Mercredi 19 mars 2025 - Lyon

Périscope, 19 mars 2025
Périscope, 19 mars 2025

Tu es connu pour ta capacité d’improvisation, penses-tu que cette part d’improvisation dans le jazz est la raison pour lesquelles tu as choisi cette voie et pas une autre ?

Je n’ai pas choisi quand j’ai commencé, c’est ce qui a pris le dessus. L’improvisation libre s’est imposée plutôt que le be-bop ou des types de jazz plus stylisés.

D’après ce que je viens d’écouter ce soir, j’ai l’impression que ta musique est très organique, et je me demandais ce que tu en penses. Organique ou cérébral ? L’esprit plutôt que les sentiments ?

Non, je ne suis pas cérébral. Je suis vraiment dans l’instant présent. J’essaie toujours d’être dans la musique.

Tu joues avec un grand nombre de personnes différentes. Qu’en retires-tu ?

Tout simplement beaucoup de diversité. Un grand nombre de personnalités différentes m’amènent à jouer autrement. Je dois donc adapter mon langage et les rencontrer à mi-chemin. Et c’est là que la magie opère, et le mystère aussi. Ce dont tu parles, l’aspect organique de ma musique, cela fait longtemps que je n’avais pas entendu ce mot et c’est beau de l’entendre parce que les choses sont devenues si mécaniques et numériques dans le jazz. Tout est présenté de façon commerciale, très travaillée et trop fabriquée. C’est plus académique.

Aimerais-tu parfois te fixer avec une seule formation, sur la durée ?

Non, je n’ai jamais eu ce genre de vie. Je suis entouré par des gens avec lesquels je vibre, avec lesquels je chante… Je viens de faire deux dates en Pologne et j’ai joué avec deux saxophoniste un peu plus âgés que moi, c’était de la belle musique, nous avons vu et senti les mêmes choses. Rien à prouver. Il y a juste toutes ces personnalités que j’aime à travers le monde. Je fréquente des groupes au Canada, en Amérique latine, un peu partout dans New York, et j’ai juste besoin de garder le contact avec ce langage et ce genre de passion que nous avons en commun.

Tu as dit par le passé que tu parlais aussi l’espagnol, penses-tu que cette double culture joue un rôle dans ta musique ?

Oui. L’espagnol est ma langue maternelle. Je ne l’ai jamais présenté de manière claire, mais il y a quelque chose de ce côté-là. L’espagnol est une si belle langue ! Et on utilise sa langue (ndlr : l’organe)… on énonce, tu vois. Je peux rouler mes R et cela se retrouve dans ma façon de jouer du saxophone, dans les effets et les textures. J’ai une coordination un peu différente grâce à cela. J’ai également grandi dans une culture mexicaine catholique très traditionnelle, avec des cérémonies et des rituels qui sont encore très présents en moi, mais je ne vais cependant pas écrire quelque chose qui s’en approche, ni même jouer de musique mexicaine ou quoi que ce soit de ce genre. Oui, j’utilise cette langue, cette culture, de manière autre.

Si tu pouvais choisir un saxophoniste avec lequel voudrais-tu jouer ? Mort ou vivant, tu peux choisir !

C’est vraiment une question difficile ! J’en ai tellement. J’aime beaucoup Joe Lovano, j’ai en fait déjà joué avec lui. Il y a aussi un saxophoniste d’origine indienne américaine lié à Paul Motian qui avait l’un des plus beaux sons que j’ai jamais entendu, Jim Pepper. Oh, il y en a vraiment beaucoup, John Gilmore, qui jouait avec Sun Ra, un saxophoniste incroyable. J’adore Jimmy Lyons, qui a joué avec Cecil Taylor. J’aime... il y en a trop ! J’aime les musiciens qui peuvent être dans l’instant sans se préoccuper des styles… comme tu l’as entendu ce soir. Jozef par exemple peut aller n’importe où, tout comme Samuel. Il ne s’agit pas de jouer dans un genre particulier. Il s’agit d’une communication ouverte, d’aller ensemble vers le même but en ayant la capacité de se déplacer, de se rencontrer à mi-chemin.

Qu’est-ce qui nourrit ta créativité au quotidien ?

La nature, je pense.

Jozef Dumoulin - Tony Malaby - Samuel Ber
Jozef Dumoulin - Tony Malaby - Samuel Ber

J’ai vu que tu allais souvent à la pêche et je me demandais si c’était une façon de faire une pause ou de trouver l’inspiration  ?

