Mercredi 05 mars 2025

Gustav Lundgren : guitare
Rick Margitza : saxophone
Viktor Nyberg : contrebasse
Gautier Garrigue : batterie

Avez-vous déjà rêvé d’être une petite souris pour pouvoir vous glisser dans l’intimité d’une bande de jazz avant le début d’un concert ? Sans en avoir subi la transformation, rassurez-vous, j’ai eu le plaisir, en arrivant rue des Lombards, d’être installé dans le fond de la salle, au plus près de nos artistes, les surprenant au milieu d’une discussion autour d’une petite table ronde. Alors que les autres taillaient la bavette, s’adonnant à refaire le monde, à se raconter les paysages de France, d’Amérique ou de Suède, et à repenser l’agencement du club, le plus sérieux, le grand Rick Margitza, nettoyait son saxophone. En admirant ses gestes remplis de délicatesse et de précaution, je l’imaginais de retour en 1989, alors qu’il faisait déjà briller son saxophone auprès de Miles Davis, Tony Williams, Munyungo Jackson, ou encore Chick Corea, tous enregistrés sur le mythique label Blue Note. Je tombais à nouveau dans une rêverie qui me conduisait jusqu’au Montreux Jazz Festival où le saxophone de Margitza s’accordait pour la première fois avec la trompette du Dieu Miles. C’est seulement lorsque le concert commença que je revins enfin vers le futur et que j’appris de la voix du guitariste et leader du soir Gustav Lundgren que j’avais affaire à une rencontre entre quatre jazzmen qui se découvraient et accordaient pour la première fois leurs instruments. Comme quoi, parfois rêve et réalité finissent par se confondre.

Je me rappelle alors avoir pensé : « Rien de mieux que le jazz pour une rencontre ! ». Et je ne me trompai pas. Dès le premier morceau intitulé I owe you, alors que la guitare entamait un thème principal, inspiré du grand Wes Montgomery, composé par Gustav Lundgren, le saxophone répondait par des notes rapides, puis, dans un jeu plus léché, il s’accaparait peu à peu la parole et s’adonnait à l’improvisation. La contrebasse et la batterie suivaient, intégraient la conversation, donnant à leur tour de la voix. Déjà, on pouvait lire sur les visages de nos musiciens une véritable alchimie, une compréhension secrète, qui s’exprimait parfois par de petits cris furtifs, dans ce mouvement aussi harmonieux que virtuose.

Finalement, le retour sur terre ne fut pour moi pas si brutal, tant j’eus l’impression que, sur cette scène du Duc des Lombards, se présentaient certains des plus grands noms du jazz tels que Coltrane, Charlie Parker, ou encore Th. Monk, grande inspiration de Gustav Lundgren, à qui était consacré le morceau Monk with me . De ce quartet qui montait pourtant pour la première fois sur scène se dégageait la complicité d’un même langage, quelque chose de la rondeur de Monk, de l’audace de Parker, du génie de Coltrane, quelque chose du pure jazz.

La conversation de nos musiciens changea ensuite quelques temps d’horizons, explorant les arabesques manouches du manche de Django, le flamenco espagnol ou encore la « samba-jazz » de Laurindo Almeida, mais s’en revint ensuite pour un dernier tour de piste du côté d’Eddy Harris, de qui sera repris le morceau Freedom jazz dance . Avec un jeu épris de modernité, de plaisir et de liberté, les musiciens parvinrent enfin à emmener un public qui, jusqu’alors, paraissait étonnamment calme, sans doute subjugué par le spectacle, mais qui ne put retenir l’envie d’accompagner cette clameur, répondant aux instruments par des cris de joie et des applaudissements, pris par un mouvement collectif soudain de libération. Un véritable moment de découverte et d’échange entre musiciens et public pour clôturer une soirée vive en émotions. 

Je ne m’étais vraiment pas trompé : Rien de mieux que le jazz pour une rencontre !