Un film sur un film

Son objet : une émission télévisée “Jazz Portrait” réalisée en 1969 et diffusée l’année suivante, avec pour invité le célèbre pianiste.
C’est donc à partir de ce document d’une trentaine de minutes (auxquels s’ajoutent près de deux heures de rushes) que le cinéaste Alain Gomis va construire son propre film d’environ une heure. Matériau minimum, effet maximum.
Rien de spectaculaire cependant ; il ne faut pas s’attendre à des révélations sur le musicien ni même sur sa musique. Le film Thelonious Monk /Straight, No Chaser de Charlotte Zwerin(1988) s’y était attaché avec talent.
Ce qui frappe en premier lieu, c’est la rudesse du dispositif télévisuel (on interrompt le musicien comme un comédien auquel on demande de reprendre sa réplique) et son caractère factice (« On va faire comme si c’était du direct » décrète l’interviewer Henri Renaud). Pauvre Henri Renaud ; mais ne tirez pas sur ce pianiste car un autre est derrière ou plutôt devant ! Pianiste lui même, devenu directeur de collection chez Sony et producteur d’émissions de jazz pour la télévision, cette double (ou triple) casquette ne le rend pas pour autant à l’aise dans ses baskets, si on peut dire. Il a pourtant eu l’occasion de rencontrer le musicien lors d’un séjour de près de 4 mois à New-York.
Et tout cela retombe sur les épaules de Thelonious Monk bien entendu, qui assiste impuissant, impassible ou presque à cette “comédie” du faux direct. Il regarde, il attend, il répond comme il peut avant d’être interrompu voire contredit. Il est fatigué par une longue tournée, transpire à grosses gouttes. Enfin, on le laisse jouer sans interruption Round midnight et Monk sauve, du même coup, cet interview du désastre.
Ce film d’Alain Gomis vaut aussi pour le travail opéré sur le matériau initial, intervenant aussi bien sur les images (mises en boucles) que sur le son ( accumulation de strates sonores, amplification du souffle de Monk par exemple).
Au total, soixante cinq minutes pour donner à voir la frustration de la parole du musicien puis à entendre sa libération par la musique.