... malgré l’absence d’un vrai piano (elle dut se contenter d’un clavier numérique sans sembler le moins du monde dérangée par cette situation).

  Quartet éphémère mais remarquable

On connaît la polyvalence de Guillaume Chevillard (batterie) qui, au fil des ans s’adapte à tous les styles et se montre très à l’aise dans ce quartet. On connaît aussi les qualités de Bernard Cochin, solide contrebassiste et soliste inspiré (sur Winter Flower) très demandé dans les formations normandes de haut-niveau. On devinait aussi que le jeune Pascal Mabit qui a bien "grandi" depuis qu’on le suit avait le potentiel d’un remarquable saxophoniste alto. Cette fois, en pleine maturité de son art, il impressionne par ses qualités de soliste, son sens du phrasé, les inflexions des sonorités de son alto. Il a littéralement survolé et transcendé les compositions de Leïla Olivesi, nous laissant admiratifs et conquis. Un musicien avec lequel il faut compter (il est déjà demandé) et qui devrait s’ouvrir un bel avenir dans le jazz s’il trouve les bonnes opportunités au bon moment. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.
Une fois encore, un public nombreux et diversifié a répondu présent. Jazz dans les Prés a su conquérir un auditoire fidèle, tout particulièrement dans la Manche et l’accueil fut particulièrement chaleureux dans cette belle salle polyvalente et modulable à l’acoustique irréprochable. Par son naturel et la chaleur de son contact tant avec ses complices musiciens qu’avec le public, Léïla Olivesi a conquis son auditoire sans jamais céder à la facilité sur le plan artistique. Évidemment, on applaudit et on se réjouit de constater que le jazz moderne et authentique peut faire recette.

Leïla Olivesi, Pascal Mabit, Bernard Cochin & Guillaume Chevillard
© Sébastien Toulorge

Signalons enfin que le nouvel album de Leïla Olivesi (Astral) à paraître mi-novembre 2022 était disponible sur place en avant première et qu’il s’est fort bien vendu ! Un signe qui ne trompe pas.
Voir la "Ribambelle d’albums" de novembre 2022 sur CultureJazz.fr.