Oui, tout à fait. Je me connecte à d’autres flux, avec des tempi autres à l’intérieur de cette activité. C’est aussi une discipline. Ralentir, c’est la seule façon de fonctionner, de lancer (ndlr : la canne). Tu sais, je pêche à la mouche et c’est également une forme d’art dans laquelle il faut entrer. C’est très sophistiqué et on doit devenir vraiment bon dans cette pratique pour être capable de lâcher prise et de trouver sa propre voie dans le moment présent, c’est très rare. Ce que j’aime aussi, c’est que c’est une expérience solitaire alors que la musique est toujours une pratique collective. C’est donc un élément qui entre en ligne de compte. Avant la pêche, quand j’étais enfant, J’ai été un artiste plasticien, j’ai étudié le dessin, je me suis mis à la peinture acrylique et à la peinture à l’huile à un très jeune âge. Ensuite, quand le saxophone est arrivé, il a pris le dessus et je ne suis jamais revenu en arrière. Mais il y a beaucoup de liens avec l’expérience solitaire de la pratique et cette façon de chercher des ouvertures… Il s’agit d’être dans l’instant et de trouver une idée en fonction des gens qui vous entourent, de ce qu’ils font.

As-tu des styles de peinture préférée ?

J’aime Willem De Kooning, un peintre hollandais abstrait et expressionniste. J’aime beaucoup les artistes qui s’occupent encore de la forme et du symbole. Et je transfère musicalement cela à la mélodie et à la création des thèmes. Même dans la musique libre, j’essaie d’être mélodique et de présenter quelque chose à quoi s’accrocher et autour duquel se développer, toujours à partir d’une base très simple... Je pense que c’est là que mon côté mexicain entre en jeu. Les mélodies de la musique mexicaine sont vraiment simples, presque des berceuses.

Au plan personnel, que penses-tu de la situation politique actuelle aux États-Unis ? Qu’est-ce que cela signifie pour la culture dans son ensemble, notamment dans son évolution ?

Je ne sais pas vraiment. Je ressens tellement de vibrations proches de la tristesse, de la honte, de l’embarras, de la déception et de la peur. Et je pense que cela se ressent dans ma façon de jouer. C’est ma façon de protester. Je ne suis pas conventionnel. D’une certaine manière, je suis révolutionnaire. C’est ainsi que je pense pouvoir exprimer mes sentiments sur ce qui se passe.

Festival A Vaulx Jazz, 22 mars 2011
Festival A Vaulx Jazz, 22 mars 2011

Je t’ai vu au Festival A Vaulx Jazz en 2011. Ce jour-là, c’était le premier concert de jazz auquel assistait ma grand-mère (elle avait alors 83 ans) et tu as joué tout le set sans discontinuer, d’une seule traite. A la fin, mon père lui a demandé ce qu’elle avait pensé de cette première expérience et elle a répondu : « Oh ! Cet homme a beaucoup d’histoires à raconter. » Qu’en penses-tu ?

Oh, c’est merveilleux ! Je suis fier de ça. Est-elle toujours là ?

Oui.

Oh wow, envoyez-lui un gros baiser, deux baisers, c’est ce qu’il faut faire, un de chaque côté ! C’est incroyable. Il faut que vous mettiez ça dans l’interview ! Je vais utiliser cette citation. D’habitude, ça n’arrive pas. Tout le monde part dans les dix premières minutes. Et toi, tu avais 8 ans ?

Oui.

C’est magnifique !

As-tu des projets futurs dont tu aimerais parler ?

J’aime tout simplement ce que je continue à faire. Je n’ai plus d’ambition, je veux juste continuer à jouer avec mes amis. Je tourne avec plusieurs personnes sur la côte Est, c’est un projet qui s’appelle « Firebath », et c’est un peu différent à chaque fois. Il y a quelques membres réguliers, je le fais avec Tim Berne, Michael Attias… Je le fais avec beaucoup de musiciens, Brandon Lopez aussi... Je ne sais pas si tu connais l’un de ces noms, ce sont tous des musiciens new-yorkais avec lesquels j’ai une longue d’histoire. Je l’ai fait à Chicago avec d’autres amis, je l’ai fait à Baltimore aussi. J’ai aussi un quartet régulier basé à New York avec des gens que je connais depuis plus de 25 ans. Je veux juste continuer sur cette lancée, avec des structures de groupe comme ce soir, de petites choses, des compositions… C’est d’ailleurs très similaire à ce que fait Sam (ndlr : Samuel Ber) juste ces esquisses...

La dernière question rituelle. Es-tu musicien ou jazzman ?

Musicien, oui !


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