Ce concert-là, je l’attendais avec impatience !
Dimanche 18 août 2024
Différentes possibilités existent pour être en apesanteur. Être astro-spatio-cosmo-naute en est une. Acheter un ticket à Richard Branson en est une autre, à condition toutefois d’être fortuné. Hormis ces deux occurrences, pour défier la pesanteur, il est envisageable et plus que conseillé de prendre un chemin de traverse (qui plus est écologique) en assistant à un solo de piano de François Couturier. C’est à la portée de toutes les bourses et de toutes les ouïes. Dans le farinier de l’abbaye de Cluny, deux-cents âmes environ eurent ce privilège, écouter sans amplification aucune un artiste majeur évoluant à des années lumière du barnum médiatique prétendument culturel. Il ne fut ce soir-là question que de musique, de notes isolées offertes au silence, d’accords parfaits soutenant le propos, d’échappées denses creusant des sillons inespérés. L’ivoire noir et blanc dut se soumettre à la nuance, à l’irisation. Avec ce pianiste, chaque son émis fut une nécessité qui ignora les étiquettes car il était par essence le fruit d’une esthétique personnelle. Telle mélodie simple, magnifiée par un toucher précis, fut une création, quel qu’en fut l’auteur. Tel passage plus abruptement contemporain aussi. Au cœur d’l’improvisations digressives et d’inclassables harmonies, une continuité musicale singulièrement plurielle se constitua, libre d’esprit, qui emporta sur son passage la pesanteur du temps terrestre. Éloigné de l’ordinaire, immergé dans une enclave poétique argentine à nulle autre pareille, je pensai qu’il est doux d’être au bon endroit au bon moment (quoi qu’on en pense, cela n’arrive pas si souvent), dans un lieu empreint d’une atemporelle équanimité, dans une sorte de constellation onirique finement sculptée entre marteaux et cordes dont les résonances firent vibrer l’épiderme des plus sensibles dont je suis. J’acquis dans ce précieux intervalle une certitude. La clef de sol était trop terre à terre pour François Couturier. Il avait sous les doigts la clef des cieux. Qu’il puisât là le mouvement mélodique dans sa clarté profonde comme dans ses clairs-obscurs les plus aventureux fut une expérience auditive inestimable, un de ces épisodes fugaces qui justifient une existence. C’était un 18 août, jour qui vit disparaître Etienne De La Boétie (1530-1563), auteur à dix-huit du Discours de la servitude volontaire que nos gouvernants devraient lire (ou relire, sait-on jamais). Plus près de nous, un dicton sybillin affirme qu’à la Sainte-Hélène la noix est pleine, et le cerneau se met dans l’eau. L’énigme est vôtre.