Une escapade printanière guidée par Jean Buzelin dans les champs d’herbes folles et de fleurs sauvages des musiques improvisées ou écrites.
Les circonstances ont fait, et font, que je n’ai pas eu la possibilité de rédiger mes revues de disques comme à l’habitude. Je vais donc essayer en quelques lignes de présenter les disques que j’ai reçu (certains depuis de longs mois) pour simplement informer nos lecteurs. J’ai prévenu nos amis musiciens, producteurs, distributeurs, agents qui, en toute confiance, ont continué à m’envoyer leurs disques et je les remercie pour leur patience.
On commence…
Jean-Marc Foussat continue d’exhumer ses archives, et il y a de quoi faire ! Démarrons avec un “spécial Daunik Lazro”, soit quatre concerts qui documentent les choix du saxophoniste, son évolution et ses nombreuses activités. Ainsi, petit à petit, des trous béants dans sa discographie sont comblés. Le “Duo” enregistré à Massy en 1980 en compagnie du regretté contrebassiste Jean-Jacques Avenel est une merveille. Il comprend deux suites de 27’ et 20’, lesquelles s’inscrivent sous le “patronage” involontaire de John Tchicai, Jimmy Lyons, Steve Lacy et Anthony Braxton. Difficile d’opérer meilleur choix.
Deux ans plus tard, en 1982, nos duettistes se retrouvent à Dunois – comme il se doit – pour une nouvelle improvisation. La même soirée, Daunik se frotte aussi au toujours surprenant violoncelliste américano-hollandais Tristan Honsinger. Et ça fonctionne.
Beaucoup de disques de Lazro ont été publiés ces dernières années qui rendent compte de l’importance du musicien. Ces deux-ci sont assurément deux pièces majeures dans sa discographie.
J’avoue avoir toujours eu un peu plus de mal avec les vocalistes (et leurs vocalises) qu’avec les instrumentistes, qu’ils ou elles exercent dans l’improvisation libre ou la musique contemporaine écrite. Mais cette performance de Lazro avec Annick Nozati, enregistrée en concert en 1994. mérite évidemment l’écoute… sans doute plus difficile qu’en direct.
Toujours à Vandœuvre mais cinq ans plus tard, Annick et Daunik se retrouvent en compagnie de deux partenaires de poids, Fred van Hove et Paul Lovens, pour une performance improvisée de haut vol réalisée de mains de maîtres par des musiciens rompus et ouverts à cette discipline. Même si Annick Nozati “hurle” parfois un peu trop à mon goût, on ressent une grande qualité d’écoute de ces deux suites de 30’ et 21’ qui offrent plus d’épaisseur, de liant et d’ampleur que le duo précédent.
Jean-Marc Foussat passe derrière son VCS3 (et quelques autres jouets plus modestes) mais n’oublie pas de brancher son micro pour dialoguer avec Marc Dufourd, ancien membre du trio Axolotl dont, à l’époque, le disque caressait l’auditeur à rebrousse-poil, et guitariste rare sur disques. On est donc content de le retrouver ici à deux reprises, un quart d’heure en 1982, un autre quart d’heure en 2013 ; le grand écart. Un musique assez brute dans l’un, avec des grattouillis, des bulles, des effets parfois amusants… où la guitare se fond dans un espace sonore encore un peu limité. Trente ans plus tard, de jolies lignes de guitare, un jeu souvent en accords, se meuvent sur des tripatouillages qui, petit à petit prennent de l’ampleur. C’est différent et pourtant on a l’impression que ça s’enchaîne. La relativité du temps ? Court, riche et rare, donc à écouter.
Assurément, bien que beaucoup plus jeune, Christiane Bopp fait partie de la famille même si elle a laissé de côté les “Fou” et ses échanges avec Jean-Marc. Il faut apprécier la qualité, l’ampleur, la maîtrise, la beauté du son du trombone, et l’intrication avec la contrebasse de Bernard Santacruz – qui est vraiment de la même race qu’Avenel. Bruno Tocanne n’est pas en reste, il dialogue et en même temps accompagne – trombone, contrebasse, mailloches, quelle harmonie dans les graves ! Beaucoup de retenue, donc, mais par-dessus tout, un total engagement. Un disque magnifique (même si les textes en petits caractères sont illisibles sur la pochette).
