Trois disques entre deux eaux, de fin et de début d’année
Aléa
Pierre de Bethmann : piano
Nelson Veras : guitare
Sylvain Romano : contrebasse
Tandis que la phase de réédition de ses “Essais” en cours d’achèvement –ne reste plus qu’un seul volume dont la sortie est reportée courant 2023- le prolifique et volubile pianiste Pierre de Bethmann a effectué, en juillet dernier, un détour par le studio d’enregistrement et ce, dans la continuité d’une série de concerts donnés au préalable. Aussi, s’est-il efforcé de reproduire les conditions du direct et d’en retenir le meilleur, dans ce volume 5 des “Essais”.
Moins rythmique ( le batteur Tony Rabeson ayant cédé sa place ,pour l’occasion, au guitariste Nelson Veras tout en conservant à ses côtés le batteur Sylvain Romano),plus mélodique par nature, ce trio piano- basse- guitare donne un tour tempéré à ce nouveau répertoire constitué de standards au choix éclectique puisque comportant aussi bien les prestigieux noms des maîtres Cole Porter et Jerome Kern que des musiciens chevronnés du jazz contemporain tels que Lee Konitz ou Dave Holland, sans oublier la musique de film de Michel Magne (“Un singe en hiver”) ou le très illustre compositeur classique et néanmoins romantique, Ludwig van Beethoven.
Ainsi le trio piano-basse- guitare apporte-il des nuances aux précédents Essais, il laisse davantage de place au dialogue, notamment avec le guitariste d’origine brésilienne Nelson Veras qui a eu l’occasion de jouer, dès ses débuts aux côtés d’ Aldo Romano, puis de Lee Konitz notamment. Entre fidélité aux compositions et liberté d’improvisation, le trio balance dans tous les sens du terme.
Liberté totale du côté des compositeurs de Broadway (“ Love for sale” et “Nobody else but me”) mais total respect –ou presque (car les arrangements sont superbes)- pour le deuxième mouvement de la septième symphonie. Entre les deux, il y a la place pour retrouver le plaisir d’inventer avec les maîtres du jazz, comme en témoigne notamment l’interprétation du”Thingin”, aux accents monkiens, de Lee Konitz.
Pierre de Bethmann sera en concert en trio les 17-18 février 2023 au Sunside.
La chanteuse Camille Bertault, avec quatre disques enregistrés depuis sa récente carrière entamée en 2O15 a déjà fait ses preuves alors même qu’une chanteuse par jour ou presque s’annonce dans la catégorie jazz. Ici, c’est moins la vocaliste de jazz qui a séduit d’emblée avec son scat de “Giant Steps” de John Coltrane que la chanteuse tout court. C’est-à-dire l’interprète du répertoire de Gainsbourg, celui qui précisément n’est pas jazz. Le jazz, ici, c’est le domaine de l’excellent Brussels Jazz Orchestra. Avec ses somptueux arrangements. Qui bien sûr peuvent surprendre pour des compositions d’un chanteur qui certes était un connaisseur de jazz mais qui était plutôt un musicien iconoclaste.Tout comme peut sembler osé de confier à une interprète féminine un répertoire masculin plutôt marqué en dehors des titres interprétés par les Jane Birkin, Brigitte Bardot, Anna Karina…
Les trésors de la chanson de Gainsbourg qui ont pour nom ici “Couleur café”,” Les goémons”, “La javanaise”“Je suis venu te dire”, rehaussés par l’interprétation de Camille Bertault, sont ainsi enchassés dans un jazz quasi symphonique qui leur tient lieu d’écrin.
Gainsbourg -Bertault- Big Band : les faire tenir tout ensemble relève un peu de la gageure tant l’orchestre, loin de la mettre en sourdine, entend lui aussi donner de la voix, laissant la place, néanmoins -comme il se doit- à ses solistes et à son interprète ,elle -même parfois soliste parmi les autres musiciens. En tous cas, voilà un hommage rendu comme jamais, moins à l’auteur-interprète, qu’au compositeur Gainsbourg.
www.brusselsjazzorchestra.com/gainsbourg/fr
Alix Logiaco
Alix Logiaco : piano, Rhodes, compositions
Carel Cléril : contrebasse
Emilian Ducret : batterie
Après avoir fréquenté les meilleurs lieux de formation musicale, de Paris à Montréal en passant par Lausanne, le pianiste Alix Logiaco a posé bagages en Ile de France pour y bâtir son projet ALT. Un premier disque « Fée » est né en 2019 ; le trio piano-contrebasse-batterie propose, en cette fin d’année 2022 son nouvel opus « Le monde d’après ». Cet « après » débouche-t-il sur un autre monde, futuriste ou des lendemains qui chantent ? Ou ne s’agit-il pas plutôt d’une une simple libération de forces confinées ?
Et donc, plus prosaïquement le plaisir retrouvé des studios d’enregistrement, des concerts, de jouer ensemble ?
A écouter la musicalité de ce disque avec ses titres phares, « Le monde d’après », bien sûr mais aussi « Détends-toi », c’est plutôt cette dernière impression qui se dégage. Pas d’énergie explosive, pas de table rase mais une force d’évidence. Non pas une force tranquille mais plutôt une élégance tranquille. Les influences revendiquées (pop, hip hop, musiques latines) s’affichent moins qu’elles ne se fondent dans un ensemble homogène et harmonieux.
Le charme discret de la mélodie pour une musique entêtante.
« Le monde d’après » a été présenté au Duc des Lombards en novembre dernier.