Il y a longtemps que l’ARFI s’est forgé une belle réputation dans l’écriture et l’exécution de musiques pour des chefs-d’œuvres du cinéma muet. Sept jeunes musiciens-acteurs “réinventent” le genre et s’attaquent, non pas à un film muet, mais à “La Nuit des morts-vivants” réalisé par George A. Romero en 1968. Ils en proposent une véritable (re)création, un film sans images qui s’écoute comme une histoire sur un accompagnement musical ad hoc. Je cite : “Ensemble, ils réécrivent une nouvelle bande-son du film, jouée intégralement en direct et retranscrite sur ce disque : musiques, bruitages, voix, ambiances, dialogues,et sons illustratifs ou abstraits.”
Du travail chiadé, mais qui n’a rien à voir avec le jazz si j’ose me permettre cette remarque.
Autre spectacle, autre “spécialité” de l’ARFI, mais dans une veine “moderne”, telle se présente “La Ferme des animaux” inspirée de George Orwell. L’ancien auditeur-spectateur ne retrouvera plus les représentations acoustiques comme du temps de sa jeunesse, mais des musiques très élaborées orchestrées et synthétisées. Les temps changent… Et j’ai un peu passé l’âge, aussi je ne sais pas à quel public ce spectacle s’adresse : les petits ? ça m’étonnerait, les moyens ? à voir le livret illustré (qui comprend tous les textes), les ados ? je m’interroge. Reste que c’est du beau travail : vingt histoires d’animaux, 78’ (pour le CD), beaucoup de musique et de chansons… Tentez l’écoute avec vos enfants ou petits-enfants ou emmenez-les assister au spectacle.
Tout le contraire des fastueux arrangements ci-dessus (et de ce qu’on pourrait attendre d’un travail sur Ennio Morricone), ces trois Incendiaires nous mettent en présence d’une relecture dépouillée de six célèbres musiques de films réalisés (ou produit pour l’un) par Sergio Leone. C’est la spontanéité et la joie de jouer qui se dégage du trio de base trompette-trombone-saxo à travers l’harmonisation des instruments, alimentées par les trouvailles sonores qui en renforcent la richesse. Bref, cette heure musicale est loin d’être un simple divertissement, mais aussi – surtout ? – un travail en profondeur avec de petits moyens (non pas des moyens limités), réalisé avec conscience et implication (et humour). Formidablement bien joué, ce disque épatant (neuf ans après leur premier opus) est une réussite absolue.
Après son étonnant “Feuilles” sorti il y a un an, Joris Rühl nous surprend à nouveau avec un disque aussi intrigant, déroutant, fascinant… et prenant sinon envoûtant. Il est constitué de deux suites de 24 et 27 minutes jouées par un quatuor de clarinettes qui progressent lentement par mouvements circulaires, souvent répétitifs et minimalistes, et finissent par emporter l’auditeur qui ne résiste pas. Les instruments se superposent et créent un univers léger mais profond, fluide, délicat mais où s’immiscent, par exemple, des claquements de clés… comme celles qui nous ouvrent les pistes des partitions vidéo du livret, graphiques, précises et presque fragiles. Prenez votre temps, n’écoutez pas les deux pièces à la queue-leu-leu. Serait-ce un chaînon manquant – et inconnu – entre Phil Glass, Giacinto Scelsi et Evan Parker ?
Retour au (grand) jazz pour un beau final en compagnie du trio de Daniel Humair et d’un invité de premier choix, le tromboniste Samuel Blaser : 50’ de musique habitée, brillante, ouverte à tous les vents et qui explose en un véritable feu d’artifice mis en batterie par quatorze compositions des uns et des autres (dont deux du grand Joachim Kühn dont nous reparlerons bientôt) serrées, denses et résonnantes qui se superposent, s’emboîtent, se mélangent et déploient une férie de couleurs (qui me touche particulièrement Daniel, car je possède la même boîte Prismalo que toi depuis mes 18 ans et m’en sers toujours, remplaçant les crayons lorsqu’ils sont rapointis). Mais je renvoie les lecteurs à la chronique d’Yves Dorison parue le 5 décembre dernier sur notre site, qui leur en dit beaucoup plus que moi et que je partage totalement.
> Avenel / Lazro : “Duo“ – Fou Records FR-CD 68.
Daunik Lazro (saxo alto), Jean-JacquesAvenel (contrebasse).
Bibliothèque de Massy, 13 novembre 1980.
> Lazro / Honsinger / Avenel : “True & Whole Tones in Rhythms" – Fou Records FR-CD 66.
Daunik Lazro (saxo alto, tubausax), Tristan Honsinger (violoncelle, voix), Avenel (contrebasse).
28 rue Dunois, Paris,, 9 mai 1982.
> “Sept fables sur l’invisible” – MazetoSquare 570 566-4.
Annick Nozati (voix et textes), Daunik Lazro (saxos alto et baryton).
Festival Music Action 1994, Vandœuvre-lès-Nancy, 13 mai 1994.
> “Résumé of a Century” – Fou Records FR-CD 65.
Daunik Lazro (saxos alto et baryton), Paul Lovens (batterie, percussions), Annick Nozati (voix), Fred van Hove (piano, accordéon).
Festival Music Action 1999, Vandœuvre-lès-Nancy, 21 avril 1999.
> Thrash the Flash : “Viens !” - Fou Records FR-CD 67
Marc Dufourd (guitares), Jean-Marc Foussat (VCS3, voix et jouets).
Avril 1982, août 2013.
> “What About ?” - Instant Music Records IMR 024.
Christiane Bopp (trombone), Bernard Santacruz (contrebasse), Bruno Tocanne (batterie).
Studio Le Chai – Trois Palis, 24 février 2024.
> “La Nuit des morts-vivants” – ARFI AM077
Marie Nachury (voix, chant, claviers), Christophe Gauvert (contrebasse), Olivier Bost (sons de synthèses, guitare, trombone), Damien Grange (voix, chant, harmonica), Willy Lecorre (percus, voix, chant), Loïc Bedel (voix), Pauline Laurendeau (voix, chant, clavier) + bruitages par tous les acteurs.
2024.
> “La Ferme des animaux” – ARFI CC05.
Ophélie Kern (textes), Mélissa Acchiardi et Guillaume Grenard (composition , batterie, synthé, flûte, percussions, basse, euphonium, cor, trompette, bugle, trompettes à coulisse, voix) + 17 participants dont les rossignols, le chœur des poussins pépieurs et d’autres invités.
Santhonay-Camp chez Xavier Garcia, novembre et décembre 2023.
> Les Incendiaires / Morricone : “À l’Ouest” – ARFI AM078.
Olivier Bost (trombone, banjo, percussions, arrangements), Guillaume Grenard (trompette, bugle, euphonium, percussions, arrangements), Éric Vagnon (saxophones alto et baryton, flûte à bec, percussions).
La Fraternelle, Saint-Claude, octobre 2024.
> Joris Rühl : “Récifs Étocs” – Umlaut umfr-cd48.
Joris Rühl (composition), Ensemble Quartz : Rühl, Léa Castello, Alexandre Morard, Thibaud Tupinier (clarinettes, clarinettes basses).
Césaré, Reims, avril 2004.
> Daniel Humair : “Prismes à l’eau” – Le Triton TRI-24579.
Daniel Humair (batterie), Vincent Lë Quang (saxophone), Stéphane Kerecki (contrebasse), Samuel Blaser (trombone).
Le Triton, Les Lilas, mai et juin 2024.
www.fou.records.com Les Allumés du Jazz
www.mazeto-square.org Inouïe Distribution / Les Allumés du Jazz
www.instantmusics.com Distr. Musea / Les Allumés du Jazz
www.arfi.org Inouïe Distribution / L’Autre Distribution
www.umlautrecords.com Distr. Socadisc / L’Autre Distribution
www.letriton.com L’Autre Distribution